Des médecins aux aides-soignantes, des doyens aux étudiants : tout l'hôpital public est appelé à manifester jeudi à Paris pour exiger davantage de moyens et d'effectifs. En Picardie, de nombreux soignants se joignent à la mobilisation pour dénoncer la dégradation des conditions de travail.
A Creil, dans l’Oise, Loïc Pen, syndicaliste CGT, fait constat alarmant : "On a le sentiment de vivre l’effondrement de l’hôpital public".Des seaux à cause des fuites, la peinture qui s'écaille à Creil
Ce médecin urgentiste travaille depuis vingt ans aux urgences de l’hôpital de Creil. Au fil des ans, il a vu le nombre de personnes accueillies dans le service passer de 70 à 120 par jour. A cette hausse de la fréquentation s’ajoute la vétusté des locaux. Dans le service, 1 ascenseur sur 3 fonctionne, la peinture s’écaille et les patients doivent parfois attendre plus de 12 heures pour une consultation.
"Il y a des seaux dans tout le service à cause de fuites, il manque des dalles au plafond, beaucoup de portes ne ferment pas, des sonettes ne fonctionnent plus, énumère une infirmière des urgences, qui a préféré garder l’anonymat. Nos locaux sont beaucoup trop petits. Parfois, nous devons entasser les patients dans une ancienne salle de radio sans fenêtre".
C’est le budget qui prime sur le soin
"On fait du bricolage tous les jours, le service est déshumanisé, ajoute le médecin urgentiste. Dans ces conditions, le risque d’accident médical plane tous les jours sur la tête des soignants, on vit dans une trouille permanente. Désormais, c’est le budget qui prime sur le soin".
Autre problème : de nombreux médecins du service démissionnent, éreintés. Et ils sont très difficiles à remplacer. "On a du mal à recruter un médecin qui pourrait gagner le double dans le privé. Mais aussi parce que l’hôpital public a perdu son prestige".
Plus de 18 heures sur les bracards à Soissons
Du côté, de Soissons, dans l'Aisne une première manifestation a déjà été organisée mardi 12 novembre devant l’hôpital. Une petite délégation d’une vingtaine de personnes, menée par les syndicats, a ensuite pris le train pour rejoindre le cortège parisien ce jeudi. Comme ailleurs, le personnel soignant dénonce un Plan de Retour à l’Equilibre excessif qui, malgré de nombreuses tentatives d’économies, laisse un trou de 5 millions d’euros dans les caisses de l’hôpital. "Nous ne sommes pas une entreprise, notre vocation n’est pas d’être rentable mais de soigner dans la dignité" s’exaspère Virginie Devillers, préparatrice en pharmacie et secrétaire CGT des hospitaliers de Soissons.
Selon elle, il n’est pas rare que des patients restent plus de 18h sur des brancards dans le service des urgences. Dans d'autres services, un binôme composé d’une aide-soignante et d’une infirmière doit gérer 15 patients. "Nous ne soignons plus dans la dignité, ajoute la syndicaliste. Notre rôle est de tirer la sonnette d’alarme car l’hôpital public tombe en ruine".
A Doullens dans la Somme, le personnel des urgences de l’hôpital est en grève depuis mi-août. "Et nous sommes toujours en grève, confirme Bertrand Delorme, l'un des médecins du service. Mais le personnel est assigné : la matin, on se déclare gréviste et on est réquisitionnés par la direction."
Comme partout, la première revendication, ce sont des moyens supplémentaires." Nous avons besoin d’infirmières et d’aides soin supplémentaire parce que le passage a augmenté. Mais une infirmière de plus par jour aux urgences, ça coûte entre 200.000 et 250.000 euros par an à l'hôpital. Et l'Hôpital public n'en a plus les moyens, déplore le Dr Delorme. Sauf qu'ici, l'activité a augmenté de 25% avec la fermeture de l’hôpital nord."une infirmière de plus par jour aux urgences, ça coûte entre 200.000 et 250.000 euros par an
Une manque de médecins de ville à Doullens
L'autre problème d'un service d'urgence en zone rurale comme celui de l'hôpital de Doullens, c'est la baisse de la démographie médicale caratéristique de notre région. "Les gens vont aux urgences pour des pathologies qui ne relèvent pas des urgences parce qu’ils ne trouvent pas de médecins de ville."
Si l'hôpital de Doullens n’est pas endetté, c'est parce que les activités qui n'étaient pas rentables, la maternité et la chriurgie, ont été fermées. "Mais on n’est pas endettés parce qu’on n’embauche pas, précise Bertrand Delorme. L’argent est devenu la pierre angulaire des services publics. Je travaille depuis 20 ans dans des hôpitaux publics et avant on ne parlait pas d’argent. On soignait les gens"
Aujourd"hui, les urgences de Doullens, c'est chaque jour deux infirmiers, deux aides soins, un ambulancier et deux médecins. Sept personnes pour gérer 15 000 passages par an soit environ 40 par jour. "On fait du SMUR aussi, explique le Dr Delorme. Donc quand une équipe part en intervention, il n'y en a plus qu'une dans le service." ont du SMUR donc le personnel qui part en SMUR n’est pas remplacé. "Globalement ici, on a de la chance. On est une petite structure donc tout se décide vite et tout le monde est réactif, relativise Bertrand Delorme. Les locaux sont biens : ils ont été refait il y a 10 ans. Parfois on est un peu ric-rac mais ça va. Côté matériel, c'est bon aussi. C'est au niveau du personnel qu'on a des besoins". Un poste d'infirmier supplémentaire a été crée pour les urgences. "On aura quelqu'un de plus d'ici décembre".