ENQUÊTE. 250 diabétiques “condamnés à mort” après l’arrêt de fabrication de leur pompe à insuline

Medtronic, l’unique entreprise au monde à produire une pompe interne à insuline, vient d’annoncer l’arrêt définitif de sa fabrication. Une décision dramatique pour 250 diabétiques français, pour qui aucune alternative thérapeutique n’est envisageable. 

“C'est un scandale sanitaire. Medtronic nous condamne à mort.” Diabétique de type 1, Nadège survit depuis 17 ans grâce à une pompe interne à insuline. Sans ce dispositif implanté dans son abdomen, elle risque de mourir.

Pour cette mère de famille nordiste de 57 ans, comme pour 250 patients français atteint d'un diabète de type 1 aggravé, il n’existe aucun traitement alternatif. “La seule solution pour traiter notre forme de diabète rare réside dans cette pompe interne”, angoisse-t-elle.

La société américaine Medtronic, unique fabricant au monde à produire cette pompe, a annoncé le 20 juillet dernier l’arrêt de sa production, faute de rentabilité. “Elle cessera d'être fabriquée d'ici la fin de l’année 2020, en raison des difficultés persistantes d'approvisionnement en composants de la pompe”, a indiqué l'entreprise dans une lettre adressée aux diabétologues et aux patients. 
 

"Ma vie sans pompe n’en est pas une."

Un courrier qui a eu l’effet d’une bombe dans le cœur de Nadège : “Ma vie sans cette pompe n’en est pas une.” Si aujourd’hui cette habitante de Roost-Warendin, dans le Nord, mène une existence plutôt paisible, ça n’a pas toujours été le cas.

Tout commence en 1990, lorsqu’on lui diagnostique un diabète de type 1, une maladie auto-immune. À 27 ans, Nadège se retrouve dépendante à l’insuline, l'hormone qui permet de réguler le taux de sucre dans le sang. Son pancréas n'en produit plus. Elle doit alors s'en injecter elle-même, tous les jours. Seulement voilà, son corps ne répond pas aux traitements classiques.

Injections d’insuline par stylo, pompe à insuline externe, elle épuise tous les dispositifs thérapeutiques disponibles sur le marché. En vain. Des anticorps font barrage à l’insuline.

Le cauchemar d’un diabète indomptable : “J’ai perdu connaissance au volant, sur l’autoroute” 

Son quotidien se transforme alors en cauchemar. Elle vacille sans arrêt entre hypoglycémies et hyperglycémies sévères. Fatigue, malaises, elle ne peut plus exercer sa profession d’infirmière. “J’aurais pu faire une faute professionnelle”, souffle-t-elle.

Les accidents deviennent de plus en plus fréquents : “Une fois, les pompiers m’ont retrouvée inconsciente au volant, en pleine autoroute, dans les embouteillages heureusement. Une autre fois, on a dû me recoudre le crâne, à cause d’un malaise quand je faisais mes courses”.

Nadège ne quitte plus sa maison, de peur d’être un danger pour les autres et pour elle-même : “Je n’osais plus sortir, je n’allais plus au restaurant, je n’avais plus aucune relation sociale, c’était invivable”. 

Rétinopathie et escarre à 29 ans 

Même constat pour Anne Durieux, diabétique de type 1, suivie, elle aussi, au CHR de Lille. Sa peau forme une barrière infranchissable et absorbe l’insuline de manière irrégulière. “Avant la pompe implantée, je devais me lever deux à trois fois par nuit pour me faire des injections et tenter de rééquilibrer mon diabète”, se rappelle cette Valenciennoise de 55 ans.

Indomptable, sa maladie a provoqué de nombreuses complications : à 29 ans, elle développe une rétinopathie et évite de justesse la cécité totale. Une escarre se forme sur sa jambe. Il faudra trois ans pour que la plaie ouverte, parvienne à cicatriser.

L’hyperglycémie jusqu’au coma 

Dans le même cas, Bruno Hanard, lui, a failli en mourir. Malgré des séjours réguliers à l’hôpital, une hyperglycémie l’a plongé dans le coma. Son cœur s’est arrêté. 50 minutes de massage cardiaque ont été nécessaires pour réanimer cet habitant de Sequedin. Sans compter sa trachée abîmée à cause de l’intubation. 

Des vies bouleversées, dictées par un taux de glycémie incontrôlable, jusqu’au jour où apparaît la pompe implantable. Un boîtier de 8 centimètres de diamètre sur 2 centimètres d’épaisseur, implanté sous la peau, au niveau de l’abdomen.
 

Cette nouvelle technologie développée par Medtronic délivre de l’insuline directement dans la cavité péritonéale, mimant, de manière quasi physiologique, les cellules beta du pancréas. “Une renaissance du jour au lendemain”, pour Anne et les 350 patients implantés en France, en Belgique et aux Pays-Bas. 
 

“Comment va-t-on faire quand notre pompe arrivera en fin de vie ?”


Nadège, Anne et Bruno font partie des 12 patients implantés suivis par le CHR de Lille, un des 10 centres implanteurs de France. Ils se rendent à l’hôpital toutes les six semaines pour effectuer le remplissage de leur pompe en insuline. Cet “appareil magique” possède une durée de vie moyenne de 7 ans. Celle d’Anne a déjà 7 ans et demi, celle de Nadège 5, et celle de Bruno 3. Une fois périmée, ils ne pourront pas la remplacer.

Medtronic continue d’en produire encore 45 d’ici à la fin de l’année, mais la majorité est déjà attribuée. “J’ai une épée de Damoclès sur la tête, que faire quand elle arrivera en fin de vie ? Et pire, si elle tombe en panne demain ?", s'interroge Bruno.  

"Ils risquent d'en mourir"

Sans pompe… retour obligatoire aux injections sous cutanée et aux complications qui vont avec. Pour ces patients des Hauts-de-France suivis par la diabétologue et endocrinologue Emilie Merlen au CHR de Lille, “la seule solution sera d'administrer de l’insuline par voie sous cutanée, car cette hormone reste vitale pour eux… mais avec une efficacité moindre et des risques de comas diabétiques et de complications importants : ça peut toucher les reins, les yeux, les nerfs, les artères, le cœur , etc.” La liste est longue et s’arrête à un point de non-retour, confirme la médecin : “ils risquent d’en mourir”. 

Un futur proche que redoute Anne : “Stopper la fabrication de cette pompe, c’est me condamner. Pas du jour au lendemain, mais petit à petit. En moins de trois ans, avant d’être implantée, j’ai contracté une rétinopathie. La prochaine étape, c’est la cécité. Et puis après, les reins lâchent. On vous ampute. Et ainsi de suite. Voilà ce qui nous attend. Et ils le savent.” 

Medtronic “regrette sincèrement”, mais serait-elle en capacité de poursuivre la production ? 


“Angoisse”, “colère”, “impuissance”. Voilà ce que ressent cette femme aujourd’hui en pleine forme, à qui on retire son traitement. Anne fait partie du Collectif des Diabétiques Implantés, créé il y a un an en réponse à la décision de Medtronic. La sienne arrive bientôt à péremption. En attendant, elle se bat pour survivre.
 
Présente aux trois réunions organisées depuis 2019 convoquant toutes les parties prenantes - Medtronic, le ministère français de la Santé, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé,  les médecins et les associations de patients - Anne constate aujourd’hui que ses arguments n’ont pas été pris en considération. 

Selon elle, le Directeur du pôle Diabète France de Medtronic a même admis “pouvoir continuer la production”, mais s’y refuse.  

 

Sollicitée par France 3, Medtronic n’a pas souhaité accorder d’interview sur le sujet. L’entreprise américaine nous a renvoyés à un communiqué dans lequel elle “regrette sincèrement l’incertitude et la forte préoccupation exprimée par les patients concernés”.

Le fabricant, pour qui “la sécurité des patients est une priorité”, justifie l’arrêt de sa production par une difficulté persistante d’approvisionnement en composants de la pompe : “ces dernières années, un nombre croissant de composants sont arrivés en fin de vie ou ont vu leur production arrêtée. Dans ce contexte, Medtronic a rencontré des difficultés à maintenir la conformité des composants reçus de ses sous-traitants.” 

“Entre l’éthique et les décisions stratégiques d’une grosse entreprise, il y a un grand écart…”

“Mais la question est d’ordre éthique”, pour le Professeur Éric Rernard, diabétologue au CHU de Montpellier et Président d’Evadiac (l’association qui coordonne l’ensemble des centres implanteurs).

Medtronic devrait avoir la préoccupation de l’avenir de ses patients. Il s’agit d’un groupe aux capacités financières très larges qui a fait le choix stratégique d’orienter sa production vers des dispositifs plus grand public", constate-t-il. 

En effet, cette pompe interne ne concerne que 350 personnes à l’échelle mondiale. "C'est la raison pour laquelle Medtronic n’a pas fait l’effort de trouver les sous traitants qui produisent les pièces nécessaires", considère le docteur... "Entre l’éthique et les décisions stratégiques d’une grosse entreprise... il y a un grand écart. Mais humainement, une telle décision est difficile à accepter", regrette-t-il. 

“C’est de la non-assistance à personne en danger de la part de l’Etat français”

Désespérée, Anne en appelle à la responsabilité des autorités françaises : "C’est de la non assistance à personne en danger, on est danger de mort et l’Etat nous abandonne. Il n’est pas parvenu à faire pression sur Medtronic. Nous souhaitons simplement que l'entreprise continue de fabriquer ces pompes, deux, trois, quatre ans à peine, le temps que des repreneurs soient prêts à commercialiser la leur".

La direction générale de la Santé assure faire son maximum, et échanger notamment avec deux éventuels repreneurs. “Un premier essai clinique pourrait débuter début 2021 en incluant des patients français. À ce titre, une nouvelle réunion sous l’égide du Ministère est prévue dès le mois de septembre”, indique la DGS.  

Deux repreneurs potentiels 

Pour Nadège, Anne, Bruno et les 347 autres diabétiques implantés dans le monde, l’espoir réside en deux repreneurs potentiels : Ipadic, un groupe de travail des Pays-Bas, formé essentiellement de médecins et de patients, et Physiologic Devices, basé en Californie et fondé par l’ingénieur qui a justement développé le modèle de pompe implantable de Medtronic. 

Si Medtronic a transféré la technologie de la pompe Minimed 2007D à ces deux sociétés, il ne s’agit pas d’un transfert de brevet complet. Il faut alors du temps et surtout, de l’argent. Et c’est justement ce qui leur manque.

De nouvelles pompes en phase de test… mais en mal de financements 

Toutes les deux ont déjà produit des prototypes. Ipadic se dit “prête à effectuer des tests sur les animaux mais n’en a toujours pas les moyens”. Physiologic Devices, un pas devant, a déjà passé cette étape et est en phase de “conception avancée pour un usage humain”.

L'une comme l'autre n'envisage pas une mise sur le marché avant 2023... s'ils parviennent à trouver des investisseurs. Si l’un d’eux y parvient, cette technologie pourrait améliorer la vie de plus de 60 000 diabétiques en France, selon EVADIAC.

D’ici là, Anne, Nadège et Bruno prient pour que le diabète ne les ravage pas. “Je viens de me marier, alors j’aimerais profiter un petit peu avec mon mari avant”, sourit tristement Nadège. 
 
Quelle est la différence entre le diabète de type 1 et le diabète de type 2 ?
On distingue principalement deux types de diabète : le diabète de type 1 qui touche environ 6% des diabétiques et le diabète de type 2 qui en touche 92 %. Tous deux impliquent un excès de sucre dans le sang. 
 
  • Le diabète de type 1 : 
Aussi appelé diabète "insulinodépendant", ou diabète "jeune", il est le plus souvent diagnostiqué chez les enfants, adolescents et jeunes adultes. Il résulte de la "disparition des cellules bêta du pancréas entraînant une carence totale en insuline", indique la Fédération Française des Diabétiques (FFD). Il s'agit d'une maladie auto-immune, qu'on traite par injections quotidiennes d'insuline. S'il existe une prédisposition génétique, les autres causes ne sont pas encore connues par les chercheurs. 
 
  • Le diabète de type 2 :  
Celui-ci apparaît généralement chez les personnes âgées de plus de 40 ans. Selon la FFD, "le surpoids, l’obésité et le manque d’activité physique sont la cause révélatrice du diabète de type 2 chez des personnes génétiquement prédisposées" . Non insulinodépendant, "soit le pancréas fabrique toujours de l’insuline mais pas assez, par rapport à la glycémie, soit cette insuline agit mal, on parle alors d’insulinorésistance". On traite cette maladie par des mesures hygiéno-diététiques et/ou par des traitements antidiabétiques oraux ou injectables.

 
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