Parole libérée, enquête, soulagement, poids du passé... Grégory, 44 ans, raconte ce qui s'est passé depuis le jour où il a porté plainte contre un prêtre de Vendeville, plus de 25 ans après les faits.
"Je vais mieux. J'ai eu plein de témoignages de gens qui m'ont remercié. Ça fait du bien. Ne pas se sentir seul, ça fait du bien". Grégory O. parle d'une voix calme, apaisée.En juin dernier, ce Nordiste qui vit à Paris, a posté sur sa page Facebook un message pour accuser le curé de Vendeville (près de Seclin dans le Nord) de l'avoir agressé sexuellement en 1992, alors qu'il était lycéen à Saint-Paul à Lille. Le ton n'était pas du tout le même. Il s'adressait ainsi au prêtre visé : "Te souviens-tu de ce samedi de juin 1992 où tu m'as agressé en me plaquant contre ton lit et en mettant de force ta main dans mon caleçon. (...) Alors, mon petit Régis, toi qui voulais savoir si j'ai des couilles, tu vas bientôt pouvoir en connaître la nature, je te le garantis".
Grégory O. a accepté de reparler de cette affaire, six mois après. Que s'est-il passé depuis ? Dans quel état d'esprit est-il ? Que pense-t-il de l'attitude de l'Eglise ces derniers mois ?
"Après mon post Facebook, j'ai été entendu à la Police Judiciaire de Lille, commence-t-il. C'était fin juillet-début août. J'ai livré mon témoignage. J'ai donné des noms de gens qui m'ont écrit pour dénoncer le même type de faits. Je sais qu'ils ont entendu tout le monde. Au moins vingt personnes. Ils ont été très à l'écoute."
"Il a tout nié"
L'abbé Régis Beils a également été entendu il y a quelques semaines. "Il a tout nié, raconte Grégory qui tient cette information des enquêteurs. Apparemment, la police n'a pas mis en évidence de viols. On parle d'attouchements avec violence. Visiblement, certains faits remontent aux années 70. Tout est prescrit. Je dois recevoir un courrier du juge d'instruction m'indiquant la fin de la procédure."
Le délit d’agression sexuelle commis sur un mineur est prescrit 10 ans à compter de la majorité de ce dernier, s’il est âgé de plus de 15 ans. Grégory évoque aussi le manque de preuves, d'élements matériels. L'affaire est donc théoriquement terminée.
La police lui a conseillé de porter plainte au civil mais il ne sait pas encore s'il a envie de continuer : "L'objectif de mettre l'abbé Beils hors d'état de nuire me parait atteint. Il n'officie plus à Vendeville. Je n'ai pas été accusé de diffamation. Le message est passé. Je pense que la police m'a cru. Mais les lois sont les lois. Après, l'abbé Beils avait l'occasion de soulager sa conscience. Il ne l'a pas fait".
Le curé de Vendeville, qui aura bientôt 74 ans, a été suspendu par le diocèse de Lille. Il l'est toujours. "Nous n'avons pas encore reçu les conclusions de l'enquête, explique Bruno Cazin, vicaire général. Régis Beils reste suspendu. Une enquête canonique (NDLR : interne à l'Eglise) sera menée dans les mois qui viennent."
En juin dernier, en interne, Régis Beils n'avait pas nié les faits : "J'ai eu un entretien avec le père Beils. Il se souvient très bien de la personne qui a fait cette déclaration. Et l'entretien pouvait laisser entendre qu'il s'était passé quelque chose", avait expliqué Bruno Cazin à France Bleu.
"On n'est pas censé oublier ce qui nous a fait du mal"
Sur l'attitude de l'Eglise, Grégory O. constate une évolution positive : "Il y a une intention louable. Les instances religieuses ont pris conscience de la gravité des faits. Elles ont longtemps couvert des choses qui sont incompatibles avec les valeurs enseignées".
Grégory, 44 ans, a deux enfants, dont un de 9 mois. Il va maintenant tourner la page. Comme de nombreuses victimes, il n'a pas parlé pendant plusieurs dizaines d'années. Libérer sa parole lui est apparu nécessaire il y a seulement quelques mois : "Sur le moment, je n'ai rien dit. J'ai tout enfoui. J'étais certain que si je parlais, on n'allait pas me croire. J'avais un bac à passer. Je n'en ai jamais parlé à personne. Et puis, j'ai lu un article sur l'abbé Beils en mars dernier. Ça m'a remué. Je pensais l'avoir oublié. Mais tout a ressurgi. Des choses comme ça, ça vous empêche de dormir."
Et il conclut : "Ça restera des faits qui seront dans ma mémoire. On n'est pas censé oublier ce qui nous a fait du mal. C'est traumatisant. Heureusement, ça ne m'a pas empêché de vivre..."
La Commission Sauvé sur la pédocriminalité dans l'Eglise à Lille ce vendredi
Depuis février 2019, la commission sur la pédocriminalité dans l'Eglise (commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE)) est à l’écoute des victimes de prêtres et religieux(ses) en France. Elle entame ce vendredi à Lille une tournée de plusieurs déplacements en régions pour mieux se faire connaître.La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase) a reçu 3500 appels, selon un bilan annoncé début novembre. L'instance a lancé début juin un appel à témoignages auprès de victimes de pédocriminalité au sein de l'Eglise depuis les années 50.
Après Lille ce 29 novembre, elle ira à Bordeaux (9 décembre) avant Marseille, Strasbourg, Toulouse, Nantes et Lyon. Ce sera également l'occasion de "conduire des auditions" de victimes qui "ne peuvent pas se déplacer à Paris", selon M. Sauvé, président de la commission.
Il a précisé que les conclusions de ses travaux seraient remis au cours du "premier semestre 2021" et non pas fin 2020, notamment en raison du fait qu'une grande enquête, financée par des crédits publics, sur "les sexualités de Français et les violences sexuelles en population générale" doit se dérouler en 2020.
Bien qu'indépendante du calendrier des travaux de la Ciase, ces résultats "ne sont pas sans lien avec notre travail", a-t-il dit. "Il serait utile que notre travail ne soit pas bouclé avant que cette enquête ait elle-même avancé".