Fin avril, Déborah Miarlet a publié une reprise d’une chanson de Ben Mazué sur les réseaux sociaux. Infirmière dans le service réanimation de l’hôpital d’Abbeville, elle a eu besoin de chanter pour exprimer sa souffrance et son amour du métier en pleine crise du Covid-19.
"Ça doit être la 700 millième fois que l’on doit s’habiller, choisir ce masque ou celui-là, que l’on doit se protéger. On n’a pas vraiment le choix, parce qu’on se sent capable de tout ensemble".
Dans sa voix, on entend des dizaines d’heures de garde, de belles victoires contre le virus mais aussi de mortelles défaites. En chanson, Déborah chante sa souffrance pour se libérer du traumatisme. "Moi j’ai encore ces visages en mémoire, nos espoirs, et je ne rougis pas de ce que l’on fait pour notre humanité" fredonne-t-elle d’une voix douce.
Il lui a fallu à peine une heure pour écrire ces paroles. "Je suis rentrée chez moi après ma troisième garde de nuit de 12 heures. Mais je n’arrivais pas à dormir donc j’ai pris une feuille, un stylo et j’ai écrit tout ce que je ressentais. Ça m’a fait du bien".
Même quand on rentre à la maison, ce vécu on le garde avec nous
Fin avril, Déborah parvient à raconter son quotidien dans le service de réanimation de l’hôpital d’Abbeville, où elle travaille en tant qu’infirmière depuis 7 ans. "C’était pendant une période compliquée, le service était plein de patients en coma artificiel, on passait 800 ampoules de médicaments par jour. On a eu le temps de développer des relations avec des patients qui sont arrivés conscients dans le service mais qu’on a dû intuber ensuite. Même quand on rentre à la maison, ce vécu on le garde avec nous. Cette chanson, ça a été un moyen d’évacuer tout ça".
En plus des patients à gérer, il a fallu aussi former à la va-vite des infirmiers d’autres services venus prêter main forte à l’équipe de réanimation. "Notre service demande des compétences spécifiques, explique-t-elle. Il faut plus d’un an pour être à l’aise dans les soins. Bien sûr, ils nous ont aidés mais on était les chefs d’orchestres et c’était un poids supplémentaire". Malgré ce rythme infernal, l’infirmière de 34 ans tient le coup avec son équipe, qui fait preuve d’une solidarité exemplaire.
De nature pudique, elle s’est même laissé convaincre par ses collègues de publier la chanson sur les réseaux sociaux pour faire connaître le service et rassurer les familles. Pour réaliser ce témoignage musical, l’infirmière de 34 ans a réécrit les paroles de "10 ans de nous", une chanson interprétée par Ben Mazué. "Cette chanson à la base c’est une magnifique histoire d’amour pleine d’espoir qui exprime les doutes, les épreuves, explique Déborah. J’ai voulu montrer qu’en parallèle, il y avait beaucoup d’amour dans ce que l’on fait mais aussi beaucoup de crainte. C’est un mélange entre l’amour, la peur et l’humanité".
Celle qui n’avait jamais chanté en public a même osé interpréter la chanson devant ses collègues mais aussi devant l'un de ses patients, atteint du Covid-19. "C’est un patient qui m’a marquée : il était conscient qu’on allait devoir l’endormir, on a écouté ses doutes et ses peurs avant de le mettre en coma. Puis finalement, on a réussi à le réveiller et à l’extuber. Alors j’ai voulu chanter pour lui. Il a pleuré, il m’a tenu la main, c’est la plus belle des récompenses". Depuis, ce patient a quitté le service de réanimation et a pu rentrer chez lui.
Toujours debout
Si elle rend hommage au courage des soignants et des patients, Déborah ne peut s’empêcher de conclure sa chanson en dénonçant les manquements de l’Etat. "Essoufflés, épuisés de budgets, de moyens supprimés, mais toujours debout face au bonheur qui se brise, qu’on essaie de réanimer. Ce sera ça soigner, pour nous c’est ça".Aujourd’hui, le rythme se calme un peu dans le service mais Déborah reste sur ses gardes, prête à affronter une deuxième vague de contaminations.