Le lobbying du port du Havre serait un des facteurs freinant fortement le projet Canal Seine-Nord.
C’est ce qu’on appelle : « savonner la planche ». Dans le Nord Pas de Calais, quelques élus et décideurs commencent à se poser des questions sur la sincérité des regrets de leurs homologues hauts-normands, à propos du « gel » du projet de canal Seine-Nord. Plus précisément, il est reproché au Port du Havre de faire discrètement et habilement du lobbying pour « tuer » définitivement le futur canal à grand gabarit entre les Bassins Nord et Parisien. « Ce n’est pas politiquement correct d’opposer deux régions françaises à propos d’un dossier qu’on qualifie en façade d’intérêt national, mais c’est une réalité, explique Jean-Pierre Decool, député du Nord (Apparenté UMP). Le Nord-Pas de Calais et la Haute-Normandie ont des intérêts contradictoires dans cette affaire. Le lobbying des hauts-normands est un des éléments qui ne jouent pas en notre faveur. Je ne suis pas optimiste…"
Si l’on regarde une carte, on peut comprendre le point de vue du Havre et des hauts-normands. Pour l’instant, il est évident que l’axe Le Havre-Rouen-Paris constitue le couloir d’accès le plus légitime, le plus logique, le plus direct pour les marchandises venant de la mer et s’apprêtant à inonder la moitié Nord de la France. Or, si demain le canal Seine-Nord est creusé, cette même moitié Nord de la France sera connectée par voie d’eau aux ports de Zeebrugge, Anvers et Rotterdam (les plus grands ports d’Europe).
Du coup, la Belgique et la Hollande deviendraient les portes d’entrée maritimes principales du Nord de l’Europe… et donc du Nord de la France ; le port du Havre perdrait une partie de sa clientèle.
"Un facteur de concurrence"
Et quand on connait l’agressivité de leurs acteurs commerciaux, Anvers et Rotterdam pourraient même se permettre de détourner du fret maritime à leur avantage, au détriment du Havre, en arguant que le canal Seine-Nord leur offre le meilleur corridor logistique vers Paris et Lille. Cette fois, Le Havre ne perdrait pas seulement des clients, mais une partie de son trafic. Bref, quelques hauts-normands se demandent si le futur canal Seine-Nord serait plutôt Nord que Seine…
Dans une interview accordée à France 3 Normandie, le président de l’Union Maritime et Portuaire du Havre, Christian Leroux, reconnait d’ailleurs au détour d’une phrase que le canal Seine-Nord à grand gabarit constitue pour lui un « facteur de concurrence ». C’est clair. Voici ce reportage :
Avec les interviews de :
Frédéric Cuvillier, Ministre des Transports (le 3 septembre 2012)
Christian Leroux président UMEP- Union Maritime et Portuaire
Philippe Clément-Grandcourt chargé de misson LogiSeine- LogiRhône
"Une autoroute qu'on ouvre aux grands ports du Nord"
Selon Olivier Henno, maire de Saint-André, dans son lobbying contre le projet Seine-Nord, Le Havre a su trouver une oreille attentive du côté de RFF. Réseau Ferré de France rêve de développer le trafic fret et passagers par chemin de fer sur l’axe Le Havre-Rouen-Paris. Il s’agit de la fameuse LNPN qui est au centre des débats sur « l’Axe-Seine » et le principal dossier du projet du Grand Paris. Cette LNPN (Ligne Nouvelle Paris Normandie) s’est dotée d’une association de promotion présidée par Gérard Lissot, également président du Conseil Economique et Social de Haute-Normandie.
Dans une lettre adressée au Ministre des Transports, Gérard Lissot affirme que la LNPN « permettra l’essor du fret ferroviaire nécessaire aux objectifs de croissance des ports de la vallée de la Seine et du littoral. » Et dans une formule ambigüe, il ajoute que la concurrence accrue des grands ports nord-européens – qui se traduit par une captation des flux rendue possible par des infrastructures toujours plus performantes – ne peut être ignorée par le gouvernement. De là à penser que le futur canal Seine-Nord pourrait être une des ces « infrastructures toujours plus performantes » mises à la disposition des ports belges et hollandais, il n’y a qu’un pas…
Enfin, Antoine Rufenacht, le Commissaire Général au Développement de la Vallée de la Seine, explique que la LNPN est « incontournable » pour le développement maritime de la France. Pour l’ancien maire du Havre, il est préférable que les millions de conteneurs débarquant dans sa cité portuaire filent ensuite en train vers l’Est du pays, plutôt qu’ils soient orientés vers Rotterdam pour ensuite redescendre par voie fluviale vers le sud.
Un expert maritime dunkerquois pense la même chose : « les 106 kilomètres du canal Seine-Nord, c’est une autoroute qu’on ouvre aux grands ports du Nord ; bien sûr qu’ils vont s’y engouffrer… et en plus c’est la France qui paye !»
Evidemment, ce "lobbying" n'est sans doute qu'une des explications au gel du dossier Seine-Nord. Le coût, la complexité, l'efficacité économique non prouvée sont autant de facteurs importants à prendre en compte.
Le projet de canal Seine-Nord a été suspendu fin août 2012.
Estimé à 4,3 milliards d'euros en 2009 par Voies Navigables de France (VNF), le coût global serait aujourd'hui bien plus élevé. Le gouvernement a décidé de geler le dossier er de demander un rapport sur sa faisabilité financière. De nombreux élus craignent un abandon pur et simple du projet.
A lire aussi :
Canal Seine-Nord : les clés pour comprendre