Jeunes précaires, décrocheurs scolaires : l'insertion sociale à l'épreuve du confinement 

Tout le monde n'a pas vécu le confinement de la même façon. Pour les jeunes précaires et/ou éloignés du système soclaire, il s'est avéré souvent difficile. Les établissements scolaires et structures d'insertion font tout pour les accompagner, malgré tout, sur le chemin d'une vie plus sereine.

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Une fois que l'on a quitté l'école sans diplôme, retrouver le chemin de l'apprentissage ou de l'emploi peut s'apparenter au parcours du combattant. Les établissements scolaires font tout pour éviter que les élèves en difficulté en arrivent là, et d'autres structures accompagnent ceux qui ont déjà passé le cap. Mais comment aider ces personnes quand le pays tout entier est confiné à la maison ? 

Au micro-lycée d'Amiens, un établissement qui dépend de l'Éducation nationale et qui accueille les jeunes descolarisés pour leur permettre d'obtenir un diplôme, les cours en présentiel n'ont pas encore repris. Mais pas question de laisser les élèves, déjà en difficulté scolaire, livrés à eux-mêmes pendant trois mois.  "On a essayé d'établir les liaisons les plus pertinentes possibles, et de maintenir la continuité", explique Philippe Delignieres, coordonateur de l'établissement. "Ce n'est déjà pas facile dans un établissement classique, mais pour nos élèves c'est encore plus aléatoire. Ils sont gagnés par le doute. Pour ceux qui ont plus de 20 ans par exemple, et qui sont censés valider leur bac, qui se sont construit un projet de vie autour de ça, c'est difficile cette rupture.
 

"La fracture est surtout humaine"


Pour lui, le problème vient en priorité de la rupture de lien social provoquée par le confinement. "La fracture n'est pas forcément matérielle, elle est surtout humaine. Il y a une alchimie entre l'élève et son groupe, entre l'élève et le formateur", précise-t-il. "Sans cette alchimie, la prise en charge est plus complexe." L'équipe pédagogique a donc fait en sorte de maintenir un suivi individualisé, de mettre en place des cours en ligne, avec des plannings horaires chaque semaine, pour que la rupture avec les habitudes ne soit pas trop importante. "On essaie aussi de maintenir le lien avec les familles, pour les élèves les plus jeunes, c'est vraiment important."

Aurélie Grin, professeur d'éco-gestion au micro-lycée, a fait le choix de s'adapter au mieux à chaque situation. "Comme beaucoup de mes collègues, j'ai mis en place des cours en visio. WhatsApp, FaceTime, Zoom, j'ai utilisé tous les outils possibles, même si ce n'était pas toujours conventionnel, pour que chaque élève puisse se connecter quoi qu'il arrive", raconte-t-elle. "On a prêté des ordinateurs, beaucoup n'en ont pas à la maison, ou alors un seul qu'ils partagent avec plusieurs frères et soeurs. Je me suis retrouvée à corriger des devoirs envoyés par photo sur WhatsApp, c'est difficile mais il faut le faire, parce qu'il faut que l'élève se sente considéré." 
 

Écoute et bienveillance


Pour que ses 18 élèves de terminale restent motivés, elle a fait le choix d'indivisualiser au maximum le suivi. "Et surtout, il faut énormément de bienveillance et de compréhension, car certains qui semblaient aller bien, vivaient en fait très mal le confinement", poursuit-elle. "D'habitude, on discute avec nos élèves de leur situation, soit dans une salle, soit de manière informelle pendant la pause ou quand ils fument leur cigarette. Ça nous permet de glaner des informations et d'éviter de retrouver la situation qui les avait amenés à quitter l'école. Mais par téléphone, c'est plus facile de nous fermer les portes et de ne pas se livrer."

Car en dehors du manque de motivation et de maturité de certains élèves, qui n'arrivent pas à rester concentrés longtemps quand ils n'ont pas un professeur pour les pousser et les aider, il existe des problématiques sociales, dont ils n'osent pas toujours parler. "On est confrontés à des problèmes de maltraitance, ou d'addictions très fortes, et en période de confinement c'est encore plus difficile. Donc il faut beaucoup d'écoute et de patience, il faut comprendre ce qu'il va nous dire avec ses mots à lui, et garder une relation de proximité et de confiance."

En effet, comme le souligne le rectorat, "il y a autant de problématiques que de décrocheurs". Situation familiale instable, difficultés financières, isolement social, troubles d'apprentissage, mauvaise orientation... Les raisons de s'éloigner du système scolaire sont nombreuses. Et amènent trop souvent à des situations de précarité. 
 

Maintenir le lien


"Je me sens prisonnière de devoir demander de l'aide à ma mère, qui doit déjà s'occuper de mes frères et soeurs qui sont plus jeunes", confie Diana, 21 ans, qui vient tout juste de terminer son parcours à l'école de la deuxième chance d'Amiens, un établissement qui ne dépend pas de l'Éducation nationale mais qui tend la main aux jeunes (de moins de 26 ans) qui ne sont ni à l'école, ni en emploi, en les aidant à construire un parcours professionnel.

La jeune femme compte sur ce cursus pour revenir sur le chemin de l'emploi, mais le confinement a un peu contrarié ses projets. "Du jour au lendemain, tout s'est arrêté, les démarches, les projets, les stages. Ce n'était pas facile. Au début on se dit, chouette, je vais pouvoir dormir le matin, mais au bout de quelques jours, ça devient difficile à vivre."

Entrée à l'école de la deuxième chance en septembre dernier, Diana espérait rattraper ses "erreurs d'orientation" qui l'ont menée en CAP restauration, une voie qui ne lui plaisait pas du tout. Mais le confinement l'a empêchée de retourner dans les locaux à partir de la mi-mars, et de poursuivre ses stages. "Les formateurs ne nous ont pas délaissés, au contraire, ils nous appelaient, nous proposaient des activités à faire chez nous, et parlaient avec nous de comment on se sentait, comment se passait notre confinement. Il nous ont motivés à chercher d'autres solutions", raconte-t-elle.
  

Difficultés sociales


Mais à un moment où l'économie toute entière tourne au ralenti, la priorité des entreprises ne semble pas être le recrutement. "Je n'ai pas pu finaliser mon projet professionnel", regrette-t-elle. "J'ai repris la recherche d'emploi, mais il n'y a pas d'offres sur Amiens pour mon profil actuellement, et je n'ai pas de voiture." C'est en partie la raison pour laquelle elle souhaiterait travailler rapidement : financer son permis de conduire. Vente, secrétariat, onglerie, différentes choses l'intéressent. "J'espère trouver un CDI, être stable, et me retrouver un peu seule. Pendant le confinement, on était 8 dans l'appartement de ma mère à Étouvie, avec seulement trois chambres et le salon, on était un peu les uns sur les autres." 

Comme elle, Anta, 26 ans, rêve d'indépendance financière. Arrivée du Sénégal il y a un an pour rejoindre son mari, ses diplômes ne lui ont pas permis de trouver un travail en France. Elle a très vite rejoint l'école de la deuxième chance. "Pendant le confinement, j'ai beaucoup travaillé pour l'école, avec des exercices de remise à niveau en maths et en français", confie-t-elle. "Mon mari travaille, il est ingénieur en informatique, alors il gagne bien sa vie, mais ce n'est pas une raison, je ne veux pas dépendre de lui !" Depuis le début de son parcours, elle n'a pu effectuer que deux stages, avant d'être bloquée par le confinement. Elle pourra retourner à l'école bientôt, mais elle n'a pas encore trouvé son prochain stage : même si le déconfinement a commencé, les offres se dont encore rares.

C'est là toute la difficulté des structures qui aident les personnes en situation de précarité sociale ou de décrochage scolaire : même si l'accompagnement continue à distance, il y a des choses que les formateurs ne sont pas en mesure de contrôler. Que ce soit le marché de l'emploi, la motivation des personnes ou leur situation de confinement. Les équipes pédagogiques du micro-lycée et de l'école de la deuxième chance pourront enfin retrouver leurs jeunes au début du mois de juin.
Comment repérer les risques de décrochage ?
Depuis le début du confinement les établissements scolaires, de la primaire au lycée, identifient et recensent les profils "à risques", ces élèves pour qui le confinement pourrait signer la fin du parcours scolaire. Ces ados qui par exemple, ne répondent plus au téléphone, ou dont la famille n'est pas joignable. Ceux que les parents ne peuvent pas aider, et qui se sentent découragés par la solitude face au travail à la maison. Ou encore ceux qui ont accumulé trop de lacunes et n'arrivent pas à les surmonter seuls dans leur chambre.

L'académie d'Amiens a communiqué un plan de lutte contre le décrochage scolaire pour accompagner les équipes face à ces situations. Avec ces élèves, les équipes pédagogiques mettent en place des actions différentes, comme des cours en ligne en très petit groupe ou des exercices adaptés. Elles prennent également contact avec la famille et l'élève lui-même pour comprendre les causes du décrochage. Ces situations sont recensés par les établissements, qui remontent l'information au niveau académique pour que le rectorat puisse suivre l'évolution et comprendre les réalités qui se cachent derrière ces chiffres.
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