Lutte contre la solitude ou combat contre l'addiction : les casinos à la croisée des enjeux de santé publique

L'addiction aux jeux est un problème de santé publique qui prend de l'ampleur, et que les casinos doivent combattre sous peine de perdre des clients fidèles. Mais pour les seniors, les établissements de jeux sont aussi un lieu salutaire contre la solitude.

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"Je joue au casino depuis 7 ans, j’ai perdu 10000 euros en tout. J’en ai assez, je veux arrêter. J’essaye de me dire que c’était un loisir et qu’il faut que je tire un trait sur cette perte. Mais c’est très dur. Si je n’arrête pas je vais finir par tomber malade." Ce témoignage a été posté sous le prénom d'Aurélie, sur le site web de l'association SOS Joueurs.

En France, 48 000 personnes sont interdites de jeu, selon le sociologue spécialisé Jean-Pierre Martignoni. C'est sans compter les personnes insérées dans des dispositifs de régulation du jeu. Même si la proportion de joueurs ayant développé un rapport pathologique au jeu d'argent est faible, elle augmente. Et la souffrance, elle, est bien réelle.

Les pratiques problématiques du jeu commencent dès ce qu'on appelle l'usage abusif. Selon le Centre expert régional du jeu pathologique (CERJEP), il se caractérise par une "surconsommation avec des conséquences négatives physiologiques, sociales et physiques". C'est le dernier palier avant la dépendance, définie comme "une incapacité à contrôler le jeu : asservissement, intolérance à la frustration, isolement social, surendettement, syndrome de manque…" Car on peut être dépendant du jeu comme de l'alcool ou de la cigarette.

Ne pas transformer ses clients en patients

Avec leurs locaux sans fenêtre et sans horloges et leurs stratégies commerciales d'incitation à la consommation, les casinos sont parfois perçus comme une machine à dévorer les économies de joueurs sans défense. Sous la pression de l'opinion publique comme par nécessité de conserver leurs habitués, les établissement de jeux se sont il y a longtemps résolus à prendre des mesures sur ce sujet de santé publique.

"On traite depuis plus d'une dizaine d'années ces sujets d'addiction au jeu, à travers un programme de prévention et de lutte contre l'abus de jeu. On veut développer notre activité de façon durable, et donc cette relation clientèle doit l'être aussi. Qui dit relation durable dit relation raisonnée : le jeu doit rester un plaisir, défend Laurent Balmier, le directeur responsable du casino Barrière de Lille. On n'est pas là pour pousser à la consommation, ou tout du moins, on voit ça sur le long terme, parce que comme n'importe quelle entreprise on essaie de faire venir nos clients." Dans ce but pragmatique, les efforts du casino se déploient d'abord vers la prévention, à travers des affichages et des points d'information.

"On a un site internet auquel on renvoie les clients, Préférez un jeu responsable. Ce n'est pas toujours à chaud que les gens sont le plus à même de raisonner, quand ils sont dans cette effervescence mais le lendemain, on leur donne un petit flyer, et on leur conseille d'aller voir tranquillement", poursuit Laurent Balmier. Sur le site, deux questionnaires conçus comme une première étape vers la prise de conscience. Le premier "Quel joueur êtes-vous ?" questionne la fréquence de jeu, et collecte les signes d'alerte. "Avez-vous recommencé à jouer pour tenté de vous refaire ? Emprunté de l'argent ou vendu quelque chose pour jouer ?" Le second, méthode alternative, permet d'évaluer votre budget jeux.

"La troisième fois qu'il se présentera, il sera bloqué à l'entrée"

Mais pour le directeur du casino, c'est surtout à la formation des personnels qu'a été apportée un soin particulier. "Tout le personne en contact clientèle dans les espaces du casino sont formés au jeu responsable, et il y a un volet sur la détection du joueur en difficulté", détaille-t-il. Une fréquence de jeu qui augmente, des demandes sérieuses de truquer le jeu, une irritabilité, des allers et retours répétés entre le distributeur et la salle de jeux... Autant de signes qui sont listés comme pouvant alerter les employés du casino et avant tout les croupiers, au premier poste d'observation. "Ça peut aller à des signes plus flagrants et plus graves, avec des gens qui se délaissent... Ici, on estime que ces cas représentent 1 à 2% des personnes qui fréquentent l'établissement", qui accueille à l'année 650 000 personnes.

Par la suite, le casino essaie de gérer en conséquence, sans se tirer une balle dans le pied. "Il y a un dispositif de limitation volontaire d'accès à l'établissement, qu'on propose aux clients. On leur propose de s'auto-réguler, donc le client va nous dire qu'il veut se fixer une limite de deux visites par mois pendant six mois, pour lever le pied. On a donc un petit contrat, et la troisième fois qu'il essaiera de se présenter, il sera bloqué à l'entrée. Et là, il n'y a pas d'exception."

La limitation minimale est de huit visites par mois et, pour les cas les plus sérieux, le zéro visite peut être appliqué. "Mais ce n'est pas quelque chose qu'on aime faire, s'empresse de préciser Laurent Balmier. Parce qu'on préfère garder contact avec le client, continuer à l'accompagner dans sa pratique du jeu. Si il ne vient plus du tout chez nous, il n'est pas guéri pour autant et il ira ailleurs, ça ne règle pas le problème." La manne financière, elle aussi, ira ailleurs.

Contre la solitude, l'histoire d'amour entre casinos et retraités

Mais pour Jean-Pierre Martignoni, cette problématique, aussi sérieuse soit-elle, ne doit pas oblitérer le rôle que joueent les casinos sur un autre problème de santé publique. En France, la première clientèle des casinos sont les 61-70 ans, talonnés par les pré-retraités et le plus de 71 ans. Or, en 2019, selon une enquête menée par l'association Les petits frères des pauvres, 4.6 millions de Français de 60 ans et plus ressentent de la solitude et de l'isolement, particulièrement les femmes.

"Les casinos ont un rôle social qui doit être souligné, y compris quand on traite la question en termes de santé publique. Les seniors, qui représentent une catégorie importante de population, et qui ne sont pas forcément malades, vont au casino pour jouer mais aussi manger, se distraire, parce qu'ils s'y sentent bien, notamment dans les petites et moyennes villes. C'est une activité ludique et festive qui est bonne pour le moral et la santé de ces personnes, argumente le sociologue. A Cannes, je me souviens que dès 10h du matin, quand les personnes âgées arrivaient pour jouer, le directeur du casino embrassait toutes les petites mamies !"

Les jeux de société, jeux vidéos, jeux de cartes, jeux de stratégie, peuvent de plus jouer un rôle dans la préservation des facultés cognitives, et le retardement de la maladie d'Alzheimer. "On commence sa vie en jouant, et on finit sa vie en jouant" sourit Jean-Pierre Martignoni.

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