Mai 68 : c'était comment dans le Nord Pas-de-Calais ?

Contrairement au mouvement parisien, mai 68 dans le Nord et le Pas-de-Calais ne s'est pas caractérisé par la violence de manifestations estudiantines mais bien par des grèves fortement suivies dans les usines et dans les mines. Ici, les revendications étaient concrètes.

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Comme dans la capitale et dans le reste de la France, mai 68 a démarré dans les universités. Les violents affrontements du Quartier Latin à Paris le 6 mai font 600 blessés. C'est l'événement qui donne le coup d'envoi de la mobilisation lilloise. Le lendemain, 3000 étudiants sont dans la rue, mais les pavés restent scellés. Aucun débordement ne sera signalé lors des manifestations étudiantes, toutes ont reçu l'autorisation du préfet.

Le plus grand rassemblement lillois de 1968 est organisé le 11 mai : 50 000 personnes défilent contre le chômage. Les étudiants sont en milieu de cortège, ni déclencheurs, ni fer de lance. Pas de Dany le Rouge pour les mener, mais un étudiant en économie, qui n'est pas du genre révolutionnaire.

"Nos principales revendications, c'est une co-gestion véritable dans tous les établissements d'enseignement supérieur et au niveau de l'Université dans son ensemble, l'allocation d'études pour les étudiants, pour qu'ils puissent travailler à temps plein dans l'enseignement supérieur, et notre opposition résolue au projet de sélection qui semble encore être à l'ordre du jour", explique Bernard Delmas, alors président de l'AGEL (association générale des étudiants lillois). 

A la faculté de lettres, les cours sont suspendus. Les étudiants lillois occupent les amphis plutôt que la rue. Sur leur nouveau campus de Villeneuve-d'Ascq, ils pataugent dans la boue, manquent de moyens et de profs. 

Beaucoup d'étudiants sont alors issus de la classe ouvrière. Près de la moitié doit travailler pour payer ses études. Cela explique peut-être l'esprit de sérieux de cette jeunesse nordiste et la faiblesse des mouvements révolutionnaires en son sein. Les événements de mai 68 ont tout de même perturbé la tenue des examens, repoussés en octobre.

Les ouvriers prennent le relais

Ce qui a vraiment constitué un tournant pour le mouvement de mai 68 dans le Nord, c'est la journée du 11 mai. 50 000 personnes battent le pavé à Lille et Roubaix. Ce sera la plus grosse manifestation de la région en ce printemps de fièvre. Le Parti communiste, grand ordonnateur du mouvement social avec la CGT, son bras syndical cadre les cortèges et évite les débordements parisiens. Ici, ni pavés ni barricades donc, mais un mot d'ordre : l'emploi. 5000 postes ont effectivement été supprimés en 3 ans dans la métallurgie.

Dans le vieux bastion industriel du Nord, la montée du chômage inquiète déjà les travailleurs. Dès le 13 mai, c'est la grève générale. De l'industrie lourde au textile, en passant par la construction navale et les transports, aucun secteur n'est épargné. Les usines sont occupées, la production paralysée.

De jour en jour, la grève est reconduite avec ses cortèges et ses meetings, comme devant les grilles d'Usinor à Denain. 800 usines et les ports de la région sont à l'arrêt. Partout, les revendications sont les mêmes : "la réduction progressive du temps de travail totalement compensée, l'abaissement de l'âge de la retraite à 60 ans sans abattement, l'extension des droits syndicaux".

Le 27 mai, les accords de Grenelle promettent 35% de hausse du SMIG et de meilleurs salaires : insuffisant pour les grévistes, le mouvement continue. "Y a une affaire qui est véritablement valable pour nous c'est les 40 heures payées 48. L'augmentation par le pourcentage c'est impossible. les gros salaires vont en bénéficier et les petits salaires qu'est ce qu'ils vont avoir ? Comme d'habitude, rien !", s'explique un ouvrier.

L'ambiance est malgré tout bon enfant, comme à Fives Cail où l'on prolonge la grève en dansant. Elle s'arrêtera, au gré des conquêtes ouvrières dans les entreprises. Les 6000 métallurgistes d'Usinor Dunkerque seront parmi les derniers en France à reprendre le travail, le 26 juin, après 36 jours de conflit.

Le cas particulier des mineurs

La grève est très suivie dans les mines, les puits sont à l'arrêt, 85% des gueules noires débrayent. Il faut dire qu'au delà des revendications des ouvriers, eux, se battent aussi pour leur survie. Il est déjà question de fermer des fosses, alors la mobilisation est très forte.

Lors des manifestations, il seront jusqu'à 80 000 devant la Maison Syndicale de Lens, siège du syndicat des mineurs devenu à la Libération, celui de la CGT.

En mai 1968, Louis Bembeneck n'est pas encore le leader syndical qu'il deviendra mais il est déjà de toutes les luttes. "A la radio, on suivait les informations, la révolte des étudiants, les manifestations qui se passaient dans les universtités un peu partout en France et après le mouvement ouvrier qui s'est mis également en marche avec les copains de chez Renault, la SNCF, un peu de tout quoi", se souvient  Louis Bembeneck. 

André Démarez a été un observateur averti des combats des mineurs, ancien journaliste à "Liberté". Pour lui, on ne peut comprendre mai 1968 sans évoquer la grande grève du printemps 1963 : 35 jours qui verront 178 000 des 197 000 mineurs de la région arrêter le travail pour protester contre la baisse des salaires. La population les soutient, leurs enfants sont accueillis dans des familles de la région parisienne.

"Ils ont été reçus par les ouvriers de chez Renault, de chez Citröen - il y avait encore les usines à l'époque - qui vivaient dans les HLM", explique André Démarez. "Les mineurs se sont aperçus que dans ces HLM, il y avait le chauffage central, il y avait une salle d'eau, alors que eux ils se lavaient encore le cul dans un chaudron... Ils se sont dit c'est un autre monde, et on était en train de digérer tout ça avec un renforcement de l'organisation syndicale assez substantiel.

Le 13 mai , la grève est générale en France, 85% des mineurs suivent le mouvement. A l'instar des 800 usines et des ports de la région, les carreaux de mines sont bloqués. La paralysie est totale.

Daniel Francke travaille alors à la fosse Barrois de Pecquencourt, il a l'âge des étudiants parisiens qui jettent des pavés. Le jeune mineur aspire à autre chose; un vent de liberté va alors pénétrer jusque dans les corons. Des traditions familiales se verront bouleversées. "J'ai le souvenir que mes frères donnaient une partie de l'argent qu'ils gagnaient aux parents, ils gardaient l'autre partie et ils faisaient ce qu'ils voulaient avec. Tandis que moi non. Moi l'argent je le rendais aux parents. C'était pas à moi", se souvient Daniel Francke. "Ça, mai 68 a fait que ça a changé d'un coup."

En ce mois de mai 68, les mineurs n'en sont pas à leur première manifestation. En janvier puis en mars, le bassin minier connaît déjà des journées d'action. Des mineurs pour leur immense majorité syndiqués, animés par des revendications plus concrètes que politiques. "Je dois vivre avec 25 000 francs par quinzaine", expliquait alors un mineur. 

Mais les nuages s'amoncellent sur le bassin minier. A l'ouest, près de Béthune, des fosses ont déjà fermé. Le directeur des houillères de l'époque se veut rassurant.

Pourtant, en décembre 1968, la plan Bettencourt prévoit de réduire la production nationale de charbon à 25 millions de tonnes pour 1970, 3 fois moins qu'en 1955. Les centrales nucléaires émergent, la France se rend compte que le pays peut vivre ou presque sans le charbon.

"Les mineurs, au lendemain de la guerre, c'était des héros", souligne Max Hecquet, directeur des HBNPC. "D'un seul coup ils redeviennent au niveau des autres. Les mineurs ne sont plus la force stratégique du pays. C'est la fin d'une époque, et le début d'autre chose.

En mai 1968, bien loin de l'esprit libertaire, les syndicats du bassin minier de la région préparent déjà la reconversion. Il y a du réalisme dans leur combat. Dans le bassin minier de notre région, mai 68 ne sera donc pas le grand soir mais plutôt le début d'une fin annoncée. La France du général de Gaulle va disparaître et avec elle peu à peu  270 ans d'histoire minière. En décembre 1990, la dernière remontée de charbon  aura lieu à la fosse 9 de Oignies.


 

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