Amélie Nothomb n'a pas peur de la mort : "Pour mon enterrement, je veux de la musique metal."

Depuis son premier livre en 1992, la romancière belge fascine et intrigue. Amélie Nothomb est de retour avec un nouvel opus, le 32e, dans lequel elle aborde ses aptitudes psychopompes, ou comment elle est capable d'entrer en relation avec des défunts. Interview mortelle.

Souriante et toute de noire vêtue, d'une voix discrète, Amélie Nothomb prend pourtant toute la place dans Vous êtes formidables, ce lundi 20 novembre 2023. L'écrivaine belge évoque son célèbre chapeau Diabolo, sa passion pour le champagne, son titre de baronne ou encore Frédéric Beigbeder ("Non, nous ne sommes pas mariés, mais nous aimons à entretenir cette légende..."). Mais surtout, elle parle sans fard de la mort, thème prépondérant de son dernier livre, Psychopompe.

Il s'agit de son 32e roman publié, et la précision compte, car Amélie affirme attaquer l'écriture de son 108e livre. "Quoi qu'il arrive, j'écris quatre heures chaque matin, dans un cahier, puis j'en publie environ le tiers ou le quart, confie-t-elle. Le premier but de l'écriture n'est pas la publication, mais il peut arriver, tous les trois ou quatre livres, que j'éprouve le désir de partager ce que je suis en train d'écrire."

"Le procédé est toujours le même, poursuit-elle. Au commencement de l'hiver, je relis tout ce que j'ai écrit dans l'année et sans autre critère que l'instinct et le désir, je vois clairement celui que je vais proposer à mon éditeur."

Nous avons posé à Amélie Nothomb cinq questions autour de la mort, omniprésente dans son dernier roman, publié aux éditions Albin Michel.

Pourquoi ce titre, Psychopompe ?

Le mot "psychopompe" est un adjectif qui peut être un substantif. À la base, c'est l'épithète homérique, par exemple du dieu Hermès, qui est psychopompe parce qu'il escorte les âmes. Par ailleurs, nous ne sommes pas tous appelés à devenir des héros de la mythologie. On peut se considérer comme psychopompe dès l'instant qu'on reçoit un signe d'un disparu et qu'on y croit.

J'insiste sur ce point, parce qu'il existe des gens qui reçoivent des signes de disparus et qui n'y croient pas, qui disent que c'est de l'autosuggestion. Personnellement, je ne pense pas que ce soit le cas. Pour moi, est psychopompe toute personne qui a reçu un signe de la part de quelqu'un qui était disparu.

Beaucoup de lecteurs me confient avoir reçu un signe de leurs défunts.

Amélie Nothomb

Autrice de "Psychopompe"

Je suis moi-même psychopompe et en l'écrivant, je n'ai pas eu peur des moqueries. De toute façon, quoi qu'il arrive, on se moquera de moi ! Il n'en reste pas moins que beaucoup de gens se reconnaîtront en moi. Je sais que je suis très loin d'être la seule, non seulement à avoir reçu un signe d'un disparu, mais aussi à en avoir tiré un réconfort. Beaucoup de lecteurs me l'ont dit.

Vous affirmez avoir été en relation avec votre père décédé, mais pas seulement...

C'est vrai. Jusqu'à présent, j'ai eu trois morts à mon actif. Il y a aussi eu un mort que j'ai refusé. Oui, c'est possible...

Une chose importante à savoir est qu'on n'est pas obligé de se laisser envahir ! C'est comme pour les vivants, s'il y en a un que vous ne voulez pas recevoir, vous dites : "Non, je ne veux pas te recevoir."

Vous avez déposé votre prix Renaudot 2021 dans un cimetière...

C'est certainement le prix littéraire le plus important que j'ai reçu de ma vie. Et j'ai été très heureuse de le recevoir sur un livre que j'ai consacré à mon père, Premier Sang.

Mon père était très sensible aux prix littéraires... Il n'était déjà plus de ce monde quand je l'ai remporté, mais je suis sûre que là où il est, il était très, très, très content que j'aie eu le prix Renaudot. Quand j'ai reçu la bande rouge avec l'inscription Prix Renaudot, je suis tout simplement allée la déposer sur la tombe de mon père.

Interview Mise au Net. Amélie Nothomb répond aux questions que vous vous posez à son sujet sur le net.

Dans Psychopompe, vous racontez le viol collectif que vous avez subi à 12 ans au Bangladesh... Une petite mort ?

Un viol, c'est fou ce que c'est banal. Dans mon cas, je n'avais pas le choix, il fallait que je raconte ce passage de ma vie, il fallait que j'explique comment je m'étais approchée de la mort. Avoir effleuré la mort et en être revenue, je ne sais pas mais, oui, ça a pu être un déclencheur pour que je me révèle psychopompe aujourd'hui.

Avoir subi cette agression, avoir été si mal les années qui ont suivi, avoir souffert d'anorexie, être guérie - car oui, je suis guérie - tout ceci a modifié mon être en profondeur. J'ai aujourd'hui une certaine capacité de résilience et cela m'a peut-être rendue plus disponible aux autres.

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Amélie Nothomb présente son livre "Psychopompe" sur le plateau de "Vous êtes formidables", le lundi 20 novembre 2023. ©FTV

Avez-vous peur de la mort ?

Pas du tout. Je n'ai pas peur de la mort. C'est un état très naturel, nous allons tous mourir, ce qui n'est d'ailleurs pas très grave. Ce qui est très dur, c'est de perdre des êtres chers. Or, perdre quelqu'un et entendre ce quelqu'un qui vous fait signe après sa mort, je trouve que c'est un réconfort formidable !

À mon enterrement, je veux que l'on diffuse du metal, précisément la chanson Lateralus de Tool. D'abord parce que je la trouve très belle, mais aussi parce que c'est un résumé de ma vie. Il y est question de la vue latérale. Or, qui est-ce qui regarde de côté ? Ce sont les oiseaux. Ma vie, c'est cela aussi, l'apprentissage de la vue latérale, une vue qui n'est pas a priori celle de mon espèce.

Ecrire, c'est voler.

Amélie Nothomb

Autrice de "Psychopompe"

J'ai une folle passion pour les oiseaux, qui ont longtemps été un grand mystère pour moi. J'ai toujours su que je voulais voler mais n'étant ni aviatrice, ni parachutiste, ni acrobate, je savais que ce ne serait pas possible. Finalement, c'est en écrivant, c'est-à-dire en faisant la seule chose que j'étais capable de faire, que j'ai réussi à m'envoler.

Comprenons-nous bien, ce n'est pas un état que l'on atteint du jour au lendemain, il ne suffit pas de prendre un stylo et de s'y mettre. Mais en ayant écrit un grand nombre d'années, j'ai fini par trouver à certains moments d'écriture une sensation de grâce qui fait que j'ai la conviction de m'envoler. Dans ma folle prétention, si je pouvais être un oiseau, je serais un engoulevent oreillard, j'adore sa petite tête de gargouille, n'hésitez pas à chercher à quoi il ressemble, c'est fascinant !

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