PORTRAIT. Karim Ounas, l'agent d'entretien hospitalier du Nord devenu médecin anesthésiste-réanimateur

Après avoir quitté l’école à 16 ans sans le brevet, Karim Ounas a réussi à 37 ans sa première année de médecine avec deux enfants en bas âges. Dix ans après, il est, depuis la fin d’année dernière, docteur en exercice à Tournai, en Belgique. Récit d'une belle histoire professionnelle…

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C'est l'histoire d'un gamin d'Houplines, près d'Armentières, né en janvier 1973, qui va déjouer pas mal de pronostics. De son enfance dans une famille "modeste" (papa était ouvrier du BTP et maman femme de ménage) Karim se souvient des copains du quartier et du rugby, commencé à l'âge de 7 ans. 

La famille Ounas, qui a six enfants, n'a pas le luxe de s'offrir tous les loisirs qu'elle souhaite, mais qu'importe, Karim est souvent fourré chez les Nivesse, ses voisins, dont le fils Johnny est un ami ; ou au rugby.

L'école ? Karim y comprend ce qui s'y passe mais ne s'y investit pas du tout. Les parents ne mettent pas la pression, et pour cause : immigrés algériens de 1966 d'un petit village proche de Ténès, seul papa sait lire et écrire - "sommairement" - le français. 

Le rugby et sa "camaraderie", sa "convivialité"

Le petit Karim s'épanouit avec le rugby, une deuxième famille, dans laquelle il découvre une "camaraderie", une "convivialité", une "solidarité". Il y est demi de mêlée et y jouera jusqu'à ses 35 ans, dans son club de coeur d'Armentières, mais aussi à Bailleul. En régionale 1 et Nationale 3. Il sera aussi arbitre, éducateur, puis médecin du club... Mais n'allons pas trop vite...

À 16 ans, Karim quitte l'école, sans le brevet des collèges. "Je voulais travailler, gagner ma vie"Il rentre au centre hospitalier d'Armentières en contrat T.U.C. (Travaux d'Utilité Collective) comme agent d'entretien, en 1989. L'année suivante, il est brancardier, au bloc. Karim ne le dit pas, mais à l'entendre, on devine sa soif, sa faim de découverte. "J'ai aimé apprendre des gestes techniques de secourisme, ce qu'était la pression artérielle... J'en ai pris conscience, ça m'a mis la puce à l'oreille".

De la ressource, de la curiosité mais...

Un état d'esprit qu'il garde à l'armée, l'année suivante (1991). Deux mois à Marseille, puis à Paris, dans la police, pour caler son pas sur celui de Serge Nivesse, le père de Johnny, également policier.

"J'avais le goût d'apprendre et ça m'a plu. J'ai même passé le concours de gardien de la paix", mais là, le jeune homme -qui ne manque pas de ressource- se heurte à son manque de savoirs, à son niveau scolaire. Echec. 

Remise en question, complexe d'infériorité naissant, Karim voit les copains avoir une courbe d'apprentissage exponentielle et lui, se voit stagner. Alors sous l'impulsion de Jean-Louis Merten, chef de service à l'hôpital d'Armentières, où Karim est revenu, une certaine mécanique se met en place...

Courage et patience

Celle du courage et de la patience. Karim veut devenir aide-soignant. Orienté vers une cadre de santé, il suit un programme de formation. "À 22 ans, j'ai sorti les Bescherelle et les Bled pour passer le brevet et ensuite le D.A.E.U. diplôme d’accès aux études universitaires, équivalent du baccalauréat". Tout en travaillant.

Résultat : 1995 obtention du brevet ; 1997 obtention du DAEU et du concours d’entrée à l’école d’infirmiers. Suivent plusieurs expériences en tant qu’infirmier en psychiatrie qui lui permettent "d’appréhender les patients différemment : une bonne école !", mais les gestes techniques et l’aspect physiologique manquent à Karim qui – aujourd’hui – apprécie notamment son poste de médecin anesthésiste – réanimateur pour ses aspects variés sur les plans neurologiques, respiratoires, cardiologiques, pharmacologiques. Alors Karim remet ça : il fait une formation d'infirmier anesthésiste en 2005. 

"Le plus dur ça a été la première année de médecine à Lille… Horrible", lâche Karim. À 37 ans avec deux enfants en bas âges, durant l’année scolaire 2010-2011, il enchaîne les heures et les heures de travail, à la faculté le matin, jusqu’à minuit le soir, voire beaucoup plus tard.

Un moment de flottement… J’ai pensé à mes parents, mes enfants, j’avais réussi !

Karim Ounas, après avoir réussi le concours d'entrée de médecine à Lille

"Beaucoup de personnes n’y croyaient pas. Le jour des résultats, cela a été une sensation bizarre, comme si moi-même, je n’y croyais pas. Un moment de flottement… J’ai pensé à mes parents, mes enfants, j’avais réussi !" Et la pression et le complexe d’infériorité font "Pschiiiit".

Si son serment d'Hippocrate qui conclura ses 10 ans d’études aura été une belle fête avec ses camarades promotion, l’émotion la plus forte a été la réussite de ce concours de première année.

Sur son parcours, Karim estime aujourd’hui, qu’il y a "toujours possibilité d’arriver à quelque chose, si on s’en donne les moyens. C’est plus ou moins facile, en fonction de là où tu nais, mais ce n’est pas forcément déterminant… Il y a aussi la chance ou le fait de savoir s’entourer de bonnes personnes. Au rugby, par exemple, on se tirait vers le haut".

Fier de lui ? Karim Ounas préfère dire "content de cette histoire" qu’il ne raconte pas beaucoup, même à ses enfants. "Je préfère leur dire de travailler, travailler pour avoir le choix de faire ce qu’ils veulent", conclut-il, le sourire en coin.

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