Escaudœuvres : comment la rupture d'une digue du sucrier Tereos aurait tué les poissons dans l'Escaut

La rupture d'une digue de l'usine Tereos d'Escaudoeuvres (Nord), début avril, a entraîné le déversement d'eaux suspectées d'avoir asphyxié des milliers de poissons dans l'Escaut qui traverse la France, la Belgique et les Pays-Bas. Le point sur cette affaire qui a déclenché l'ouverture d'une enquête.

Dans la nuit du 9 au 10 avril, une brèche sur un bassin de décantation de l'usine Tereos d'Escaudoeuvres, près de Cambrai, provoque le déversement d'environ 100 000 m3 (l'équivalent de 40 piscines olympiques) d'eau noirâtre chargée de matière organique, ayant servi à laver les betteraves. Une vingtaine d'habitations sont inondées.

Selon l'Office français de la biodiversité, ces eaux ont "rapidement saturé le milieu aquatique", d'abord dans des ruisseaux avant d'atteindre l'Escaut, qui traverse la Belgique puis les Pays-Bas. En se dégradant dans l'eau, ces matières organiques consomment l'oxygène, asphyxient les organismes et produisent de "l'ammoniac et les nitrites, très toxiques pour toute la faune aquatique".
 



D'après la Wallonie, qui parle d'"une catastrophe environnementale", 50 à 70 tonnes de poissons sont morts côté wallon, une centaine en comptant la mortalité piscicole française. "Il faudra plusieurs années pour reconstruire l'écosystème (...) ce qui est perdu est perdu à jamais", déplore le directeur de la fédération de pêche du Nord, Emmanuel Petit, qui n'a pas vu de pollution si "grave et importante" en vingt ans.

Selon Tereos, qui commercialise ses produits sous la marque Béghin-Say, les analyses effectuées à partir du 10 avril sur "cinq points du cours" ont "permis de constater un retour à la normale dès le 13 avril" et "toutes les mesures possibles ont été prises pour limiter l'impact sur la faune." Le groupe sucrier a installé le 22 avril cinq aérateurs pour ré-oxygéner l'eau.
 


La Belgique accuse la France


Le parquet de Cambrai a ouvert une enquête pour déterminer les éventuelles responsabilités et les conséquences de la rupture de la digue, car les poissons morts "ne sont que les parties visibles de la pollution". La fédération de pêche du Nord compte déposer plainte. "Côté belge, il y aura une enquête pénale, c'est clair, qui permettra ou non d'établir la responsabilité de Tereos", assure le parquet de Charleroi. 
 
Tereos assure cependant qu'il "est encore trop tôt pour établir de quelconques liens de causalité" entre la rupture de la digue et la pollution en Belgique.
 
 
Avertie par un riverain le 20 avril, la Wallonie se félicite d'avoir prévenu immédiatement la Flandre, qui a pu sauver la majeure partie des poissons grâce à des dispositifs d'oxygénation de l'eau. Mais elle accuse la France de "négligence" pour ne leur avoir "jamais" signalé cette pollution, en infraction avec une procédure d'alerte internationale. Paul-Olivier Delannois, le bourgmestre socialiste de Tournai, s'est même fendu lundi d'une lettre adressée au président de la République Emmanuel Macron. "J’ai du mal à comprendre pourquoi les autorités françaises, au courant de cette situation depuis le 9 avril, n’ont pas informé les autorités de notre pays ? Comment expliquer une pareille négligence d’un voisin, d’un allié et d’un partenaire européen ?", questionne-t-il.
 
Si elle n'a pas alerté immédiatement la Belgique, c'est parce que "les mesures effectuées sur le terrain le 10 avril n'ont pas mis en évidence de pollution", justifie la préfecture du Nord, qui reconnaît que les eaux ont "ruisselé vers l'Escaut". Selon elle, "bien qu'une diminution d'oxygène avec l'apparition d'une mortalité piscicole ait pu être constatée dans les jours suivant l'accident, un retour progressif à un taux d'oxygène plus normal a été mesuré".

Un "échange" entre les deux pays a été "instauré", plus tard, quand "la mortalité piscicole est devenue significative côté français" et belge.
 

Une inspection en décembre 2019


La sucrerie d'Escaudoeuvres est soumise à autorisation au titre des installations classées et doit justifier d'un plan de prévention des risques. La dernière inspection par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dréal) date du 24 décembre 2019, selon Géorisques.
 

Un diagnostic géotechnique des bassins a été réalisé en 2016, selon Tereos, affirmant que "la faible hauteur des digues et l'absence d'indices d'anomalies majeures avaient confirmé la pérennité générale des ouvrages".  
 
"Il aurait dû y avoir plus de contrôles des installations de stockage d'eaux dangereuses pour l'environnement", estime cependant la Fédération régionale des associations de protection de la nature et de l'environnement. En février, de l'eau lagunée s'était déjà déversée dans une rivière.
 
En août 2018, une fuite de matière organique de la sucrerie Tereos d'Origny-Sainte-Benoite (Aisne) avait également asphyxié des milliers de poissons de l'Oise. L'association nationale pour la protection des eaux et rivières à truites, ombres, saumons a déposé plainte et le parquet de Saint-Quentin a ouvert une enquête, toujours en cours. 
 
Des négociations amiables se poursuivent entre la fédération départementale de pêche, qui avait demandé 200 000 euros selon la presse locale, et Tereos.
 
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