COP26. "Faire des enfants, c'est égoïste" : arrêter de se reproduire pour sauver la planète ?

A la lumière de l'urgence environnementale, une idée vieille de plusieurs siècles, mais surtout portée par la jeunesse, revient dans le débat : ne pas faire d'enfants est un geste écologique.

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"Finalement, c'est égoïste pour la planète, mais aussi pour les générations qu'on laisse derrière."  ; "On ne sait pas ce qu'on va lui apporter. Est-ce qu'il va s'en sortir dans ce monde ?" A l'image de deux jeunes femmes lilloises que nous avons rencontrées, une partie des jeunes français se demande si se reproduire est bien raisonnable par les temps qui courent.

François Bayrou peut signer des notes tous les jours, mais il ne convaincra pas tout le monde. En mai 2021, le Haut Commissaire au plan publie un document portant sur la décroissance de la natalité française. Le modèle social français faisant reposer la solidarité nationale sur l'ensemble de la population, il est essentiel de continuer à faire des enfants, estime la note, qui ne prend cependant pas en compte les avantages fiscaux dont bénéficient les 5% de Français les plus aisés. 

"L'évolution de la population mondiale est perçue comme un risque"

Aux origines de l'inquiétude, un ensemble d'indicateurs qui pointent tous dans la même direction. L'âge moyen du premier enfant, par exemple, était de 28.8 ans en 1994, contre 30.8 ans en 2020. A cela, il faut ajouter six années consécutives de baisse de la natalité, et un taux de fécondité descendu à 1.84 enfant par femme. 

Tout de même abondamment sourcée et renseignée, la note du Haut commissariat aborde plusieurs fois le croisement entre la natalité et les inquiétudes liées à l'environnement. Une étude de 2019, citée dans le document et publiée dans la revue Caïrn, a été menée auprès de 2148 personnes âgées de 18 à 79 ans. Elle constate que "pour plus des trois-quarts des enquêtés, l'évolution de la population mondiale est perçue seulement comme un "risque". De plus, "lorsque les enquêtés sont invités à choisir et classer les trois questions démographiques jugées les plus importantes à l’échelle mondiale parmi une liste de 6 items, 47 % d’entre eux placent en tête "les effets de la croissance de la population mondiale sur le développement durable".

Depuis la date de publication de cette étude, les choses ne se sont pas franchement arrangées. En 2021, le jour du dépassement est arrivé le 29 juillet. Cela signifie qu'en 6 mois et 28 jours, l'humanité a épuisé l'ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en un an. Cette échéance s'est tragiquement dégradée avec les années : en 1970, le jour du dépassement était établi au 29 décembre. 

En août 2021, le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) assombrit encore l'atmosphère. Certaines conséquences du réchauffement de la planète, largement attribué aux activités humaines, sont désormais irréversibles "pour des siècles voire des millénaires". Dans tous les scénarios présentés, la hausse de la température de la planète atteindra +1.5°C en 2030, avec des conséquences déjà catastrophiques, notamment sur la montée des eaux. 

"Faire des enfants, c'est égoïste" mais...

Laurie Talus est particulièrement consciente de la dégradation de l'environnement. A 25 ans, la jeune femme est trésorière dans un groupe immobilier particulièrement actif sur sa politique écologique, et vit dans l'agglomération lilloise. Ses convictions nourrissent son désir de ne pas avoir d'enfants. "Faire des enfants, c'est égoïste. On le fait pour soi, pas pour les autres. Même si dans un sens je comprends, c'est un besoin de partager une union d'amour, plus que de réfléchir à ce que veut dire faire un enfant, mûrit la jeune femme. L'enfant, on ne sait pas ce qu'on va lui apporter. Est-ce qu'il va s'en sortir dans ce monde ? Sur quelle planète il va vivre ? Est-ce qu'on va réussir à changer de société ou est-ce que ça va continuer, on ne sait pas jusqu'où ?"

Cette conclusion est l'aboutissement de plusieurs années de réflexion. Laurie Talus n'a en effet pas toujours tenu cette position. "Quand j'étais plus jeune, entre 18 et 20 ans, la personne avec qui j'étais me projetais dans ce désir d'enfant, et j'étais convaincue. Quand je me suis sortie de cette relation, je me suis fait mon propre avis. Je voulais devenir mère parce que la personne avec qui j'étais idéalisait tout ça. C'était l'étape logique. Mais le temps passe, et on remet les choses en question, aussi avec ce qu'on voit dans son entourage. Je me demande si je veux cette vie-là, et si ça colle à mes valeurs." 

Dès qu'elle a pris son indépendance, cette professionnelle de la finance a rejoint les rangs des activistes silencieux : utiliser les transports en commun, se permettre des courses zéro déchet et éviter les supermarchés... Un mode de vie qui, avec des enfants, implique une organisation massive, et un temps conséquent. 

"Je dirais qu'on se pose de plus en plus la question, mais chez les jeunes. Mes collègues, par exemple, qui ont 30 ou 40 ans, ils ont fait leurs enfants ou sont en train de les faire. Quand je leur parle de ça, ils me disent qu'ils comprennent, mais il y a toujours un "mais" qu'ils ont du mal à expliquer, raconte Laurie Talus.  Je pense que ça n'a pas fait partie de leur réflexion. Ma mère, qui a pourtant vécu les années hippies, proches de la nature, ne s'est pas posé la question non plus. Ses parents avaient connu la guerre, ils étaient dans un modèle où on veut faire des enfants pour protéger la famille, les valeurs, le message que notre Histoire continue. Aujourd'hui, nous, on dit : est-ce que qu'on veut que notre histoire continue ?"

Si le désir d'enfant devait finalement frapper à la porte, Laurie Talus préférera l'adoption. "Je préfère éduquer un enfant qui est là, qui a besoin d'être entouré. Mais l'adoption, aujourd'hui, c'est très dur, les délais sont très longs. Est-ce qu'on pourrait trouver des solutions et en faire une politique écologique ?" 

Neetu Bombaert, 24 ans, travaille dans la communication à Lille. Elle ne part pas du même principe, mais arrive aux mêmes conclusions. "J'ai récemment commencé à me rendre compte de la gravité de la situation environnementale. Jusqu'à mes 22 ans, c'était toujours une évidence : j'allais avoir des enfants, je voulais avoir des enfants. Mais plus je songe à ce que je peux faire à ma petite échelle pour ne pas aggraver la situation, je me dis que ne pas avoir d'enfants est un énorme pas, remarque la jeune femme, tiraillée. Finalement, c'est égoïste pour la planète, mais aussi pour les générations qu'on laisse derrière. J'ai le sentiment qu'à vouloir trop jouer à Dieu, on a causé des dégâts qui sont irrattrapables. Faire naître des enfants dans un monde autant orienté vers le profit, ça causera forcément leur perte."

Neetu Bombaert, elle, ignore si elle sera capable de se priver d'être mère. "Même si j'ai tout ça en tête, je ne suis pas à l'abri d'en faire quand même dans 5 ans. C'est en moi depuis tellement longtemps, je ne sais pas si j'aurais la lucidité d'esprit de faire ce choix. Je suis avec quelqu'un pour qui c'est important, je sais que ça pèsera dans la balance. Je ne sais pas si je pourrais y renoncer. Au fond, l'envie est là, mais mes inquiétudes la font vaciller."

L'environnement, préoccupation numéro 1 des jeunes

Comme elles, une génération entière essaie de prendre ses responsabilités pour protéger la planète. Un exercice difficile, où les possibilités de donner de la voix sont parfois plus nombreuses que celles d'agir. Une étude du Crédoc donne des indicateurs intéressants. "L'environnement est en tête des préoccupations chez les 18-30 ans (32%), devant l'immigration (19%) et le chômage (17%)." De plus, "l''engagement des 18-24 ans pour la défense de l'environnement progresse : 12% d'entre eux ont participé aux activités d'une association en 2019, contre seulement 3% en 2016." Leurs modes de transports sont plus écologiques, et ils sont plus ouverts aux modes de consommation alternatifs comme le troc, l'emprunt, l'achat de seconde main...

Mais aucune génération n'est parfaite : les 18-24 ans restent "de gros consommateurs", notamment de l'industrie multimédia. Ils seraient aussi moins attentifs que leurs aînés aux petits gestes du quotidien. Cette étude ne prend cependant pas en compte plusieurs biais, comme la situation locative des jeunes, éventuellement hébergés chez leurs parents, ou le niveau de vie. 

A cette prise de conscience qui semble s'inscrire comme générationnelle, on peut avancer au moins une explication. Plusieurs facteurs comme le travail de communication des activistes et l'avènement des réseaux sociaux ont mené à une médiatisation accrue de la question environnementale. Selon l'INA, la part des sujets dédiés à l'environnement dans les journaux télévisés a triplé depuis les années 1990. Dans la presse écrite grand public, le tournant s'amorce au début des années 2000, avec plusieurs créations de rubriques dédiées et recrutements de journalistes spécialisés. 

Plus récemment, le sujet s'est importé dans les sphères médiatiques plébiscitées par les plus jeunes. La campagne "L'affaire du siècle", lors de laquelle des militants ont assigné l'Etat en justice sur la question climatique, a reçu le soutien de youtubeurs stars, dont le duo McFly et Carlito, 6.8 millions d'abonnés au compteur. 

De Thomas Maltus à Matrix : les humains, maladie de la planète ?

L'idée que trop d'enfants nuit à la planète, elle, est bien plus ancienne. Elle puise sa source dans le malthusianisme, une doctrine prônant la restriction démographique et forgée en 1849 sur la base des travaux antérieurs de l'économiste Thomas Maltus (1766 - 1834). Le Haut commissaire au plan François Bayrou y consacre d'ailleurs un passage de sa note sur la démographie française. "Il faut se souvenir de l’ouvrage de Paul R. Ehrlich, The Population Bomb, en 1968 ou du rapport du Club de Rome qui, en 1972, mettaient en avant les risques encourus par la planète en raison de la croissance démographique et économique. (...) Ce courant de pensée a été revivifié avec la prise de conscience aigüe des effets du réchauffement climatique et la crainte d’une disparition des ressources naturelles à très grande échelle."

Le concept s'est même fait une place dans des oeuvres de fiction grand public, comme Matrix, où l'Agent Smith estime que les humains sont "une maladie, un cancer pour cette planète". Plus récemment, le film d'espionnage Kingsman met en scène un antagoniste bien décidé à réguler la population lui-même, avant que la planète ne s'en charge. 

La fiction trouve sa source dans un chiffre bien réel : selon la projection moyenne de l'ONU, nous serons près de 10 milliards sur terre en 2050. La note du Haut commissariat au plan note l'existence de mouvements comme les "Ginks" ("Green Inclination, No Kids")* aux Etats-Unis, ou l'ONG Population Matters** au Royaume-Uni. Difficile de savoir combien pèsent en réalité ces mouvements dans la population générale. Difficile aussi de savoir si la décroissance de la population, un processus long à mettre en place, pourrait vraiment peser à l'heure de l'urgence.

* Qui pourrait se traduire approximativement par "Penchants écolo, pas d'enfants", faute d'équivalent en Français.

** Qui pourrait se traduire approximativement par "Questions de population"

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