Ancien fleuron de la sidérurgie, Denain n'en a pas fini avec la sinistrose

Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, se rend ce vendredi à Denain (Nord), l'une des communes les plus pauvres de France.

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Le théâtre de Denain, petite réplique de l'Opéra Garnier avec dorures et plafond peint, surgit au milieu des maisons de "marchands de sommeil". Cette survivance d'un riche passé détonne dans l'une des villes les plus pauvres de France, où Bernard Cazeneuve doit annoncer ce vendredi des mesures sécuritaires. Trente-cinq ans de marasme ont défiguré Denain : 33% de chômage - un chiffre qui monte à 60% chez les 18-25 ans -, 75% des ménages exonérés d'impôts, 6 700 euros en revenu annuel moyen par foyer (soit 558 euros par mois)...

Près du théâtre, la médiathèque, l'école d'arts plastiques ou encore l'immense salle des fêtes, véritable cathédrale de brique, ont été édifiés en des temps d'abondance, quand Usinor, géant de la sidérurgie, employait ici entre 12 000 et 15 000 salariés. "Avoir 20 ans à Denain, c'était l'eldorado. Les Valenciennois venaient y faire la fête", relate Annie Denis, vice-présidente de l'Union des commerces et artisans. Mais depuis la fermeture d'Usinor-Denain au tournant des années 1980, la cité a perdu 12 000 de ses 30 000 âmes. "On n'a pas su se relever. D'ailleurs, on ne se relèvera plus. Je suis en train de finir mon affaire, après je fiche le camp. Loin !", s'exclame Véronique, tenancière du "Café du théâtre", désert.

Melting-pot

L'extrémité de la rue principale et le quartier attenant, constitués de petites maisons de ville impropres aux commerces modernes, ont été investis par des "marchands de sommeil". Ces particuliers peu scrupuleux, attirés par le très bas prix de l'immobilier, divisent les logements jusqu'à cinq ou six fois pour y loger autant de familles pauvres. Depuis 2014 et l'entrée dans l'espace Schengen de la Roumanie, cela concerne surtout des familles roms. Poussés par la précarité, certains se livrent à des vols et cambriolages. Des jeunes du coin, oisifs ou déscolarisés, insultent aussi les passants. Ils cassent des abribus ou trafiquent du cannabis, dénonce la maire Anne-Lise Dufour-Tonini (PS), qui vient de réclamer "un plan Marshall" pour sa ville.


De quoi alimenter le ressentiment de nombreux Denaisiens, fatigués de voir "s'ajouter la misère à la misère". La maire a également pris un arrêté anti-rassemblements dans plusieurs rues, une mesure polémique. "Plutôt que de combattre les misérables, combattons la misère. On a fait des boucs-émissaires", dénonce David Audin, élu PCF d'opposition. "Les gens sont de plus en plus sales et irrespectueux", tempête Sébastien, patron d'une boutique de cigarettes électroniques, récemment victime d'un cambriolage par deux Roms. Pour autant, son commerce marche bien: "Les Denaisiens aiment bien vapoter, papoter... Je vais même bientôt installer un bar à vap'", explique le trentenaire. Justement venu "papoter", Julien, 23 ans, fait partie de ces jeunes à l'avenir bouché. "J'ai un contrat d'avenir avec la Ville, pour nettoyer les rues. Mais ça s'arrête en avril", regrette-t-il, se voyant bien partir. 

Stigmatisation

L'option était inenvisageable pour Grégory, 36 ans, marié, quatre enfants, au chômage depuis cinq longues années et qui a enchaîné les logements insalubres. "Je dois m'occuper de ma mère qui habite ici. Pour ne pas rester enfermé devant la télé, je suis toute la journée dehors à voir des potes", raconte ce petit homme, avant de remonter sur son vélo. Mais la stigmatisation répétée de la ville pèse sur ses habitants. "Faut arrêter de dire que Denain est la ville la plus pauvre de France, j'y ai grandi et je m'y sens bien !", lance Mathieu, 35 ans, employé dans une auto-école. Au bistrot Le Lutécia, face à la mairie, le melting-pot convivial qui brasse quotidiennement anciens immigrés italiens, polonais et maghrébins témoigne aussi d'une richesse humaine évidente.

La ville a d'autres atouts : un bassin de réparation de péniches facile à relier au futur canal Seine-Nord, l'autoroute toute proche, les structures culturelles héritées de l'époque Usinor, un épais tissu associatif, d'excellents résultats sportifs... Pour Anne-Lise Dufour-Tonini, construire une bretelle d'autoroute vers la friche d'Usinor pourrait d'ailleurs convaincre les entreprises de s'installer. "C'est vrai qu'on a déjà obtenu des aides. Mais pas à la hauteur de ce qu'on doit avoir. Denain a tant donné à la France !".

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