Dans le contexte de crise sanitaire, plusieurs députés de la majorité ont été menacés de mort. Sur le fond, une crise de confiance jamais vue. Les partis politiques régulent-ils suffisamment leur base ? Quel rôle des réseaux sociaux et d'internet en général ? Quelles condamnations prévues par la loi ?
La politique, c’est difficile. Elle le savait en se lançant. Avait-elle imaginé à quel point ? Valérie Petit est députée (Horizons) de la neuvième circonscription du Nord. Ce 31 décembre, elle a reçu des menaces de mort dans sa boîte mail. L’expéditeur éphémère se fait appeler "mortapproche". Il lui promet un "assassinat filmé, qui sera archivé".
Une grande colère
La politique, oui, c’est difficile. Les élus ont l’habitude des débats houleux, des combats. Aucun n’est réellement armé pour faire face à de tels messages anonymes. Les menaces et l’assassinat dont a été victime l’enseignant Samuel Paty sont là pour en témoigner : il ne faut plus rien prendre à la légère.
Alors nous interrogeons Valérie Petit : avez-vous peur ? "La peur, elle est surtout dans l’entourage. Je n’ai pas de protection dans mon quotidien (…). J’en ai ras-le-bol. Je ne suis pas venue ici pour avoir peur d’aller faire des courses avec mes enfants".
Depuis le début de la crise sanitaire, ce type de messages s’est multiplié. Pour la députée du Nord, une sinistre habitude s’est installée. Le projet de loi sur le pass vaccinal a attisé les tensions. "Mon sentiment, c’est une grande colère. Je ne supporte pas qu’on contraigne ma liberté de vote". L’élue portera plainte. "C’est la procédure" dans la majorité.
La multiplication des menaces
Car ils sont de plus en plus nombreux à être ainsi pris pour cible. La semaine dernière, le véhicule et le garage du député LREM de l'Oise Pascal Blois ont été incendiés. Difficile d'en quantifier le nombre faute de remontée systématique, mais cela inquiète. Dans l’Oise encore, la députée LREM Carole Bureau-Bonnard a, elle aussi, reçu une lettre de menaces lui intimant de bien réfléchir à son vote "ou la prochaine fois, c’est chez vous qu’on se déplace". Sa permanence de Noyon a été taguée. On pouvait y lire "Votez non" ou encore "Dictature stop".
Dans l’Aisne, c’est le député LREM Jacques Krabal qui a été visé au début du mois de décembre. L’élu a reçu un courriel d’un certain "onvatetuer" lui promettant "une décapitation sur la voie publique". Pour Valérie Petit, le constat est terrifiant. "La liberté d’expression des uns est vécue comme une violence par les autres. Notre monde n’a jamais été aussi contradictoire et incertain".
Les réseaux sociaux ont changé le rapport entre élus et population
Indéniablement, le monde a changé et, avec lui, la façon de faire de la politique. En jouant le jeu des réseaux sociaux notamment, les élus se sont-ils mis à portée de menaces ? "En 2010-2011, au moment du tournant participatif, les réseaux sociaux sont devenus des espaces incontournables pour s’informer", nous explique Coralie Le Caroff, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris. "On était enchantés. Ces espaces allaient permettre de recréer du lien. Les journalistes et les politiques s’y sont mis".
A partir de 2015, l’ambiance change. "On a vu émerger un espace d’expression moins régulé. Ça passe par l’humour, les photos… et puis l’insulte et la colère. Il y a des prises de parole virulentes qui sortent des cadres. (…) On a des groupes d’extrême-droite pour lesquels ça fait partie de la stratégie militante de faire des raids sur des fils de discussions".
Selon la chercheuse, il y a une imbrication de logiques numériques, techniques "qui favorisent l’expression spontanée des émotions". Tout en restant prudente, Coralie Le Caroff décrit le "sentiment d’impunité par la médiation de l’écran". Les élus sont sortis de leur tour d’ivoire parlementaire. Ils sont désormais au centre de l’arène.
Impunité ? Pas vraiment
"C’est un peu le conducteur dans sa voiture qui insulte le conducteur d’à-côté parce qu’il se sent protégé. On dit des choses qu’on ne dirait pas en face", précise l’avocate lilloise Lina Williatte.
L’adresse est éphémère, alors l’auteur du message se dit que ça ne sera pas traçable. C’est faux !
Lina Williatte, avocate
Et elle insiste pour que nous l’écrivions. Les auteurs de menaces doivent le savoir. Aujourd’hui, les enquêtes remontent le fil des mails.
La menace de mort est un délit qui est du ressort d’un tribunal correctionnel. Dans les cas étudiés ici, ils relèvent de l’article 222-17 du Code pénal. "Dans l’alinéa premier, la menace d’un crime est passible de 6 mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. Dans l’alinéa second, s’il s’agit d’une menace d’assassinat explicite, et c’est le cas ici, le prévenu risque jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende".
Revaloriser le rôle du député
Certains députés menacés préfèrent aujourd’hui se taire. Ceux que nous évoquons dans cet article ont fait un autre choix : raconter la violence pour dire qu’ils ne sont pas impressionnables. "Ces élus montrent que leur rôle n’est pas évident à assumer", poursuit Lina Williatte.
La fonction de représentant entraîne une menace sur leur vie. C’est parce qu’ils sont députés qu’ils sont exposés.
Lina Williatte, avocate
Si elle assure ne pas avoir peur, Valérie Petit n’en est pas moins ébranlée. "Pourquoi trouve-t-on normal d’insulter un député ?", interroge-t-elle. "Parce qu’on a oublié son rôle premier de porter la parole des Français. Il faut rendre le pouvoir au Parlement".
De son histoire, elle a décidé de faire quelque chose de "positif"… de politique surtout. Aujourd’hui, l’élue réclame une réforme profonde des Institutions de la Vème République. "J’ai toujours été pour la proportionnelle. Je suis aussi pour une inversion des calendriers : les législatives avant la Présidentielle. Il ne tient qu’au président de la République de donner cette inflexion parlementaire".
Crise de confiance et crise des partis
Une telle réforme peut-elle vraiment résorber le fossé entre élus et population ? La chercheuse Coralie Le Caroff évoque une "crise de confiance qui n’est pas nouvelle". Et sur ce point précis, les réseaux sociaux n’y peuvent rien. Pour la députée Valérie Petit, les partis politiques ont une responsabilité dans ce climat de tensions.
Quand on arrive en politique, on découvre ce déversement de haine. (…) Il y a une joie mauvaise de voir des élus pris pour cible.
Valérie Petit, députée du Nord
Et de pointer du doigt les "populistes". "Leur ennemi, c’est le Parlement. Ils se repaissent de ce qui arrive aux élus de la majorité". Allusion notamment aux récents tweets du candidat d’extrême droite Florian Philippot qui menaçait de "communiquer abondamment sur les noms des coupables", autrement dit les députés ayant approuvé le pass.
Aujourd’hui, Valérie Petit réclame une régulation au sein des partis. Une façon de tenir les troupes. "Ils doivent avoir des instances de sanctions disciplinaires fortes". A ses yeux, une indispensable étape pour sauver la démocratie participative.
Le sujet inquiète jusqu’au sommet de l’Etat. Le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux devraient rencontrer le président de l’Assemblée nationale dès janvier. Pour le moment, aucune date n’est fixée.