Absent au procès de Châteauroux, le département du Nord est finalement visé par une plainte pour des manquements de son Aide Sociale à l'Enfance (ASE). Entre 2010 et 2017, des enfants de l'ASE du Nord ont été placés dans des familles d'accueil sans agrément du centre de la France. Là-bas, ils seront victimes de violences.
Leurs bourreaux ont été condamnés le 18 décembre dernier lors du procès de Châteauroux. Mais quid de celui qui les a placés entre leurs mains ?
Une plainte a été déposée le 20 janvier 2025 par les avocats des victimes contre le département du Nord dans l'affaire des enfants placés et maltraités.
Entre 2010 et 2017 le département a, par le biais de son service d'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), confié des enfants à des familles du centre de la France ne disposant pas d'agrément, exposant ces derniers à des faits de violences, de conditions de vie indignes, mais aussi de surdosages médicamenteux.
Les associations mises en cause ont perçu des sommes importantes de la part du Conseil départemental du Nord en accueillant ces enfants. Des indemnités estimées entre 630 000 et un million d'euros.
Pourquoi une plainte a-t-elle été déposée ?
"Le jugement qui a été rendu par le tribunal correctionnel de Châteauroux précise de manière dénuée d'ambiguïté que la responsabilité est essentiellement issue des carences répétées et renouvelée du Conseil départemental du Nord", explique Me Jean Sannier, l'un des avocats à l'origine de cette plainte. "C’est le Conseil départemental du Nord qui a permis la réalisation de ces infractions."
Entre le procès de Châteauroux et le 20 janvier 2025, plusieurs mois se sont écoulés. Un temps durant lequel "le Conseil départemental aurait eu la possibilité de se manifester." Au cœur des interrogations qui persistent chez les avocats dépositaires de la plainte : le comportement du département du Nord.
C'est le Conseil départemental du Nord qui a permis la réalisation de ces infractions.
Me Jean SannierAvocat au Barreau de Lyon
Tout d'abord, "imaginez une institution qui se fait quasiment voler 630 000 euros et qui ne daigne même pas venir à l'audience [à Châteauroux, NDLR] réclamer ne serait-ce que l'euro symbolique", pointe l'avocat. Aussi, pourquoi le président du département "ne s'est-il pas manifesté ? Pourquoi n'a-t-il pas signalé auprès de ces enfants un soutien ? Pourquoi ne s'est-il pas constitué partie civile à cette audience ?" Autant de questions que l'enquête pourra éclaircir.
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Dans la plainte, que nous avons pu consulter, les avocats estiment que c'est au Président du Conseil départemental du Nord que revenait la tâche de s'assurer du bon fonctionnement de ses services ainsi que du respect de leurs obligations. Ils pointent un lien de causalité entre l'absence de contrôle de la part du département et les dommages subis par les enfants, d'autant plus que l'ASE aurait été avertie des mauvais traitements subis par ces derniers.
Leur plainte a donc été déposée aux motifs de l'infraction non-intentionnelle de blessures involontaires et de la non-dénonciation d'atteintes infligées à des mineurs.
Qui est visé par cette plainte ?
Cette plainte "vise d'abord le Conseil département du Nord, ensuite, ce sera aux enquêteurs d'identifier les responsabilités", poursuit Me Jean Sannier.
Mais entre 2010 et 2017, quatre Présidents de département se sont succédé dans le Nord : Bernard Derosier, Patrice Kanner, Didier Manier et Jean-René Lecerf. Depuis juillet 2021, c'est Christian Poiret qui est à la tête du département.
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Cette situation n'est pas un problème pour l'avocat. "On ne va pas parler des hommes, on va parler de la fonction", précise-t-il. "Qu'est-ce qui empêche l'actuel Président du Conseil département du Nord de demander des comptes à ces gens qui ont détourné ces fonds, qui ont spolié le département du Nord pendant sept années et qui ont été incapables de répondre correctement à la mission confiée ? (...) Le Code de l'action sociale et des familles dit que le Département doit protection et assistance à ses enfants, ce n'est pas ce qui a été fait."
Jean-René Lecerf, président du Département de 2015 à 2021 a accepté de répondre aux questions de France 3 Hauts-de-France. Pour lui, ce dépôt de plainte "n'est pas une surprise".
"Ces enfants ont subi un préjudice important, ils ont droit à réparation de leur préjudice", juge-t-il. "Je suis de ceux qui souhaitent qu'on fasse toute la lumière sur ce dossier. Qu'on interroge beaucoup de monde, qu'on interroge les quatre présidents qui se sont succédé, qu'on interroge aussi les vice-présidents qui étaient chargés de l'enfance, qu'on interroge les directeurs généraux des services, qu'on interroge les directeurs généraux en charge des affaires sociales et les directeurs de l'enfance. C'est à ce moment-là que l'on saura réellement comment les choses se sont mises en place, comment les choses ont commencé."
Quelles suites dans ce dossier ?
"Des comptes sont à rendre", estime Me Jean Sannier. "Il va nous falloir comprendre comment dans ce Conseil départemental du Nord les choses ont pu pendant des années perdurer."
C'est le Parquet de Lille qui aura la charge d'éclaircir les responsabilités de chacun dans cette affaire. Le travail des enquêteurs va servir à identifier précisément les auteurs des faits dénoncés par les avocats. La justice pourra ensuite se prononcer sur les peines.
Au sujet des manquements de l'ASE, Christian Poiret, actuel président du département du Nord, sera entendu par une commission d'enquête parlementaire le 5 février prochain.
Propos recueillis par Myriam Schelcher et Jean-Marc Vasco pour France 3 Hauts-de-France