Le coût de fabrication des repas dans les écoles a augmenté d'environ 10% sous l'effet de la hausse générale des prix. De quoi tracasser les municipalités du Nord et du Pas-de-Calais, tiraillées entre deux choix : faire payer les familles ou rogner sur le budget communal.
La cantine scolaire, victime de l'inflation. Ces dernières semaines, la flambée des prix atteint des sommets, sous l'effet de la guerre en Ukraine et des pénuries de matières premières. En mai, l'inflation chiffrait à 5,2 % sur une période d'un an, soit son plus haut niveau depuis trente-sept ans, selon l'Insee.
Légumes frais, viande, pâtes, huile... Les denrées alimentaires ne sont pas épargnées par ces hausses. Mécaniquement, le coût moyen des plateaux repas dans les cantines, souvent préparés par des prestataires, a sensiblement augmenté. "De l'ordre de 5 à 10%", selon les chiffres indiqués par Philippe Laurent, sur France Info, vice-président de l’Association des maires de France (AMF). Jusqu'à 15% selon l'association de gestionnaires de cantines scolaires (Agores).
Le casse-tête des communes
Avec cette inflation, les municipalités se retrouvent face à un véritable casse-tête : que faire ? Répercuter cette hausse sur les familles, qui sont autant d'électeurs potentiels ? Figer les prix et absorber les coûts dans le budget de la Ville, quitte à devoir plus tard augmenter les impôts ? Ou bien revoir le contenu des menus avec des aliments moins couteûx ?
Dans une circulaire publiée le 23 mars, le gouvernement demande aux collectivités locales de supporter seules l’augmentation des prix, et ne pas la répercuter sur les familles. Mais pour les plus petites communes, déjà privées de taxe d’habitation et de dotations d’État en berne, la facture parait lourde à porter seule.
L'AMF est alors montée au créneau, proposant à Matignon un blocage des prix pour les collectivités. Selon Philippe Laurent "à peu près la moitié des communes" sera d'ores et déjà contrainte d'augmenter leurs tarifs à la rentrée 2022. Une décision difficile à prendre, alors que la cantine scolaire, dont ils ont la charge, est un sujet politiquement sensible.
Dunkerque n'augmentera pas ses tarifs
Dunkerque fait partie de ces communes qui a fait le choix de ne pas toucher aux prix pour l'année prochaine. La Ville l'a fait savoir dans un communiqué publiée le 30 mai dernier : "la hausse du coût des 2 500 repas servis quotidiennement aux enfants dunkerquois ne sera pas répercutée sur les familles.". Actuellement, les prix s’échelonnent de 1.30 € à 6.50 €, selon les ressources des familles, pour un coût de revient de 9 € par repas.
D'autres haussent leur prix
D'autres communes ont répercuté la hausse des prix de leurs fournisseurs. C'est le cas de Meurchin, dans le Nord, où 220 enfants mangent quotidiennement à la cantine. En janvier 2022, son prestataire (API restauration) a révisé le contrat signé avec la commune, pour augmenter le tarif du repas de 10 centimes, sous le coup de l'inflation et de l'instauration de la loi Egalim 2 depuis le 1er janvier dernier obligeant les cantines à proposer 50% de produits durables et de qualité. En avril, la municipalité a répercuté cette hausse du même ordre sur les familles, lors d'un vote au conseil municipal.
On s'est aligné sur la hausse des tarifs du prestataire (API Restauration) et je rappelle que la commune ne fait pas de bénéfices sur les prix des repas.
Grégory Dedieu, directeur général des services de Meurchin
Un choix resté en travers de la gorge de Cathy Wasylikow, conseillère de l'opposition citée par la Voix du Nord : "Deux augmentations la même année, ça commence à faire beaucoup." "On s'est aligné sur la hausse des tarifs du prestataire (API Restauration) et je rappelle que la commune ne fait pas de bénéfices sur les prix des repas, justifie Grégory Dedieu, directeur général des services de la Ville. Nous ne pouvions pas absorber ce coût supplémentaire sans déséquilibrer notre budget 2022." Le surplus aurait coûté 7.600 € par an pour la commune.
"La commune prend 90% de cette hausse à sa charge"
Du côté de Harnes, la même hausse fait également grincer des dents l'opposition. Mais le maire de cette commune d'environ 13.000 habitants explique son choix. "Entre 2018 et 2022, le coût par repas de notre fournisseur est passé de 2,20€ à 2,95€, précise-t-il, alors que la commune a fait le choix de mettre à table 50% de produits durables et locaux et 42% de produits bio en 2022. En trois ans, nous n'avions jamais répercuté cette hausse sur nos prix."
Mais en avril, la commune a toutefois choisi de relever les tarifs de 10 centimes pour les familles. "Cela représente seulement 10% de la hausse totale, nous en prenons 90% à notre charge", se défend l'édile, qui rappelle que le coût de revient d'un repas s'élève à près de 11 euros, en comptant le personnel, les transports, l'énergie etc.
L’alternative : réduire la taille des menus
Pour faire face à cette inflation, des alternatives ont été trouvées par certaines communes, hors du Nord et du Pas-de-Calais. La ville de Chaville, en Haut-de-Seine, a décidé de raccourcir la carte de son menu, afin de faire des économies. "Il n'y a plus d'entrée, par exemple de temps en temps, il n'y a plus de fromage (…). Mais la quantité de nourriture reste la même", assure Stéphane Idoine, directeur général adjoint de l'éducation à la mairie.
A Harnes, le maire dit pouvoir faire de même, en enlevant un des cinq contenus du menu proposer aux enfants. "Ça reviendrait à moins cher, avoue-t-il. Mais je ne l'ai pas fait, car je veux être sûr que l'enfant ait un vrai repas à la cantine, j'y tiens." Dans cette ville du bassin minier, près de la moitié des inscrits à la cantine bénéficient des tarifs sociaux de la première tranche.
La gronde des parents d'élève
Réduire les menus, l'alternative ne convient pas non plus aux syndicats de parents d'élève. "Rogner sur la qualité, c'est totalement inacceptable, estime Laurent Zameczkowski, vice-président de la PEEP dans l'Académie de Versailles, sur France Bleu Paris. Donc cette question-là, on l'oublie tout de suite."
La hausse des tarifs par les collectivités n'est pas non plus une option. "Cela fait vingt ans qu'on se bagarre pour l'accès à la cantine scolaire à tous les enfants, affirme Karine Dupuis, président de la fédération des parents d'élèves (FCPE) dans le Pas-de-Calais. Alors nous nous battrons forcément contre la hausse des tarifs." Sa crainte ? Que les familles les plus pauvres retirent leurs enfants de la restauration scolaire sous l'effet de cette hausse des prix. Ils seront alors privés d'un repas équilibré, voire d'un repas tout court. "Un enfant qui ne mange pas correctement, ne peut pas étudier correctement.", tient à rappeler ce parent d'élève.