Rémy Kauffeisen est artisan depuis 30 ans. Angoissé par le changement climatique, il a décidé de se lancer dans une production agricole écologique et sans produits chimiques. Dans des "pré-vergers" inspirés du paléolithique, ses moutons et pommiers vivent en harmonie. Il nous explique sa démarche.
Écoanxiété. Entré en 2023 dans les dictionnaires de la langue française, il s'agit d'un nom féminin qui décrit une "forme d'anxiété liée à un sentiment d'impuissance face aux problématiques environnementales contemporaines" écrit le Larousse dans ses colonnes. Si l'ouvrage détaille que ce mal touche "surtout les 18-24 ans", Rémy Kauffeisen, 49 ans, n'est pas épargné. Il y a 10 ans, ce Nordiste établi à Hem s'est lancé dans l'agriculture pour combattre cette angoisse et "faire quelque chose pour la planète", raconte-t-il.
C'est un fait, l'intensification des pratiques agricoles fragilise les écosystèmes. D'après un rapport publié par l'INSEE, l'agriculture est responsable de 94% des émissions d'ammoniac dans l'atmosphère en 2022, faisant de cette dernière le premier émetteur ne NH3 dans l'air. Mais le modèle intensif d'agriculture est également responsable d'une chute de biodiversité et d'une pollution non négligeable des sols, liées (entre autres) à l'utilisation de produits chimiques.
Partant de ce constat visiblement angoissant, Rémy Kauffeisen a décidé de s'engager pour permettre à l'agriculture de "faire sa transition". Pour ce faire, il promeut l'agroécologie sur ses terres, via la démocratisation d'une pratique millénaire : le pré-verger. Un modèle où bétail et végétaux vivent en parfaite harmonie. Une harmonie telle, qu'elle ne nécessite aucun produit chimique.
Un projet sur 20 ans
Rémy Kauffeisen n'est pas issu d'une famille d'agriculteurs. Cet artisan qui loue des chapiteaux de réception depuis 30 ans espère néanmoins que son exploitation se transmettra tel un héritage. "Je crée une exploitation agricole qui va permettre à mon successeur de vivre", souligne-t-il.
Le nordiste a mis la main, il y a quelques années, sur des espaces agricoles abandonnés autour de chez lui, à Hem (Nord). Il est aujourd'hui propriétaire de 20 hectares, dont 8 de pâtures et 12 de labours. Sur ces terres, il développe ses fameux "pré-vergers".
Il s'agit d'un cercle vertueux entre les herbivores et les pommiers.
Rémy KauffeisenAgriculteur à Hem (Nord)
Système datant du paléolithique, il s'agit de pâtures "avec de grands pommiers et de grands poiriers espacés de 10 mètres, associés à des ruminants" explique-t-il. Pas évidente de prime abord, la relation entre ses moutons et ses arbres fruitiers est centrale dans son pré-verger. "Il s'agit d'un cercle vertueux entre les herbivores et les pommiers. Les arbres créent de l'ombre et un microclimat qui est bénéfique pour les moutons. Ils stockent du carbone et améliorent la qualité du sol. Les moutons profitent de l'herbe et mangent les pommes véreuses."
Entre les deux, c'est une "synergie" qui se met en place, qui ne nécessite aucun intrant chimique. "Les pré-vergers sont un système qui n'ont pas de fin, ils peuvent durer des milliers d'années. Le seul problème de ce système, c'est qu'il faut 20 ans pour l'aboutir", poursuit l'agriculteur. Une longue période à échelle humaine, mais un temps nécessaire à l'échelle de la nature.
Aujourd'hui, les troncs de ses arbres fruitiers mesurent à peine quelques centimètres de diamètre. Pour financer la mise en place de ce projet sur 20 ans, il a lancé une cagnotte pour "permettre à la société civile de s'investir dans la transition agroécologique", mais aussi pour acquérir un hectare supplémentaire. Sur le site qui l'héberge, il détaille qu'il s'agit d'un système qui "coûte cher à mettre en place, mais une fois qu'il est lancé il ne s'arrête jamais."
Mettre à l'honneur les variétés locales
"Dans les Hauts-de-France, nous sommes assis sur un trésor génétique", explique Rémy Kauffeisen. Nombre de variétés de pommes ou de céréales "ont été mises aux oubliettes. À part le Maroilles et le Vieux-Lille, les produits du terroir du Nord ont été effacés."
Dans son exploitation, cet agriculteur met en avant les espèces oubliées de plantes et d'animaux. Ses moutons sont par exemple de race boulonnaise et "s'adaptent particulièrement bien à notre climat.". Avec sa démarche, il ambitionne à la fois de "décarboner au maximum la production alimentaire, tout en créant des produits du terroir."
Cet amoureux des produits locaux ne vit pas encore de sa production de pomme, "elle est anecdotique", néanmoins il ambitionne déjà de diversifier sa production en cultivant des espèces de blés anciens sur le même modèle agroécologique.
Pour l'instant, le verger agroécologique de Rémy Kauffeisen ne s'étend que sur 2 hectares de son domaine. Au total, il aimerait que ce système s'étende sur 8 à 10 hectares.
Une méthode pensée depuis les années 80
Ce néo-agriculteur et artisan n'a pas inventé cette technique peu polluante d'agriculture. "On a l'immense chance de vivre à l'époque d'internet", ironise-t-il avant de raconter : "En 1980, des chercheurs de l'INRA découvrent qu'en imitant la forêt, on peut arriver à l'autofertilisation des champs."
Forts de ce constat, "ils se disent que si on met des moutons sur une pâture d'herbe, ils la tondent et avec leurs excréments, participent à l'activation de la vie du sol", qui par extension, va refaire pousser de l'herbe. C'est un cercle vertueux.
Or le mouton est une espèce qui "mange ce qu'elle préfère". C'est à ce moment que la présence de plantes dans la pâture (ici des pommiers), permet de remédier à ce problème en enrichissant les sols. "Vous n'utilisez plus aucun produit chimique et vous avez de supers moutons" s'amuse Rémy Kauffeisen. "Maintenant, il faut qu'on explique tout ça aux agriculteurs."
L'agroécologie se fait une place chez les agriculteurs
Aussi louable soit-elle, la démarche de Rémy Kauffeisen séduit-elle ses confrères et consœurs du secteur agricole ? Pour le Hémois, cela ne fait aucun doute.
"Aujourd'hui, il n'y a plus d'excuses, on sait ce qu'on doit faire", lance-t-il à propos des agriculteurs qui continuent d'utiliser des produits issus de la chimie. "Mais mes confrères ne sont pas libres, ils sont liés à des engagements financiers et moraux."
Chez les producteurs de produits dits "bios", la transition semble être en marche. "L'agroécologie, ce n'est pas une pensée marginale", au contraire, elle est même soutenue par la Confédération Paysanne, syndicat agricole. Mais cette transition ne sera "pas rapide, parce que la PAC [Politique Agricole Commune, NDLR] favorise toujours l'agriculture agro-industrielle chimique", dénonce-t-il.
Et sur le ticket de caisse, est-ce qu'un produit issu de l'agroécologie est plus cher pour les consommateurs ? Là, Rémy Kauffeisen estime que "c'est un cliché". Il explique, "avec ces produits, vous mangez moins. Le sentiment de satiété est plus important. Avec les produits bio, on consomme moins de produits surtransformés, et la digestion est moins rapide. Par conséquent, on achète moins de produits."