Plusieurs syndicats agricoles ont manifesté partout en France lundi 18 novembre 2024 contre le projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. En pleine crise agricole, nous nous sommes intéressés aux éleveurs de volailles. Comme les autres filières, ils pointent du doigt la multiplication des normes. Témoignages.
Au bout d'un long soupir, Corinne Core peine à dissimuler sa lassitude : "On n'a pas de mot pour dire notre colère". Elle est agricultrice à Essômes-sur-Marne, une commune au sud de Château-Thierry. Elle élève avec son mari entre 400 et 500 volailles. Des pintades, des poulets qu'elle vend elle-même sur les marchés. "Nous, on est tout petits", n'arrête-t-elle de répéter. "Et pourtant, on a une pression sur le dos", ajoute-t-elle.
"Ça me pèse"
L'éleveuse pointe du doigt "toutes les normes". Elle évoque notamment les sas obligatoires à l'entrée des bâtiments, et la "paperasse" : "On fait de la charcuterie, de la volaille. Il faut tout noter dans des cahiers : la traçabilité, les jours d'abattage, de vente, les marchés... Il y a beaucoup de papiers à tenir. Pareil pour les analyses. Je suis d'accord que c'est important, mais, tout ça, ça me pèse."
Avec le temps, et "à cause des charges et des problèmes de santé", le couple a arrêté l'élevage de canards, de dindes, de chapons ou encore de vaches laitières, et a aussi stoppé l'atelier de fabrication de yaourts et de fromages. À 62 ans, Corinne s'apprête à prendre sa retraite fin 2025. Un moment qu'elle attend : "Maintenant, on se laisse couler, on n'a plus la force !" Il n'y a pas de repreneur. D'ici peu, la ferme sera dispatchée.
Ce type de situation révolte Matthieu Carpentier, président des Jeunes Agriculteurs de l'Oise : "À la base, on est des passionnés. On ne veut pas faire ce métier en vivant dans le stress, dans l'oppression des contrôles que l'on subit."
Comment voulez-vous que l'on ait des jeunes qui aient envie de s'installer demain avec tout ce poids sur nos épaules ?
Matthieu Carpentier, président des Jeunes Agriculteurs de l'Oise
Le président des Jeunes Agriculteurs de l'Oise attend désormais des actions du gouvernement : "Sur nos fermes, tout ce qui est simplification, ce sont des promesses, on ne le vit pas encore. J'espère que ça va bientôt avancer. On est agriculteurs, on est là pour produire, élever, faire pousser des plantes, mais pas pour passer la moitié de notre temps dans un bureau."
Même sentiment pour Richard Devresse. Il habite Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt dans l'Aisne. Avec son fils, il élève 30 000 poulets par an. Ils font 95 % de ventes directes, surtout pour la grande distribution : "Cora, Carrefour, Intermarché, Leclerc et aussi, on vend à des agriculteurs du coin qui font des caissettes." Sur l'exploitation, ils possèdent leur propre atelier d'abattage : "Le dossier d'agrément est hyper lourd. Chaque année, il faut de plus en plus détailler. Là, on vient de faire appel à une société pour le remplir à notre place, ça nous coûte 4 000 € et ça ne va pas. La contrôleuse réclame encore des précisions."
Les éleveurs de poules pondeuses, aussi touchés
Olivier Sénéchal a, lui, lancé son activité plus récemment et pourtant, il est tout autant remonté. En 2018, il reprend la ferme de ses parents avec sa compagne à Villers-l'Hôpital, à la frontière entre le Pas-de-Calais et la Somme. Il abandonne le lait, activité historique de la famille, pour se concentrer sur les œufs et se lance en agriculture biologique : "À l'époque, le bio était porteur. Les poules pondeuses aussi, plus que le lait."
En l'espace de six ans, il dit avoir vu les choses se dégrader.
Quand il y a une nouvelle norme, je la note. Et à chaque fois que j'ouvre la liste, ça me fout le cafard.
Olivier Sénéchal, agriculteur à Villers-l'Hôpital et adhérent à la Coordination rurale
Il prend pour exemple une mesure : "En 2022, certaines protéines sont sorties du cahier des charges bio sauf que ces aliments permettaient de maintenir le poids des poules et le calibre des œufs, entre autres. Aujourd'hui, l'animal est plus fragile et le rendement plus bas."
Comme plusieurs de ses collègues, il cible aussi les analyses. Des contrôles sont effectués tous les mois sur son exploitation pour le risque de salmonelle. "Avant, s'il y avait un positif, on refaisait une analyse pour confirmer. Il arrivait qu'il y ait de faux positifs. Maintenant, dès le premier test positif, c'est l'abattage du lot. Donc, nous, on est obligé de s'assurer davantage pour pallier ce risque. Nos primes d'assurance ont augmenté de 40 %", assure-t-il.
Dernier évènement en date : la fin de la prise en charge par la grande distribution du sexage in ovo. Ce procédé permet de détecter le sexe de l'embryon dans la coquille. Les œufs mâles sont écartés avant leur éclosion et réservés à la nourriture destinée aux animaux. Les œufs femelles sont eux, remis dans les couveuses pour donner naissance à des poules pondeuses. Depuis plusieurs années, la grande distribution participait aux frais d'ovo sexage. D'après la Confédération française de l'aviculture, certaines enseignes refuseraient de poursuivre le financement de la technique. "C'est nous qui allons devoir prendre en charge le surcoût", se désole Olivier Sénéchal.
Olivier, Richard et Corinne soutiennent tous les trois la mobilisation nationale des agriculteurs pour dénoncer l'accord avec les pays d'Amérique latine, le Mercosur et attendent désormais une simplification des normes.