À la Ferme du Clair de Lune, à Maubeuge dans le Nord, le client est roi ! Il choisit le prix de son panier de légumes en fonction de ses moyens, parmi trois propositions : un tarif de base, un moins cher et un plus cher. De quoi rendre accessible à tous le bio local.
“Choisissez votre tarif. Prenez le ticket qui vous va”, peut-on lire sur une pancarte de la ferme du Clair de Lune à Maubeuge, dans le Nord. Lors du passage en caisse, les clients, panier de légumes en main, peuvent payer le prix de base établi par les deux gérants. Mais ils peuvent aussi choisir un tarif “accessible”, 15% moins cher ou un tarif “solidaire”, 15% plus cher.
Ceux qui ont moins peuvent mettre moins, ceux qui ont plus peuvent participer davantage. Un équilibre se crée entre les deux.
Jonas Hériteauco-gérant de l’exploitation
“Ceux qui ont moins peuvent mettre moins, ceux qui ont plus peuvent participer davantage. Un équilibre se crée entre les deux”, explique Jonas Hériteau, gérant de l’exploitation avec Rodrigue Shenouda.
Une tarification différenciée mise en place depuis leur installation il y a deux ans sur le chemin de la Croix, près de l’hôpital de Maubeuge : “C’est une réflexion que l’on a eue dès le départ. Le constat était que le bio reste un marché de niche. L’idée, c'est qu’au contraire, le plus grand nombre possible ait accès à une alimentation locale et de qualité”, défend Jonas Hériteau, 28 ans.
Le bio, aussi pour les petits budgets
D’autant plus dans un contexte social particulièrement tendu, comme le souligne le jeune gérant qui a fait ses études à Lille : “Si on ne prenait pas ça en compte, on allait exclure une part écrasante de la population”, explique-t-il. Les différents tarifs permettent donc à des personnes aux revenus limités de se laisser tenter, mais aussi de pouvoir revenir régulièrement, “et ça, c’est chouette”, se réjouit Jonas Hériteau.
On aimerait que les gens se sentent plus autorisés.
Jonas Hériteaumaraîcher
Aucune vérification de revenus n’est réalisée. Les deux gérants préfèrent faire confiance à leurs clients en partant du principe que chacun est responsable. “Il n’y a jamais eu de ruée sur le prix le moins cher”, contextualise Jonas Hériteau, qui confie avoir été étonné de voir qu’au contraire, beaucoup n’osent pas bénéficier du tarif le plus accessible. “On aimerait que les gens se sentent plus autorisés”, glisse-t-il.
D’après les estimations de la ferme en maraîchage, 70% des personnes se tournent vers le tarif médian, contre 30% vers les deux autres, à peu près à parts égales selon les périodes. “Ça reste une proposition. On n’insiste pas !”, précise-t-il.
Aucune honte à avoir
Une réticence pour le tarif le plus bas, souvent utilisé par les habitués, que Jonas Hériteau s’explique par le “discours ambiant négatif sur la pauvreté et l’assistanat”, mais aussi par la vente directe avec le producteur qui peut éventuellement intimider : “On sait à qui on a affaire et où va l’argent, donc il y a peut-être moins de volonté de gruger les prix”, analyse-t-il.
Pour mettre davantage les gens en confiance, les deux jeunes hommes ont peu à peu adapté leur discours, comme l’explique Jonas Hériteau : “Au début, on expliquait tout le principe d’équilibre, mais maintenant, on dit juste ‘choisissez ce qui vous arrange’. Les clients ont moins l’impression de profiter de ce que les autres ont mis. C’est moins stigmatisant.”
"Sécurité sociale de l’alimentation"
Pour l’heure, la tarification différenciée leur permet d’être à l’équilibre pour payer les frais et investir dans l’entreprise. Mais dans un contexte où la concurrence avec les grandes surfaces est rude, les deux maraîchers ne peuvent pas encore se rémunérer, malgré des semaines qui oscillent entre 40 et 60 heures de travail.
Bien décidés à poursuivre cette initiative en même temps que l’expansion de leur entreprise, ils pensent déjà à la suite. Pour eux, ce choix de tarifs représente un moyen “d’ouvrir les imaginaires et la discussion sur ces questions d'alimentation”.
Et donc un premier pas vers un système qui remettrait plus de démocratie dans l’alimentation, l’objectif de ces maraîchers qui produisent chaque année une cinquantaine de légumes : “On voudrait diffuser l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation, un modèle de redistribution à petite échelle que l’on pourrait expérimenter pour que les professionnels vivent dignement de leur travail et que les gens mangent mieux.”