ENTRETIEN. Colère des agriculteurs : les solutions de la Confédération paysanne face à la crise agricole

Réforme de la PAC, prix minimums garantis, fin des traités de libre-échange, soutien aux petites fermes... Entretien avec Antoine Gomel, porte-parole de la Confédération paysanne du Nord Pas-de-Calais, pour prendre de la hauteur sur la question du revenu des professionnels de l'agriculture.

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Ce lundi 2 décembre 2024, la mobilisation des agriculteurs entrera dans une nouvelle phase. Après avoir dénoncé le traité de libre-échange Mercorsur, entre l'Union européenne et l'Amérique du Sud, puis les lourdeurs administratives, les professionnels agricoles vont s'attaquer à un sujet tout aussi ardu : leurs revenus. Une thématique déjà longuement discutée lors de leur première mobilisation de février 2024, historique par l'ampleur des actions, qui n'a malheureusement pas eu l'impact escompté.

En parallèle des actions entreprises par la FNSEA, syndicat majoritaire des agriculteurs, la Confédération paysanne (3e syndicat agricole français) a elle aussi un programme bien précis pour faire entendre ses revendications au cours des sept prochains jours.

Dans le Nord Pas-de-Calais, c'est Antoine Gomel qui portera la voix du syndicat. Le porte-parole est éleveur bovin à Wierre-Effroy, une petite ville du Boulonnais où l'agriculteur a repris les 24 hectares de terrain laissés par son père en 2017. Pendant 5 ans, l'éleveur a cumulé son activité agricole à celle d'enseignant, afin de s'assurer de la fiabilité de ce projet un peu fou, auquel il se dévoue désormais corps et âme.

Producteur de viande de bœuf et de volaille, Antoine Gomel a décidé d'opter pour de la vente directe. Aujourd’hui, il arrive à dégager un SMIC pour 50 à 60 heures hebdomadaires. L'éleveur partage sa réflexion autour de l'agriculture contemporaine au micro de France 3, avec le souhait de bouger les lignes autour du rapport à la productivité, aux subventions et à l'environnement. Sûr de la viabilité d'un modèle économique respectueux des salaires et de la planète, il raconte.

On ne vous aperçoit pas dans les dernières actions du monde agricole, est-ce que vous vous désolidarisez du mouvement global ?

Antoine Gomel : Aujourd’hui nous ne sommes pas sur les ronds-points au niveau du Nord-Pas-de-Calais. Mais la Confédération paysanne est active partout ailleurs. Des membres sont allés manifester dans d’autres régions. Nous avons un programme d’actions, nous sommes tous les jours sur le terrain, dans les petites fermes, avec les petits paysans, les petits agriculteurs... Nous sommes dans les commissions, parce que nous sommes un syndicat représentatif pour le foncier et pour l’installation, mobilisé depuis des années, notamment contre les accords de libre-échange. Si vous vous souvenez du démontage du McDo à Millau avec José Bové, c’était déjà le sujet du Mercosur. Nous n'avons pas arrêté.

Nous partageons la même colère que les autres, la crise paysanne est flagrante et c’est avant tout pour nous une crise des revenus paysans qui sont extrêmement faibles, pas du tout rémunérateurs. Seulement, dans le Nord-Pas-de-Calais nous nous sommes dit que l'on n’allait pas se laisser dicter notre agenda par les autres syndicats.

Pour vous, qui êtes éleveur de vaches à viande, comment ce traité de libre-échange vous impacterait ?

A. G. : Ce qui poserait problème avec ces accords, c’est l’importation de produits que l’on produit déjà en France, comme la viande bovine. On aurait des importations supplémentaires d’Amérique du Sud, à des prix bien intérieurs à nos coûts de production. Pourquoi les prix seraient inférieurs ? Parce que les normes respectées, les produits utilisés, les hormones, etc... sont interdits ici. Ce serait une concurrence déloyale.

Un accord de libre-échange, même avec des clauses miroir (c’est-à-dire que l'on impose les normes européennes aux productions d'Amérique du Sud) c'est non, toujours !

Antoine Gomel, président de la Confédération paysanne 59/62

Un accord de libre-échange implique forcément de la compétitivité et de la concurrence entre les agriculteurs aux quatre coins du monde. Le fond du problème c’est que la concurrence tire les prix vers le bas et les revenus des paysans avec. Les Brésiliens veulent vendre leur viande et nous aussi. Alors ce qu’on propose c’est : aucun accord de libre-échange quel qu’il soit. Revenir à des prix minimums garantis et à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire produire pour consommer en France. Le Brésil produit pour consommer au Brésil. Le Maroc produit pour consommer au Maroc… Il faut ralentir un peu.

Ces accords tirent tout le monde vers le bas ? Les êtres humains, mais aussi la planète ?

A. G. : Quand on met les produits agricoles, qui sont la base de la vie - quand on ne mange pas, on meurt - sur le marché mondial comme on le fait depuis les années 1960-70, avec des cours, des actions, des gens qui jouent en Bourse sur le blé, etc... On se retrouve avec un but du jeu qui est d'être compétitif pour vendre son produit. Donc il faut être le moins cher possible, comme dans l’économie en général. Avec la nourriture, ce n'est pas possible ! Parce que pour être compétitif, il faut produire de plus en plus, on agrandit la taille des fermes, on mécanise, il faut des produits pour qu’il n’y ait pas de maladie, pour avoir les meilleurs rendements, on met des produits phytosanitaires, des engrais… Sur la viande, on va mettre des antibiotiques. On va mettre des hormones de croissance dans les pays où ils sont autorisés. On détruit l’environnement et au final, on n'améliore nullement le revenu des producteurs. Au contraire, on met les gens en concurrence alors qu'on devrait être solidaires et produire pour nourrir sa propre population.

Mais ce n'est plus le cas. On devient des chefs d’entreprise. Et nous, on est totalement à l'opposé de ça : on prône une agriculture paysanne, c’est-à-dire une agriculture de petite et moyenne exploitation, en local, dans la transition agroécologique.

Vous défendez un modèle d’agriculture différente souvent qualifiée d’utopiste, est-ce que ce modèle est viable ?

A. G. : Ce n’est pas facile dans le contexte actuel, mais il y a des outils qui permettraient d’accompagner cette transition agroécologique et cette agriculture paysanne. C’est un outil très simple : la politique agricole commune, la PAC. Il y a des milliards qui sont mis sur la table, il suffirait de les basculer un peu plus vers les mesures agroenvironnementales et climatiques, vers le bio... Vers tout ce qui peut permettre de vivre mieux de son métier, d’avoir un meilleur revenu, de protéger l’environnement, de produire une alimentation de qualité.

En fait, l’argent il est là. Il faut réformer cette politique agricole commune pour donner les moyens aux paysans de vivre et de se transformer.

Antoine Gomel

On a aussi beaucoup de collègues paysans qui ne touchent rien du tout : les maraîchers, les apiculteurs, les herboriculteurs... Ce sont les ouvriers de l’agriculture française. On ne parle jamais d'eux mais pourtant on a besoin d’eux. Les apiculteurs produisent du miel, mais ils permettent aussi la conservation de la biodiversité. On a besoin des maraîchers pour produire les légumes qu’on mange tous les jours. Ils n’ont pas d’aide ou très très peu. Ils sont toujours les grands oubliés à chaque réforme. Nous, à la Confédération paysanne, on se bat pour tous les agriculteurs, mais aussi ceux qui sont oubliés de la PAC et du gouvernement.

Cet empilement des normes que dénoncent vos homologues, vous le ressentez en tant que petit producteur ?

A. G. : Il y a énormément de normes administratives à respecter. C’est sûr que c’est une contrainte. Après, notre message c’est surtout d’alerter pour ne pas se tromper. Il faut que les normes soient adaptées au type de structure, au type de ferme. Aujourd’hui, ce qui est lourd sur les épaules des agriculteurs, c’est qu’on se fait imposer des normes industrielles sur des petits élevages paysans. Si je prends l’exemple de mon exploitation : j'élève des poulets de plein air, sur des lots de 200 poulets (c’est très peu), je me retrouve à devoir adopter les mêmes normes de biosécurité que pour des élevages de 100 000 ou 200 000 poulets. Là, il y a un vrai problème, comment on adapte les normes au type d’élevage ? L’élevage en plein air doit avoir des normes adaptées au plein air.

Comment expliquer cette situation ubuesque ?

A. G. : Il y a une volonté d’industrialiser l’agriculture en pensant que c'est comme ça qu’on réglera les problèmes sanitaires. Mais en fait, c’est le contraire. Plus les élevages sont gros, plus on a de la concentration d’animaux et plus on a des problèmes sanitaires. Je pense qu’il y a une véritable volonté d’éradiquer les petits élevages paysans qui ne rentrent pas dans les cases. L’idée qu’on a de l’agriculture ne devrait pas être de toujours devoir s’agrandir pour espérer s’en sortir. Le système pousse à une fuite en avant. C’est de pire en pire, on va droit dans le mur.

Il faudrait donc bel et bien en finir avec ces normes pour rétablir une rémunération juste ?

A. G. : On a quand même besoin de normes. Sur l’environnement, on ne peut pas faire tout et n’importe quoi. On a une baisse incroyable de la biodiversité, on a des eaux polluées… Nous, ce qu’on propose c'est d'accompagner économiquement les agriculteurs, en les subventionnant, pour qu'ils puissent respecter des contreparties environnementales et travailler avec la nature, au profit de la biodiversité.

Tout cela s’accompagne de règles, qui doivent en revanche être financées.

Si les gens gagnent correctement leur vie, s’ils ont le temps de faire leur travail, ils peuvent modifier leurs pratiques vers une transition agroécologique.

Antoine Gomel

Si les agriculteurs étaient à l'aise financièrement, ils pourraient se poser des questions comme : Est-ce que je modifie mes pratiques ? Est-ce que je passe en bio ? Est-ce que je diminue ma surface parce qu’il y a un jeune qui veut s’installer à côté ?

Par contre, si on adopte des normes comme cela, sans aide, et qu'elles font perdre du temps et de l’argent, c’est incompréhensible dans un système où les gens tirent déjà la langue.

Au sein de votre ferme, qui suit cette réflexion, est-ce que vous vous en sortez financièrement ?

A. G. : Économiquement oui je m’en sors, mais ça dépend de ce qu’on appelle s’en sortir, c’est-à-dire que, si on ramène tout au salaire horaire, non je ne m’en sors pas. Je me paye en dessous du SMIC. En attendant j’ai un équilibre économique. J’ai très peu d’investissement sur la ferme. J’ai fait le choix de la vente directe, je récupère une partie des marges qui sont d’habitude confisquées par les industriels et donc j’arrive à me tirer un salaire honnête tous les mois. Mais pour 50 à 60 heures de travail semaine, on ne peut pas dire que je m’en sorte très bien.

Dans ce cas, si l'on suit ce modèle, quel serait l'ultime frein à la pérennité d'une exploitation ?

A. G. : Le modèle que je suis est viable, je n'ai pas la corde au cou. Mais si la PAC était plus juste, plus équitable et plus redistributive, je pourrais m’en sortir vraiment.

Il y a deux leviers qui pourraient arranger tout ça : le levier des prix minimums garantis, on ne peut pas vendre nos produits en dessous des coûts de production, ça devrait être inscrit dans la loi à mon sens. Et le deuxième levier, c’est une répartition juste et équitable de l’argent de la PAC qui soutient les petites fermes, qui soutient la transition agroécologique, le bio. Comme ça, des fermes comme la mienne, on pourrait les multiplier.

Avec Myriam Schelcher

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