"En période de crue, ça peut être dévastateur" : contre les inondations, le choix contesté du curage des fossés et des cours d'eau

Craignant les conséquences de nouvelles inondations sur ses parcelles, un agriculteur de Bousbecque (Nord) a décidé de curer lui-même ses fossés. Selon l'association Picardie Nature et un rapport sénatorial, accentuer le curage des fossés et des cours d'eau pourraient pourtant avoir des "effets néfastes en termes de gestion des crues".

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Ludovic Bouillet estime ne plus avoir le choix. Même sans la validation de la Métropole de Lille, ce polyculteur et éleveur laitier de Bousbecque (Nord) a décidé de curer les fossés qui entourent sa parcelle. Il s'est donc attelé à évacuer 20 cm à 30 cm de vase sur près de 500 mètres de long. Soit une journée de travail.

"Il y a un an, on était déjà les pieds dans l'eau et aujourd'hui rien n'est fait"

"Ces fossés n'ont pas été curés depuis 20 ans. Si les curages ne sont pas faits en temps et en heure, du dépôt se fait dans le fond, l'eau ne s'évacue plus correctement, ça crée des parcelles inondées et beaucoup de nuisances qui pourraient être évitées si les entretiens étaient faits régulièrement", expose Ludovic Bouillet.

L'eau ne s'écoule plus comme il faut, ni là où elle doit s'écouler. On a des champs inondés et ça remonte dans les villes.

Clément Baron, président des JA du canton Quesnoy-Weppes

Quelques agriculteurs se sont rassemblés ce mercredi 25 septembre 2024 à l’appel de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes agriculteurs (JA) du département, exaspérés par la situation. Pour eux, l'entretien des fossés ou des cours d’eau les concerne directement. Ils veulent éviter les inondations de l’hiver dernier.

"L'eau ne s'écoule plus comme il faut, ni là où elle doit s'écouler. On a des champs inondés et ça remonte dans les villes. Au vu des inondations qu'il y a eu en 2023, on se pose la question de ce qui va arriver en 2024. [...] Il y a un an, on était déjà les pieds dans l'eau et aujourd'hui rien n'est fait", se désole Clément Baron, président des JA du canton Quesnoy-Weppes.

"L’année 2024 a permis de mettre en lumière les problèmes d’entretien des fossés, aussi bien en local qu’à l’échelle nationale. Aucun département n’est épargné. Les dysfonctionnements hydrauliques rendent les parcelles agricoles inaccessibles et laissent les agriculteurs sans solution", écrivent la FDSEA et les JA de la Somme dans un communiqué mardi. Si le changement climatique et les récentes crues sont des facteurs, selon les deux syndicats agricoles "un aménagement du territoire et un entretien courant des fossés, cours d'eau et canaux non réalisés régulièrement, aggravant les risques d'inondations" sont aussi responsables de la situation actuelle.  

Curer les fossés et les cours d'eau, une fausse bonne idée ?

Selon le rapport sénatorial de la mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, publié mercredi, les pertes de fonds causées aux agriculteurs sont évaluées à "12,7 millions d’euros" au niveau national par la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE).

Selon ce même rapport et l'association environnementale Picardie Nature, accentuer le curage des fossés et des cours d'eau n'est pas la solution, voire aurait des "effets néfastes en termes de gestion des crues". "En aucun cas, le fait de curer les fossés ou les rivières ne va résoudre le problème de la gravité des inondations vécues par les habitants du Pas-de-Calais", souligne Thierry Rigaux, ingénieur agronome et écologue, administrateur de Picardie Nature.

"Ça peut être une solution locale à un problème local, mais ce n'est absolument pas une réponse à ce que les gens peuvent vivre en aval de l'endroit où ces travaux de curage peuvent être réalisés", expose l'ingénieur agronome, qui précise ne pouvoir se prononcer sur le cas spécifique des fossés de Ludovic Bouillet.

Si vous curez, vous augmentez le volume capacitaire du fleuve. En période de crue, ça peut être dévastateur.

Jean-François Rapin, sénateur LR du Pas-de-Calais

"Sur la question du curage, je pense qu'il ne faut pas de dogme. On est vigilant, on ne peut pas curer partout, ce n'est pas forcément la seule solution dans la mesure où si vous curez, vous augmentez le volume capacitaire du fleuve et vous augmentez forcément les volumes d'eau et donc en période de crue, ça peut être dévastateur", a expliqué ​​Jean-François Rapin, sénateur LR du Pas-de-Calais, rapporteur de la mission sénatoriale lors d'une conférence de presse mercredi.

L'ampleur des précipitations, seule responsable des inondations selon un rapport

Picardie Nature et les rapporteurs du Sénat s'appuient sur le rapport de la "Mission de simplification du cadre législatif et réglementaire applicable à l’entretien des cours d’eau" de l’Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) publié en mai 2024.

Ce rapport établit que "le manque d’entretien des réseaux hydrauliques permettant l’évacuation des eaux vers la mer n’a pas été la cause des inondations dans le Nord et le Pas-de-Calais". Le facteur déclenchant serait plutôt "l’ampleur des précipitations, avec des cumuls atteignant près de 800 mm sur les deux derniers mois de l’année 2023, causant des crues dépassant très largement les niveaux centennaux".

Ces cumuls ont "très largement excédé les capacités des ouvrages de protection contre les crues, même quand ils sont parfaitement entretenus, ceux-ci étant le plus souvent, et logiquement, dimensionnés pour des épisodes d’occurrence inférieure à une crue cinquantennale", constate l'IGEDD.

Quelles solutions ?

Afin de prévenir les conséquences d'inondations futures, Picardie Nature recommande de mettre en œuvre un panel d'actions préventives. "Comme le climat est en train de changer, ce qui était permis dans le passé risque de ne plus l'être dans l'avenir, ce qui nous oblige à réaliser des aménagements comme des zones d'expansion de crue, des zones un peu artificielles où on va favoriser le stockage de l'eau au moment du pic de la crue pour le restituer après", explique Thierry Rigaux.

Avec le retournement des prairies, l'augmentation de la taille des parcelles et la suppression des haies, on a davantage de ruissellement.

Thierry Rigaux, administrateur de Picardie Nature

L'association pointe aussi l'évolution de l'agriculture qui a conduit à l'imperméabilisation des sols. "Il ne s'agit pas de stigmatiser les agriculteurs, mais c'est un fait. Il y a une diminution importante des prairies, et de l'élevage à l'herbe. Or, ces éleveurs étaient des alliés de la gestion des inondations. Ils assuraient une production qui permettait en même temps l'infiltration des eaux alors que là, avec le retournement des prairies, l'augmentation de la taille des parcelles et la suppression des haies, on a davantage de ruissellements et y compris parfois des problèmes de coulées de boue", observe Thierry Rigaux, qui propose de chercher des solutions "avec les agriculteurs et non pas contre eux" pour faire en sorte que l'agriculture, "puisse contribuer à mieux gérer la gestion des inondations"

Avec Marion Lompageu / FTV

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