La ville de Grande-Synthe n'a pas attendu cette semaine de froid polaire pour abriter les migrants: un gymnase leur est dédié depuis le début de l'hiver, une manière pour le maire d'interpeller l'Etat sur la nécessaire réouverture d'un centre d'accueil.
"Reproduisez ce qui marche!", s'exclame Damien Carême. Le maire écologiste de Grande-Synthe veut attirer l'attention des médias et du gouvernement sur le devoir humanitaire de la France, quelques jours après de graves rixes à Calais, qui ont fait plusieurs blessés et à nouveau jeté une lumière crue sur la problématique migratoire.
Il présente son modèle d'accueil de petite dimension, car ce sont pour lui "les petites unités" qui fonctionnent, "pas les gros lieux ingérables". L'hiver débutant, pas question pour lui de laisser des familles dormir dehors. Le 12 décembre, il a ainsi ouvert un gymnase communal aux migrants de la région, un répit dans leur quête d'Angleterre.
Couvertures, matelas, chauffage, douches, toilettes, distribution de nourriture: le site accueille environ 200 migrants jour et nuit, essentiellement des Kurdes irakiens. La Ville a passé une convention avec l'Etat, autorisant en théorie 100 personnes. "Je pourrais dire comme d'autres élus: "C'est à l'Etat de le faire!" Mais au quotidien les emmerdes, c'est pour l'élu local", souligne Damien Carême.
"Ici c'est bien, beaucoup mieux que Calais", juge Mohamed, Kurde de 16 ans. Il garde ses lunettes pour dormir, emmitouflé dans son duvet au milieu du gymnase, en plein après-midi. Car il est difficile de tromper l'ennui, le rythme de vie étant particulièrement monotone: "On se réveille après avoir trop dormi, on prend notre petit-déjeuner, on parle aux autres, on attend le déjeuner", résume Rekar, 19 ans.
Electrochoc
Mais le gymnase est bien chaud, alors que sévissent, pour les quelques dizaines de migrants subsistant dans deux campements de fortune à Grande-Synthe, des températures négatives: "Je suis ici depuis un mois et c'est agréable de pouvoir se doucher, se nourrir, se glisser sous des couvertures", salue Adi, 24 ans, barbu vêtu d'un sweat à capuche.
"Au début j'habitais dehors, c'était dur, il faisait tellement froid... C'était le seul moyen pour tenter l'Angleterre", raconte de son côté Rekar, venu avec son frère et sa mère. Le jeune homme occupe ses journées à faire l'interprète pour les bénévoles du Women Center qui, dans l'espace dédié aux familles, animent des ateliers d'art.
En ce mercredi après-midi, une dizaine d'enfants flottant dans leur ciré bleu transparent s'essaient à la peinture. "Le système d'accueil marche bien ici, on est sept à se relayer, on apporte des vêtements, des couvertures, des produits d'hygiène... Ca sort les gens du froid et de la rue", témoigne Nora, du Women Center. La raison de ce succès tient dans une organisation irréprochable, bâtie sur des règles: "On s'oblige à les faire respecter, et parfois certains ne sont pas contents. Pas d'alcool, pas de cigarette, on exclut les fauteurs de troubles", quatre ou cinq jusqu'à présent, explique Hélène Verrielle, directrice générale adjointe au pôle Lien social et vie locale de la mairie.
Quid du site de la Linières ?
Le 31 mars, le maire devra fermer le gymnase pour "le rendre aux habitants de Grande-Synthe", confie-t-il. Il entend donc passer une autre convention avec l'Etat: l'organisation d'un véritable accueil, avec abris et sanitaires, sur le site de la Linière - où existait l'an dernier un camp officiel, détruit par un incendie en avril.
Le gouvernement fait la sourde oreille, peste Damien Carême. Il se prend à regretter Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur sous François Hollande, qui avait consenti à l'ouverture de la Linière et de Centres d'accueil et d'orientation (CAO). Pour qu'un électrochoc ait lieu, Grande-Synthe organise les 1er et 2 mars une Convention nationale "Accueil et migrations", où se presseront des ONG et plusieurs personnalités politiques de premier plan, telles Anne Hidalgo, Eric Coquerel, Benoît Hamon et Eric Piolle.