Début août, le maire d'Halluin Jean-Christophe Destailleur, a fait la demande d'une étude épidémiologique sur les cas de cancers dans sa commune. Longtemps soumis aux pollutions d'un incinérateur de déchets, les habitants sont inquiets pour leur santé.
Les instituts publics de santé parviendront-ils enfin à rassurer les habitants d'Halluin ? Début août, le maire Jean-Christophe Destailleur, contacte l'Agence Régionale de Santé. "J'ai été interpellé par de nombreuses personnes atteintes d'un cancer sur notre commune, des cancers qui touchent parfois des personnes jeunes et notamment des jeunes mamans. J'ai le cas d'un jeune fille qui souffre d'un myélome, de plusieurs personnes de moins de 40 ans avec des cancers du sein métastasés touchant parfois les os, parfois des organes digestifs et avec des pronostics qui s'avèrent très sévères" retrace l'élu.
Avec plus de 20000 administrés, le maire reconnaît volontiers qu'il est "tout à fait normal, compte tenu de la taille de la population halluinoise, qu'il y ait hélas un certain nombre de pathologies que l'on me communique." Mais ces derniers mois, le nombre de malade lui semble de plus en plus important, en particulier chez des personnes ne présentant pas de prédispositions génétiques. Naturellement, la commune s'est interrogée sur l'intervention de potentiels facteurs environnementaux.
Incinérateur, site Seveso, industries : Halluin, trente ans sous un nuage de pollution
Halluin, c'est une ville qui a longtemps vécu au milieu des pollutions industrielles. De 1967 à 1998, la commune a abrité un incinérateur d'ordures ménagères, qui rejetait dans l'atmosphère "des quantités astronomiques de dioxine" rappelle le maire. A tel point que c'est un scandale sanitaire impliquant Danone qui pousse à la mise à l'arrêt de l'installation : les dioxines ont lourdement contaminé les sols de la commune et, de fil en aiguille, le lait des vaches élevées sur place, devenu impropre à la consommation. Les troupeaux doivent être abattus. En 2001, le scénario se répète, puisque la viande, le lait et les oeufs produits à Halluin sont interdits à la consommation. L'incinérateur est bien fermé, mais la pollution s'est ancrée dans les sols.
Une situation qui n'est pas sans rappeler celle de la commune d'Evin-Malmaison, victime de la pollution aux métaux lourds générée par les usines Metaleurop. Celles-ci ont fermé en 2003 mais, en 2018, l'Anses constatait encore des niveaux d'imprégnation des sols "préoccupants".
A Halluin, la commune est dotée depuis 2002 d'un nouvel incinérateur, qu'on appelle désormais Centre de revalorisation énergétique (CVE). Des contrôles réguliers s'assurent que les émanations restent bien en-dessous des seuil définis par la législation. "Mais ça ne veut pas dire qu'il n'est pas polluant du tout. Certes, les m3 de gaz émis sont en dessous des normes notamment en matière de dioxine, mais il n'y a pas qu'un seul m3 émis : 358 000 tonnes de déchets divers, plastiques ou polystyrène, sont incinérés dans cette structure et tout au long de l'année, notre population respire ces émanations, s'inquiète Jean-Christophe Destailleur. Si vous respirez des molécules très toxiques en faible quantité mais que l'exposition est ponctuelle, on peut imaginer que ça a des conséquences très différentes par rapport à une exposition de 5, 10, 20, 30 ans. Nous n'avons pas de réponse à ces questions."
La liste des industries polluantes sur le territoire halluinois ne s'arrête pas là. "Nous avons également eu un site Seveso sur notre commune, l'entreprise Ferro (ex-Cappelle Pigments, classé Seveso Haut, ndlr). Nous avons également des industries notamment l'industrie Galloo, tout à fait vertueuse puisqu'elle recycle des matériaux notamment issus du parc automobile, mais des poussières sont émises. A cela on ajoute bien sûr la circulation automobile, le chauffage domestique, etc... "
Des premières observations non-concluantes mais incomplètes
Pour les habitants, les révélations sur les pollutions de l'ancien incinérateur ont été un traumatisme, et l'inquiétude perdure. Alors, en espérant rassurer ses administrés, le maire demande la réalisation d'une étude épidémiologique complète, une demande formulée de longue date par des médecins locaux. Une étude épidémiologique, c'est un outil statistique qui permet d'analyser les rapports entre une maladie et divers facteurs tels que le mode de vie, les spécificités individuelles et, aussi, l'exposition à un produit toxique. Ces facteurs, en effet, sont reconnus comme pouvant influencer la fréquence ou l'évolution de la maladie.
Le 6 septembre, le maire d'Halluin s'est de nouveau réuni avec des représentants de l'ARS Hauts-de-France dont la Dr Nathalie De Pouvourville, directrice adjointe à la sécurité sanitaire et à la santé environnementale. L'agence a bien sûr connaissance du dossier de la pollution aux dioxines. "La première demande du maire d'Halluin, c'était de savoir s'il y avait un nombre de cancers plus importants sur sa commune que dans le reste du département, de la région, de la France. Avec aussi les données d'une première étude réalisée en 2019, on n'observe pas de surmortalité par cancer sur la commune d'Halluin, ni de surnombre de cancers."
Selon cette première étude d'impact, le taux de mortalité par cancer à Halluin était établi à 269.1 décès pour 100 000 habitants. C'est plus que la moyenne nationale, à 251, mais moins que l'ensemble du département du Nord, où cette moyenne est établie à 296.6. Pourtant, l'ARS et la mairie en sont d'accord, cette étude est encore très incomplète.
Pousser les analyses pour "rassurer la population"
"On va commencer à étendre nos observations sur plus de types de cancers et forcément, l'observation s'ajuste à la population. On saura si effectivement le profil de cette population touchée est différent d'ailleurs. Nous devons préciser nos données" estime la Dr De Pouvourville, qui reçoit l'ensemble de ces observations de l'institut Santé Publique France.
Mais même si l'étude épidémiologique est un puissant outil d'analyse, l'autorité régionale de santé prévient qu'elle ne pourra pas donner toutes les réponses. "La DREAL analyse la présence des différentes pollutions dans les milieux, tout comme à Evin-Malmaison, et certains polluants sont spécifiques à une activité ou une autre. On pourra donc potentiellement identifier la source des pollutions. Mais peut-on savoir si l'exposition à ces polluants est à 100% responsable de la naissance d'un cancer ? Non. Les cancers sont multifactoriels et on ne pourra pas séparer précisément ce qui a été causé par une exposition au dioxine de ce qui a été causé par un tabagisme passif, par exemple" détaille la directrice de la sécurité sanitaire.
L'ARS et Jean-Christophe Destailleur ont également discuté de la possibilité de lancer une analyse sur la concentration en dioxine du lait maternel. "Il faut voir dans quelle mesure cela peut rassurer les habitants, c'est ce que l'on cherche à faire en priorité."