Lener Cordier est une maison familiale, spécialisée dans le manteau et le prêt-à-porter féminin, installée à Hazebrouck depuis 66 ans. Elle s'est lancée dans la confection de masques de protection pour freiner la propagation du coronavirus. Une opération à but non lucratif. Interview.
Frédéric Lener, vous êtes le PDG de Lener Cordier, comment avez-vous vécu l'arrivée de la crise ?Nos clients se sont tous arrêtés par décret. La perspective à court terme pour nous est assez angoissante. On travaille sur nos carnets de commandes, on espère sortir vite de la crise... La première décision a été de mettre une partie du personnel au chômage technique, en travail à domicile ou en garde d'enfants. On a gardé une petite partie logistique.
Pourquoi avoir décidé de fabriquer des masques ?
Nous vendons des produits à l'international, notamment en Chine. On m'avait averti il y a un moment déjà : vous allez avoir besoin de masques. Je ne pensais pas que mon atelier puisse être adapté... Finalement j'ai identifié des matières premières que j'avais en stock, proches de ce qui est utilisé pour les masques qui sont sur le marché.
J'ai consulté l'IFTH (Institut Français du Textile et de l'Habillement) pour avoir une recommandation sur les modèles prescrits par la Direction Générale de l'Armement. Et puis j'ai mis le patron au point. On a tout de suite coupé 22.500 masques.
De quoi sont-ils composés ?
Le support utilisé est une matière non tissée, en 3 couches, résistante à l’humidité, aux acides et bénéficiant de propriétés d'isolation thermique. Il s’agit d’un masque réutilisable et lavable à 60C°
Comment avez-vous fait pour convaincre vos salariés de revenir travailler ?
Je n'ai pas eu à les convaincre ! Franchement, ça n'a pas été difficile, ils étaient tous volontaires. La production est montée vite en puissance. On a fait 8.000 masques entre lundi et vendredi, dont 2.000 hier. Et aujourd'hui, samedi 28 mars, les couturières vont revenir, sur la base du volontariat. Je n'ai jamais vu ça...
Les masques sont-ils homologués ?
Non. C'est très difficile d'obtenir une homologation. Le CHU a eu nos masques entre les mains. Ils sont en non tissé comme les masques chirurgicaux, avec un bon filtrage. Ce n'est pas normé ni homologué mais ça a le mérite de protéger des projections. Du coup, ils ne sont pas destinés au personnel soignant.
Mais de nombreuses autres personnes en ont grandement besoin !
Tout à fait. Nous livrons 500 masques au SDIS aujourd'hui - les pompiers. Le coût de fabrication de ces masques est de 2€/ pièce. Nous avons décidé d’en faire don pour un certain nombre d’institutions et corporations publiques locales. Pour les autres demandes, les masques seront proposés au prix coutant de 2€. Cette opération n’a aucun but lucratif pour nous, elle s’inscrit dans notre rôle et notre ADN d’acteur de la vie économique locale. Nous avons travaillé avec la mairie d'Hazebrouck pour tenter d'établir les besoins. Il y a tellement de demandes qu'on a dû rappeler du monde pour nous aider. On est une douzaine en ce moment à l'atelier. Trois ou quatre personnes devraient venir renforcer l'équipe de piquage lundi, des salariés qui normalement travaillent dans des bureaux. On espère alors pouvoir fournir 3.000 masques par jour.
Vous avez l'air débordé...
Vous n'imaginez pas, c'est la folie. Il n'y a pas que les masques. L'hôpital d'Hazebrouck m'a sollicité pour fabriquer des blouses à partir de lundi. Je commence à préparer le patronnage, j'ai le modèle sous les yeux là, après il faudra couper les pièces. Je ne sais pas si on va pouvoir produire en interne, ou si on va faire appel à l'aide de bénévoles dans le secteur d'Hazebrouck. C'est en cours de discussion. On n'arrête pas... J'ai aussi sollicité un contact en Chine, à Pékin, pour voir s'ils peut nous envoyer des masques chirurgicaux. Il se démène de son côté, j'aurai la réponse demain.