En 1948, le Vélodrome d’Hiver célèbre le cyclisme sur piste. Après 144 heures d’une ronde effrénée, les Six Jours de Paris s’achèvent sur la victoire du duo français Guy Labépie et Arthur Sérès. Comme toujours l’évènement fut à la hauteur de sa réputation, c’est à dire haut en couleur !
Course emblématique du cyclisme sur piste, les Six Jours de Paris sont un spectacle unique. Tout à la fois défi sportif titanesque et grand divertissement, l’épreuve attire chaque année une foule considérable.
Importée des Etats-Unis, la course de six jours est créée à Paris en 1913 au Vélodrome d’Hiver. Loin de la terrible rafle de 1942 qui porte son nom, le Vel' d’Hiv de cette époque est un lieu très populaire. Dès la première édition les Six Jours de Paris sont un succès, mais c’est au cours des années folles que l’épreuve connaît son apogée.
Un savoureux mélange des genres
17 mars 1948 : le jour n’est pas encore levé, mais déjà la foule se presse aux portes du Vel' d’Hiv. Le temple du vélo s’apprête à lancer les Six Jours de Paris, le décor est planté : sous l’immense verrière, au centre, une pelouse autour de laquelle s’enroule une piste de deux cent cinquante mètres, éclairée par un millier d’ampoules. Tout autour, haut perchés et dans la pénombre, les « populaires » : des gradins de béton et de briques raides comme la justice, sur lesquels se sont massés des spectateurs survoltés venus "voir en vrai" leurs idoles.
Marcel Cerdan donne le top départ, c’est parti pour six jours et six nuits d’une ronde folle, le spectacle va durer cent quarante-quatre heures et il est partout !
Côté pelouse, autour du restaurant, coupes de champagne et papotages mondains du Tout-Paris des médias, de la finance, des sports et du spectacle. On s’est mis sur son 31, l’évènement le vaut bien, il est tout aussi essentiel de voir que d’être vu ! La Houppa, Edith Piaf, Maurice Chevalier, Martine Carol, Charles Trénet… Ils y sont tous venus, les 6 Jours de Paris fascinent et sont incontournables.
Côté "Populaires" l’heure n’est pas vraiment aux papotages, mais plutôt aux ovations passionnées ou aux chahuts tapageurs. Ici on est venu soutenir ces valeureux écureuils prêts à tout pour remporter la mise, et penché sur la rambarde on ne rate pas une miette de ce qui se joue sur la piste : de coups de théâtre en retournements de situation on s’enthousiasme, on se désespère ou on espère.
Et comme l’épreuve est rude, on s’est équipé de quoi tenir un siège. Au programme gros rouge – camembert et saucisson, jeux de cartes ou aiguilles à tricoter pour les temps morts, sans oublier le pot de chambre du petit dernier pour parer à toute éventualité !
Pendant ce temps, sur le campement, les coureurs au repos tentent de se refaire une santé. Une gageure en soi au vu de l’agitation ambiante !
Au micro, c’est le speaker Georges Berretrot qui donne le tempo de ce grand théâtre. À lui de lancer les chasses, les primes, les sprints endiablés, mais aussi les premières notes de l’orchestre et des artistes qui viennent galvaniser les foules : dix-sept mille personnes qui chantent à tue-tête et se déhanchent sur une java, un musette ou un French cancan, il y a de quoi ébranler un vélodrome...ou un cycliste ! Car même les pistards se laissent parfois aller à quelques pas de danse sur leur monture, sous l’hilarité du public.
Mais si les 6 jours de Paris sont une fête unique, ils sont aussi une course terrible pour les sportifs. Et s’ils s’accordent quelques intermèdes, ils sont loin, eux, d’être toujours à la fête.
Les Six jours, une course de forçats
L’épreuve est dantesque.
Ils ont commencé à tourner en rond en Angleterre, en 1875. Perchés sur leur grand bi six jours et six nuits, ils pédalent en individuel, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pour gagner les primes il faut parcourir la plus grande distance possible, alors les temps de repos sont très courts. Les pistards s’accrochent aux guidons, chutent mais se relèvent, se surpassent jusqu’à l’épuisement quand ce n’est pas l’évanouissement ou le séjour à l’hôpital.
Aux Etats-Unis, où la course s’est exportée, le grand bi est remplacé par la bicyclette de sécurité en 1893. Si c’est un progrès, le défi reste inhumain et des voix s’élèvent pour l’interdire et stopper l’hécatombe.
Mais il y a beaucoup d’argent en jeu, alors on transige : à partir de 1899, au Madison Square Garden de New York, les cyclistes disputent les six jours en binôme et sont chacun limités à douze heures de piste par jour. C’est la naissance de la Madison, ou course à l’américaine.
La course de Six jours est créée à Paris en 1913, sous ce même format. Désormais à deux, les coureurs bénéficient d’un peu plus de répit, mais tout relatif ! Les pauses varient de deux à cinq heures, sur lesquelles il faut manger, se laver, se faire masser, et enfin s’écrouler de fatigue. Le tout coincé dans une cahute dont l’intimité n’est pas le premier des attributs, et dans un brouhaha indescriptible… Mais course à l’américaine oblige, une tape sur le cuissard et ça repart !
Autant dire que l’effort nécessaire pour boucler les six jours reste redoutable.
Et même si les coureurs ont des capacités remarquables, un courage et une volonté à toute épreuve, ils ne sont pas non plus dotés de pouvoirs surnaturels. Inévitablement, ce qu’on appelle le "doping" à l’époque a ses entrées, certains managers n’hésitent pas à y avoir recours pour leurs coureurs, il faut les maintenir en selle : caféine, eau-de-vie, héroïne, jusqu’à la nitroglycérine… Mais le secret de Polichinelle est bien gardé, priorité au spectacle et à la performance !
Au fil des ans le format de la course se modifie, un système à points est introduit, des épreuves ajoutées, la course neutralisée quelques heures pour augmenter le temps de repos des sportifs. Autre adaptation de taille, les binômes sont remplacés par des trios à partir de 1955. De l’avis des pistards ça a tout changé, et on veut bien les croire…
Les Six Jours de Paris disparaissent en 1958, avec la démolition du Vel' d’Hiv.
En France, les Six Jours de Grenoble prennent le relais de 1971 à 2014, mais dans des formats revisités et plus courts. Les Six Jours de Paris, quant à eux, ont fait un petit retour au Palais Omnisport de Paris-Bercy de 1983 à 1989, également sous un format plus court.
Ces courses de légende ont disparu peu à peu, et quand elles se sont maintenues elles se déroulent sur trois ou quatre jours. Aujourd’hui, seules les épreuves de Rotterdam et de Gand se déroulent sur six jours. À un détail près, il n’est plus question de tenir la cadence vingt-quatre heures sur vingt-quatre…