Le secteur du bâtiment et des travaux publics se féminise depuis plusieurs années. En 2022, 12,8% de femmes étaient enregistrées dans ces métiers selon la Fédération française du bâtiment (FFB). Il n’y en avait que 6,8% en 2000. Rencontre avec l’une des forces vives de la région : Stéphanie Billaut, charpentière.
Une forte personnalité, c’est le moins que l’on puisse dire de Stéphanie Billaut. Il y a 20 ans, elle a complètement changé de vie et s’épanouie aujourd’hui dans un métier dit "d’hommes" : elle est menuisière charpentière.
Stéphanie démarre sa carrière professionnelle dans l’enseignement et plus particulièrement le domaine de la vie scolaire : "À un moment donné, je ne me suis plus sentie à ma place, même si j’aimais mon métier et mes élèves. Alors j’ai dit stop, j’arrête, mais pour faire quoi ? Il fallait que je reparte de zéro, que je trouve ma nouvelle voie".
Le foot plutôt que la poupée
Stéphanie a toujours été "manuelle". Enfant, elle construisait des cabanes en bois avec ses frères (Stéphanie a cinq frères). Inutile de vous dire qu’une petite fille entourée de cinq garçons joue plus souvent au foot qu’à la poupée. À 30 ans donc, elle cherche sa voie. Elle va s’imposer naturellement grâce à un concours de circonstances : "J’étais en train de réparer un meuble chez ma belle-mère, elle savait que je cherchais mon futur métier et me dit en me regardant travailler, c’est évident Stéphanie, tu es faite pour travailler le bois".
Une école de menuiserie intérieure pour commencer
Dans le cadre de ses études, il y a deux stages à faire. Le premier se déroule dans le domaine de la menuiserie intérieure, mais pour le second, c’est un ancien élève du lycée dans lequel elle travaillait qui l’accueille. C’est là qu’elle découvre l’univers de la charpente.
Stéphanie décide donc de passer deux CAP. À l’époque, elle était la première femme à suivre ces formations. En huit mois, cette acharnée du travail présente deux soutenances : l’une en aménagement intérieur, l’autre, en charpente. Les examinateurs sont surpris du résultat, au point qu’ils lui demandent si ce n’est pas un BTS qu’elle présente.
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Je n’ai qu’un regret, ne pas avoir pu faire les compagnons du devoir parce que j’étais trop âgée, mais mon compagnonnage, je le fais au quotidien avec mon intérim, partout en France !
Stéphanie Billaut
Une femme sur le toit du monde
Il faut bien imaginer que nous sommes au début des années 2000. Trouver du travail n’est pas forcément facile dans sa branche. Stéphanie fait donc comme beaucoup, elle s’inscrit dans une agence d’intérim. Elle tombe alors sur Sandrine Leriche "qui se bat pour elle". Elle en passe des coups de téléphone pour permettre à Stéphanie de travailler : il faut convaincre les employeurs du secteur. Sandrine a toujours cru en Stéphanie, et elle a bien fait car aujourd’hui elle est cheffe d’équipe et est en CDI dans son agence d'interim.
"J’ai eu la chance de travailler avec les meilleurs, pour les meilleurs. Je n’ai qu’un regret, ne pas avoir pu faire les compagnons du devoir parce que j’étais trop âgée (NDLR : il faut avoir moins de 25 ans), mais mon compagnonnage, je le fais au quotidien avec mon intérim, partout en France. Et sur de nombreux chantiers, j’ai le bonheur de travailler avec des compagnons, ou d’anciens compagnons".
Stéphanie a également la chance d’avoir un mari qui la soutient. Les enfants sont grands, ont quitté le nid, et son mari l’encourage à continuer dans cette voie malgré les nombreux déplacements "Il voit que je suis tellement épanouie, emballée par les chantiers, qu’il me dit toujours vas-y continue, éclate-toi dans ton boulot !".
Laissez-nous parler, ne parlez pas pour nous. Laissez-nous nous épanouir !
Stéphanie Billaut
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Le bâtiment, un secteur d’avenir pour les femmes ?
Aujourd’hui, je ressens vraiment que la différence hommes femmes est nettement moins marquée sur les chantiers
Stéphanie Billaut
Pour Stéphanie, la féminisation des métiers du bâtiment passe avant tout par l’école. Car elle en est convaincue : "on ne sait pas vendre nos métiers aux jeunes."
"Il faut que les nombreux métiers du bâtiment soient présentés, expliqués aux jeunes femmes lors de leur scolarité. Les préjugés, les clichés, sont à mettre aux oubliettes. Cela étant, je ne dis pas qu’il faut imposer à ces jeunes femmes de s’orienter dans ces métiers, mais pour celles qui en ont envie, oui, il faut foncer ."
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Aller à la rencontre des jeunes
Stéphanie est en train de créer une association afin de pouvoir aller dans les collèges, les lycées, présenter les métiers du BTP, expliquer ce qu’elle vit au quotidien. Son leitmotiv c’est "Laissez-nous parler, ne parlez pas pour nous ! Laissez-nous nous épanouir" car elle sait qu’il n’y a rien de mieux que le témoignage d’une femme pour expliquer le quotidien dans ces métiers : "Aujourd’hui, je ressens vraiment que la différence hommes femmes est nettement moins marquée sur les chantiers. Même si certains peuvent encore être étonnés quand ils me voient manier des engins télescopiques, un manitou, soulever des charges ou taper avec une masse, la totalité de mes collègues est à mes côtés. Quand je vois ce qu’ils font pour moi, ce que je vis avec eux, mes collègues, je peux le dire sont mes frères d’armes". Et si vous lui dites que ce qu’elle fait est incroyable elle vous répondra en riant : "Je ne fais rien de plus que ce que fait une femme qui conduit un bus !"
En général, elle travaille en binôme. "C’est un peu comme dans la série Starsky et Hutch, on n’a pas besoin de se parler pour se comprendre, un binôme c’est le prolongement de soi, une force".
Stéphanie perpétue les valeurs de ces métiers. Le respect des anciens, la référence de leur travail qu’il faut essayer de reproduire. Toutes ces valeurs, elle les retrouve dans ses collègues. Certains, comme Julien Schyve, sont devenus entrepreneurs. Julien, qui a donc créé sa boîte près de La Bassée (59), a été l’un des binômes de Stéphanie, bien que passé de l’autre côté, il ne manque pas de faire appel à ses services, preuve que son travail de qualité est reconnu.
Si son emploi du temps est bien rempli, si ses déplacements sont nombreux dans l’hexagone, Stéphanie est également jury pour l’obtention de titres professionnels dans un centre de formation métiers du bâtiment de la région. Et mon petit doigt me dit, qu’elle aura bientôt d’autres nouvelles attributions qui vont lui être confiées.
Comment voit-elle le secteur du BTP dans 10, 15 ans ?
"C’est un piège cette question ! (rires) Je le vois toujours ouvert aux femmes, enfin à celles qui le désirent ! Il faut aller chercher les talents là où ils sont. Historiquement, les métiers du BTP étaient masculins. De plus en plus de femmes s’engagent dans cette voie, il est donc temps de dépasser les préjugés. Le frein n’est pas l’entreprise. Non, il faut qu’on nous laisse parler, que certains arrêtent de parler pour nous."
Les femmes ont une vraie appétence pour les métiers de terrain. Les possibilités de carrière et d’évolution sont considérables dans ce domaine. Un domaine en constante évolution, qui change tout le temps, avec des métiers polyvalents. Au cas où vous auriez envie de franchir le pas, voici ce que Stéphanie nous a dit pour conclure :
"Depuis 20 ans, je vis ma meilleure vie", alors prête à tenter l’aventure ?