La lutte contre les violences sexistes et sexuelles et la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes forment un seul et même combat. Un engagement que portait déjà Isabelle Lonvis-Rome, avant d'être nommée ministre déléguée chargée de l'égalité entre femmes et hommes.
La lutte contre les violences sexistes et sexuelles et la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes forment un seul et même combat avec en ligne de mire, la nécessité pour chacun d’être respecté et maître de son destin.
Cet engagement est celui d'Isabelle Lonvis-Rome, nommée en mai 2022 à la tête du ministère délégué à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour en parler, elle a accepté un entretien avec notre journaliste Marie Sicaud.
Qu’est-ce qu’on ressent la première fois qu’on s’installe dans ce fauteuil, derrière ce bureau ?
Il y a forcément une émotion et de se dire finalement je suis à ma place puisque ça fait trente ans que je me bats pour les droits des femmes. Donc oui, je vais agir le mieux possible.
À quel moment est né cet engagement ?
Pour ma part, il s’agit d’un cheminement qui m’a amenée progressivement à m’intéresser au droit des femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je suis magistrate.
Vous étiez la plus jeune magistrate de France. À 23 ans, vous étiez juge d'application des peines à Lyon.
Cette première expérience comme juge d’application des peines a pour moi été fondatrice parce que j’ai vraiment découvert la vie sous toutes ses aspérités. J’ai découvert aussi toutes les formes de misère, de dépendance et de cette expérience est né un engagement très fort. Peut-être est-ce toujours ma boussole ? La première, c’est la lutte pour la dignité humaine et à partir de ce moment-là, j’ai compris qu’il fallait toujours travailler avec les autres, en pluridisciplinarité, toujours être engagée dans la société. Je me suis beaucoup engagée à l’époque pour la réinsertion, ensuite pour la prévention. J’ai aussi, comme magistrate, œuvré pour les personnes hospitalisées en psychiatrie. Partout finalement où il y a de la souffrance ou de l’injustice, j’étais là et j’ai découvert petit à petit le sujet des droits des femmes.
Le fait d’avoir jugé de nombreux viols, de nombreux féminicides, là, j’ai compris jusqu’où pouvaient donner les violences faites aux femmes.
Isabelle Lovins-Rome, ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommesFrance 3 Hauts-de-France
Avec l’expérience, je me suis rendue compte que l’égalité entre les femmes et les hommes n’était pas aussi réelle que ce qu’on pourrait penser. Je pense que l’élément le plus décisif pour moi, en tous cas le plus viscéral, parce que là on peut parler d’un engagement viscéral et d’un combat, c’est en tant que juge pénal et en particulier comme présidente de cour d’assises. Le fait d’avoir jugé de nombreux viols, de nombreux féminicides, là, j’ai compris jusqu’où pouvaient donner les violences faites aux femmes.
Est-ce qu’il y a un dossier traité dans ce cadre-là, qui vous a marquée ?
Malheureusement j’ai eu plusieurs dossiers qui m’ont beaucoup marquée et je le dis souvent d’ailleurs, que le combat que je mène aujourd’hui, je le mène pour toutes ces femmes que j’ai pu rencontrer à l’audience, que j’ai pu entendre et aussi, pour moi c’est important de le dire, pour toutes ces femmes que je n’ai pas vues parce que c’était trop tard. Ces visages sur les photos, souriants, c’était toujours très dur de les voir à l’audience et je les ai toujours dans ma tête et c’est pour elles que je mène ce combat. Vous me parliez d’un dossier peut-être, en ai-je un en tête parce que j’avais tellement de mal à le préparer chez moi, que j’avais constaté que je ne devais plus le travailler le soir parce que je n’arrivais plus à dormir ensuite. C’était un homme qui avait massacré sa conjointe de plein de manières et devant ses enfants pendant toute une nuit. Ce dossier m’a particulièrement marquée.
Marquée au point de lancer "le pack nouveau départ" ?
C’est un dispositif auquel je tiens beaucoup, que j’ai proposé à mon arrivée ici parce qu’en fait, j’avais constaté que c’était extrêmement difficile pour une femme de partir. C’est déjà compliqué de se rendre compte qu’on vit dans une situation qui n’est pas normale, quand on est victime de violences, d’humiliations, de vexations, de brimades répétées et quand on se décide à parler, là il faut pouvoir y aller. Si on a des difficultés matérielles en plus de tout le reste, on fait des allers-retours.
Les associations disent que parfois il faut sept allers-retours avant de pouvoir partir et c’est peut-être lors de l’un de ces allers-retours que l’irréparable peut être commis. Ce "pack nouveau départ", c’est pour éviter les faux départs. Il consiste en un accompagnement social de ces victimes sur plusieurs aspects, c'est-à-dire à la fois une allocation financière, un accompagnement pour le retour à l’emploi ou à la formation, pour la garde d’enfants, à l’accompagnement psychologique et si besoin un hébergement d’urgence sans avoir à aller frapper à toutes les portes mais avec un seul interlocuteur après signalement. Et le signalement peut être donné par plein de personnes. Cela peut être une association, un policier, un médecin, un maire, une soignante, un avocat. Le signalant contacte le référent unique à la caisse d’allocations familiales et ce référent unique, c’est lui qui va déclencher auprès de ses partenaires toutes les mesures nécessaires.
Vous avez passé un certain nombre d’années dans notre région, dans les hauts de France, en tant que vice-présidente en charge de l’instruction au tribunal d’Amiens. Vous aviez aussi dans notre région en Picardie, un engagement au sein de l’association Femmes Libertés. Dans notre région, on est champion de France en terme de violences faites aux femmes, de féminicides. Quelles traces ces années-là ont laissé dans votre parcours et dans votre engagement aujourd’hui ?
Ces années, presque 15 ans passés dans les hauts de France, ont été très importantes. J’ai rencontré de belles personnes, de femmes qui s’engageaient, notamment à travers l’association que j’avais créée Paroles de femmes en Picardie et ensuite Femmes Libertés. Des dames âgées par exemple qui participaient aux activités que nous proposions dans le cadre de cette association. Pour moi ça a toujours été important de rassembler des femmes de tous milieux et de toutes les origines. Par exemple, des ouvrières des sucreries, des femmes de l’agriculture, des professeures mais aussi des femmes du plateau de Creil, qui étaient parfois nées de l’autre côté de la méditerranée. Pour moi, c’est avant tout le lien qu’on peut tisser.
Pourquoi ce lien est-il important justement ?
Le lien, c’est le fondement-même de la République et de la Démocratie. Moi, je suis née dans une école, et au-dessus de la tête, je voyais écrit "liberté, égalité, fraternité". Je pense que ma vie, c’est ça. C’est-à-dire que j’ai choisi un métier initial de magistrate, au service de la liberté et de l’égalité. Comme ministre, je pense que je sers particulièrement la République et en tous cas je fais don de ma personne à la Nation, je le dis. Et en terme de fraternité, je souhaite aussi l’incarner et je trouve que l’engagement associatif tel que j’ai pu l’avoir est un bon moyen d’incarner cette fraternité qui donne du cœur à la liberté et l’égalité.
Si on n'inculque pas cette culture d’égalité, si on ne lutte pas contre ces modèles de présentation contre les stéréotypes qui sont véhiculés depuis des centaines d’années, on aura toujours des inégalités.
Isabelle Lonvis-Rome
Vous parliez de votre enfance, pour vous est-ce important que cette notion d’égalité soit refondée dès l’enfance ?
Oui, d’ailleurs c’est un chantier que j’ai souhaité tout de suite ouvrir, dès que je suis arrivée à ce ministère. Il faut inculquer cette culture de l’égalité dès le plus jeune âge, pour plein de raisons, pour lutter de manière efficace contre les violences faites aux femmes, parce qu’on peut protéger, sanctionner, prévenir la récidive mais aussi parce que cela crée des inégalités.
Un exemple très simple, c’est si on n'inculque pas cette culture d’égalité, si on ne lutte pas contre ces modèles de présentation contre les stéréotypes qui sont véhiculés depuis des centaines d’années, on aura toujours des inégalités. Les filles s’orienteront toujours vers certains métiers qui sont comme par hasard moins rémunérateurs. Les garçons se dirigeront toujours vers des métiers où on gagne un peu plus d’argent mais, parce que justement on donne des modèles aux filles et aux garçons, qui les orientent vers de tels choix.
Aujourd’hui, on se rend compte qu’on va manquer d’ingénieurs, qu’il n’y a pas suffisamment de filles ingénieures. Nous nous privons finalement de 52% de l’intelligence. Il faut que les filles soient ambitieuses mais il faut aussi qu’on les incite à aller vers. Il faut qu’on les encourage, il faut qu’on les pousse. C’est pour cela que parmi les mesures du plan que nous portons avec la Première ministre, un plan sur 4 ans, le plan égalité femme/homme, il y a une mesure qui s’appelle 10 000 talents, justement pour aller chercher 10 000 jeunes filles, les repérer, les accompagner, les aider financièrement pour qu’elles puissent aller vers les métiers de la tech qui sont les métiers d’avenir et qu’elles délaissent encore trop souvent aujourd’hui.
Parlons d'actualité. En ce moment, nous sommes en plein débat de la réforme des retraites. Une fois de plus, notre région occupe un certain nombre d’inégalités puisque les femmes dans les Hauts-de-France, même si elles sont plus diplômées, gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes. Elles sont moins nombreuses à être en activité et elles travaillent plus souvent à temps partiel. Forcément, quand on arrive à la retraite, ces inégalités-là se font sentir. Comment vous, en tant que ministre, vous arrivez à faire avancer cette question-là ?
L’idée du plan que nous portons tourne autour de quatre axes : la lutte contre les violences, l’égalité économique, la culture de l’égalité et la santé. Il y a près de 150 mesures. Il n’y en a pas une de miraculeuse et qui consiste à dire on crée l’égalité. Il est facile de dire à travail égal, salaire égal. Cela prend du temps et surtout on se rend compte qu’il faut actionner plein de leviers différents. C’est-à-dire qu’on parle de l’éducation, on parle de l’orientation mais on parle aussi de tout ce qui est véhiculé au sein de la société. On parle du travail en entreprise mais aussi du travail dans la fonction publique. On parle de la maternité. On parle de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.
Est ce que vous allez réussir déjà à réduire ces inégalités et que ça ne se joue pas sur les prochaines générations ?
En tous cas, c’est notre ambition à travers ce plan. C’est de justement agir à différents niveaux. Par exemple, je pourrais citer en matière de lutte contre les violences, le fait de créer une maison des femmes par département qui sont des maisons qui permettent d’accueillir des victimes avec un accompagnement global, psychologique, social, etc …mais aussi dans un tout autre registre.
Le fait d’exclure des marchés publics passés par l’Etat, des entreprises qui ne respectent pas la parité, qui ne publient pas leurs résultats à l’index. C’est un instrument qui permet de mesurer les inégalités salariales. Donc lorsque les entreprises ne publieront pas leurs résultats à l’index, elles seront exclues des marchés publics de même que si elles ont une note insuffisante. On va aussi agir en matière d’éducation, notamment avec mon collègue le ministre de l’Education nationale, imposer la mise en œuvre de la loi de 2001 sur l’éducation à la sexualité qui n’est pas assez appliquée aujourd’hui et cela est très important. Parce que quand on parle de l’éducation à la sexualité, on ne parle pas que de choses biologiques, on parle de l’éducation, du respect de l’autre, de l’apprentissage du consentement et ça, c’est fondamental.
La responsabilité de porter tout cela, ce n'est pas seulement aux femmes qu'incombe tout ce qui touche à la contraception, à la sexualité, à l'arrivée d'un enfant ?
Bien sûr, vous avez raison. Il est important de dire que ce sujet égalité femme/homme, ce n’est pas un sujet de femme comme ce n’est pas seulement un sujet d’un combat féministe. C’est bien un sujet de société. On doit être tous embarqués vers cette égalité et ce n’est pas que pour se donner bonne conscience parce qu’on se rend compte que quand par exemple il y a plus de mixité et d’égalité dans une équipe, dans une entreprise, l’équipe fonctionne mieux. On est plus riche quand on est divers. Les intelligences s’ajoutent lorsqu’elles sont différentes. Je pense souvent aux générations futures. J’ai envie de laisser une société à nos enfants, nos petits-enfants, qui soit plus égalitaire, moins violente, plus apaisée, plus harmonieuse.
Parlons du Sénat qui a adopté l’inscription à la constitution, la liberté de recourir à l’avortement et non du droit à l’avortement. Que pensez-vous de cette subtilité dans les termes employés ?
D’abord je me félicite que le Sénat ait proposé une rédaction qui a permis l’adoption de cette proposition de loi par le Sénat. Maintenant, les débats parlementaires ne sont pas terminés, cela doit retourner à l’Assemblée nationale. Je pense que le texte peut encore être enrichi. Mais je soutiens à fond l’inscription de ce droit à l’avortement dans la constitution. Pour moi, il faut verrouiller ce droit parce que nous ne sommes jamais à l’abri d’un risque de retour en arrière. On le voit un peu partout dans le monde et aussi parce que je trouve que la France qui est aussi le pays des droits de l’Homme, doit être aussi celui des droits des Femmes.
En cette période où un peu partout dans le monde, les droits des femmes sont bafoués, où on a des femmes qui sont opprimées, violées, malmenées. La France doit être une lumière au milieu de cette obscurité.
Isabelle Lonvis-Rome
Avant de se quitter, dans ce monde quand on naît petite fille, on est exposé à un risque plus important de violences sexistes, sexuelles, à des inégalités de salaires et où les droits doivent être défendus, qu’est-ce que vous avez envie de dire aux petites filles ?
Aux petites filles, j’ai envie de dire qu’il faut avoir des rêves. Il faut suivre ses rêves, il ne faut jamais renoncer à quoi que ce soit. Quand on est motivé, quand on a envie de réussir, quand on a envie de faire quelque chose, ne renoncez jamais. Vous aurez des contrariétés, vous aurez des résistances, mais dites-vous toujours, je sais où je veux aller et quand on sait où on veut aller, cela permet de surmonter toutes les tempêtes.
Retrouvez l'entretien avec la ministre Isabelle Lonvis-Rome ci-dessus, dans l'émission Hauts féminin du 8 mars 2023, et tous les autres épisodes sur france.tv.