Avoir un toit sur la tête, c'est déjà beaucoup, mais ça ne fait pas tout. Et quand on rencontre des galères, que la vie nous malmène, la décoration n'est vraiment pas une priorité. Surtout quand l'angoisse des fins de mois est quotidienne. C'est pour cette raison qu'est née la déco'thèque, une association de "décoration sociale".
"Il y a beaucoup d’acteurs sociaux dans le logement mais pas dans la déco" commence Tiffany Origlia. "Or, ça permet aux gens de s’approprier leur lieu de vie, que ça devienne vraiment chez eux. C'est un vrai besoin, constaté sur le terrain".
Il y a un an, Tiffany se lançait dans l'aventure de la déco'thèque. Assistante sociale pour une collectivité, elle a mené une expérimentation en proposant des "coachings déco". Quand elle a vu le bien que cela procurait aux gens qu'elle a pu aider, elle a décidé de créer une association. "Pour ces gens, c'est difficile de trouver des meubles, parce que c'est cher. Et puis la déco, avec l'inflation, ce n'est pas une priorité, pourtant ça leur fait un bien fou", explique-t-elle.
Dons et coaching déco
Depuis décembre 2023, elle accueille tous les lundis des personnes qui ont besoin de conseils, d'accompagnement et surtout que çe ne leur coûte pas cher.
Tous sont envoyés par des structures sociales, c'est la seule condition pour pouvoir bénéficier de la déco'thèque. Séparation, divorce, changement de vie, ou jeunes adultes sortis de foyers, tous ont vécu des galères. "Ça fait du bien à l’estime d’eux-mêmes. Ils sont contents d’être accompagnés. Les gens sont hyper reconnaissants !" confie-t-elle.
Entourée désormais d'une douzaine de bénévoles, les personnes qui le souhaitent viennent donc chercher à Croix (Nord) des objets, cadres, miroirs, bougies, petits meubles mais aussi des idées. Parce que Tiffany, avant de se lancer, a passé un diplôme de décoratrice d'intérieur.
Mettre des paillettes dans leur vie
Chaque bénéficiaire, moyennant 2 euros, peut donc profiter de son expérience. A chacun, elle demande quelles sont les couleurs qu'ils aiment. Souvent, ils ne savent pas répondre. Les jeunes sortis de foyers, par exemple, "ne veulent pas de vert anis ou d'orange", raconte-t-elle. "Ils en ont trop vus dans les couloirs des établissements qui les hébergeaient. Et puis, souvent, ils n'ont jamais eu le choix de leur décoration, ils sont un peu perdus".
Les jeunes issus de l'aide sociale à l'enfance représentent près d'un tiers des bénéficiares de la déco'thèque depuis son lancement. "Ils sont heureux, superpositifs, on prend soin d’eux. On parle de leurs goûts, on les écoute, c'est une des premières fois, parfois... " ajoute la présidente de l'association.
D'ailleurs, pour Tiffany, il est important que ce soit simple, que ça ne soit pas un souci de plus à porter pour les bénéficiaires. Aussi, elle attache un soin particulier à leur accueil. "Souvent quand ils vont dans une administration, ils ne se sentent pas les bienvenus, ils ont l'impression de déranger. Ici, il y a toujours à boire et à manger, pour les inviter à se poser".
Des bénévoles motivés
De nature énergique, la jeune femme ne ménage pas ses efforts. "Nous n'avons pas de salariés, nous sommes tous bénévoles, nous avons un travail et nous donnons de notre temps". D'autant que l'association propose aussi des "coaching déco", des accompagnements plus poussés pour ceux qui le souhaitent. Dans ce cas, des bénévoles peuvent se rendre au domicile, repeindre des murs, délimiter des espaces, poser des cadres ou des étagères.
Et puis, il n'y a pas de limites dans le nombre d'objets qu'ils peuvent prendre. Tous sont issus de dons apportés à la déco'thèque. Ils sont parfois remis en état ou customisés, si besoin. "Ma belle-mère, Dominique, peint les meubles ; même ma banquière est devenue bénévole !" rigole Tiffany.
En moyenne, les bénéficiaires choisissent une cinquantaine d'objets. "Ils prennent beaucoup, on les aide en créant des aménagements par couleur dans le local pour qu'ils puissent se projeter" raconte la présidente de l'association.
Ce sont 1100 cadres, lampes, rideaux, qui ont ainsi changé l'intérieur des bénéficiaires en 9 mois. Une trentaine d'appartements ont été redécorés, aménagés dont la moitié lors de coaching-déco.
Une fierté pour toute l'équipe qui partage régulièrement ces moments forts sur les réseaux sociaux. Car proposer de la déco est aussi l'occasion d'échanger, de partager, d'aider. "On les accompagne aussi vers plus d'autonomie" complète la fondatrice de l'associatoin. "Quand on les suit, on leur donne une boîte à outils et des clous. Souvent, ils n'en ont jamais planté. Et puis, on leur donne des bons plans, pour de la seconde main, de la récupération".
L'idée est qu'ils se sentent bien chez eux. D'ailleurs, "chez les gens que nous accompagnons, il n'y a pas d'impayés". ajoute Tiffany. "Parce que leur logement devient vraiment leur "chez eux", c'est le signe d'un nouveau départ".
Leur logement devient vraiment leur "chez eux", c'est le signe d'un nouveau départ.
Tiffany Origlia, présidente de la déco'thèque
La décothèque intervient sur tout le territoire de la Métropole européenne de Lille, avec une priorité sur les zones desservies en transports en commun : l'association n'a pas de camionette pour transporter les meubles et objets encombrants. Une difficulté que Tiffany espère temporaire.
Côté dons, la déco'thèque cherche "du linge de lit une personne pour les enfants, des fleurs séchées, des plantes naturelles ou artificielles - "un vase vide ça ne part pas"-, des cadres -"on met du papier-peint dedans, ça décore pour pas cher-" des rideaux aussi beaucoup -"il fait jour tôt-, des serviettes de bain parce que ça coûte cher."
Une des surprises de l'équipe, depuis que la déco'thèque est née, est que les bénéficiaires ramènent, quand ils n’utilisent pas, un objet qu'ils avaient pris. Dans l’idée que ça fasse plaisir à quelqu’un d’autre.
"Quand on rentre chez quelqu'un, si c'est bien décoré, on y est sensible. La déco c'est un support pour faire ensemble, valoriser les personnes. C'est une façon de prendre soin des autres", conclut la pétillante Tiffany.