Réclamé depuis des années par les associations de victimes, le délit d'homicide routier est en passe de voir le jour. Une proposition de loi sera examinée à l'Assemblée nationale ce lundi 29 janvier. Mais ce n'est pas forcément une avancée selon un avocat lillois spécialisé en droit routier.
Pour Gwenaëlle Breton, "il était temps". Depuis qu'elle a perdu son fils de 16 ans, tué dans un accident de la route à Camphin-en-Pévèle, elle se bat pour faire changer la qualification d'homicide "involontaire" en homicide "routier".
Imaginez la violence du mot "involontaire". On tue votre fils et la justice vous dit que c'est un acte involontaire. Ça met en colère
Gwenaëlle Breton, collectif Justice pour les victimes de la route
Il y a 4 ans, son fils roule à vélo quand une voiture le percute en fin de journée. Il fait noir. Le conducteur, en excès de vitesse, l'a doublé "alors que la circulation était dense", explique la mère de famille. "Ça n'était pas une simple imprudence comme l'a dit la justice lors du procès, il y avait une circonstance aggravante", à savoir la vitesse. Les mêmes faits, s'ils s'étaient produits après le 29 janvier 2024, seraient donc qualifiés "d'homicide routier". "Et ça, ça change tout", pour Gwenaëlle Breton.
Quand on roule, on a une arme entre les mains. Mais le permis de conduire n'est pas un permis de tuer
Gwenaëlle Breton, collectif nordiste Justice pour les victimes de la route
Coquille vide
Une avancée sémantique dont se félicite Me Antoine Régley, avocat au Barreau de Lille, spécialisé dans l'accompagnement des victimes de la route. Mais ça ne va pas plus loin selon lui. "Cette loi est un pansement sur une jambe de bois", une "coquille vide".
Car le contenu de ce délit d'homicide routier, lorsqu’il est commis avec une ou plusieurs circonstances aggravantes, reste le même : les peines ne sont pas aggravées, les victimes ne seront pas mieux suivies, la justice ne sera pas plus rapide.
Cette loi ne réparera pas les souffrances d'hier et ne préviendra pas les drames de demain
Me Antoine Régley, avocat au Barreau de Lille
Les peines encourues restent en effet les mêmes :
- jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende
- jusqu'à 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende avec une circonstance aggravante (alcool, drogue, stupéfiants, excès de vitesse)
- jusqu'à 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende avec plusieurs circonstances aggravantes
Des peines jamais appliquées : "moins de 10% des conducteurs qui tuent vont en prison. La plupart a un aménagement de peine avec un bracelet électronique".
Or selon l'avocat, "il faut que la loi fasse peur si on veut vraiment faire changer les choses". Il propose, par exemple, de faire payer aux auteurs d'accidents de la route la moitié ou la totalité des dommages et intérêts : "risquer de s'endetter à vie en commettant un accident, ça ferait peut-être réfléchir les conducteurs avant de prendre le volant".
Tant qu'on ne touchera pas au porte-monnaie , comme pour les radars, rien ne changera
Me Antoine Régley, avocat au Barreau de Lille
Il faut aussi, selon lui, donner plus de moyens à la justice. Les délais sont trop longs pour audiencer les accidents de la route : "au tribunal de Lille, on donne la priorité aux violences conjugales, ça s'entend mais ça ne doit pas se faire au détriment des autres dossiers".
Mieux que rien
Gwenaëlle Breton le confirme, elle a dû attendre un an et demi avant le procès pour la mort de son fils. Le délai moyen à Lille, selon Me Régley. "C'est long, reconnaît la mère de famille, mais on ne peut pas vouloir changer toute la justice d'un coup". La création de cet homicide routier est déjà une belle avancée selon elle. "C'est mieux que rien même si ça aurait pu aller plus loin".
Plutôt qu'emprisonner les coupables, elle préférerait par exemple qu'ils suivent systématiquement un stage dans un centre de rééducation : "ça leur mettrait peut-être du plomb dans la tête".
Les propositions comme celles-ci ne manquaient pourtant pas pour enrichir ce nouveau délit. Les associations d'aide aux victimes en ont fait plusieurs. L'avocat lillois aussi a essayé d'enrichir le texte mais il restera selon lui une "mesurette".
Accompagnement
Une "mesurette" qui oublie le volet accompagnement, comme c'est le cas pour les victimes d'attentat ou d'accident : "quand des parents vont reconnaître à l'hôpital leur enfant mort dans un accident de la route, ce n'est pas compliqué de les faire accompagner par un psychologue."
3 000 morts par an sur les routes, 200 000 blessés, 0 cellule psychologique, le ratio est mauvais
Me Antoine Régley, avocat au Barreau de Lille
Cellule psychologique ou simple présence d'un psychologue, cela devrait être automatique pour le spécialiste : "il s'agit de montrer aux victimes d'accident de la route ou à leur proche que l'Etat est là."
La proposition de loi transpartisane, examinée en commission le 23 janvier, a été votée par 7 groupes politiques sur 10. Rendez-vous ce lundi 29 janvier pour son examen en séance publique à l’Assemblée nationale.