Face à la menace terroriste et à un ennemi passé maître dans l'art de la communication et de la récupération, la question de l'annulation ou non de grandes manifestations comme la braderie de Lille n'offre que de mauvaises alternatives, estiment des experts.
Annuler l'événement revient à accorder au groupe État islamique (EI), dont le but proclamé est de faire vivre la France dans la terreur, une victoire symbolique, mais le maintenir équivaut à faire courir un risque trop grand, avec des forces de sécurité sur-employées depuis des mois.
"Nous faisons face à un problème, c'est vrai", confie Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE. "Et c'est insoluble : pour Daech, c'est pile je gagne, face tu perds. À Lille, n'importe quel crétin qui foncera dans la foule avec une voiture ou un camion, maintenant que l'exemple a été donné à Nice, est sûr de faire un maximum de dégâts, même si cela n'a pas grand-chose à voir avec l'islamisme, mais parce c'est un taré. Et évidemment Daech s'en félicitera à deux mains et revendiquera".
L'ancien maître-espion estime toutefois qu'étant données les circonstances actuelles, le niveau de la menace et les difficultés qu'il y a à sécuriser une manifestation d'une telle ampleur, la décision de la maire de la ville Martine Aubry est compréhensible.
Choisir l'option la moins dangeureuse
"En phase d'affrontement et de risque comme c'est le cas actuellement, le premier devoir des gouvernants est de protéger les Français", dit-il. "Ce n'est certainement pas ça qui suffira, mais la décision de Lille peut se comprendre. Il y a des priorités. Je me mets à la place des princes qui nous gouvernent : en autorisant de tels rassemblements, ils prennent un risque, et bien sûr on le leur reprochera s'il se passe quelque chose.""Il y a un moment où de deux options il faut choisir la moins dangereuse, celle où on risque le moins d'avoir des morts. Et de toutes façons, Daech peut obtenir des victoires autrement, on le voit avec le premier crétin qui va égorger un curé", ajoute-t-il.
Le problème principal est que la lutte est engagée contre un ennemi qui maîtrise à merveille les techniques de communication, et parvient à tourner à peu près n'importe quel événement à son avantage, souligne le criminologue Alain Bauer.
Éviter le risque
"Pour l'EI tout est victoire. Ce qui se passe et ce qui ne se passe pas. Ce qui réussit et ce qui rate, ce qui fait une victime ou ce qui en fait cent", dit-il."Ils sont dans une logique de communication tous azimuts, multi-secteurs, qui s'appuie sur des communicants extérieurs à l'organisation. C'est une organisation qui une capacité extraordinaire à gérer la com' 2.0. Le terrorisme, c'est de la communication plus de la violence. L'anti-terrorisme, ça doit être de la sécurité plus de la communication. Or notre problème depuis le début c'est qu'on n'a toujours pas intégré la dimension communication. Donc ils gagnent dans tous les cas de figure."
Avec ses cent kilomètres d'étals dans tout le centre de la ville, dix mille exposants et plus de deux millions de visiteurs, la braderie de Lille a posé cette année un problème de sécurisation insoluble, en particulier après la mobilisation des forces de l'ordre notamment pour l'Euro, le Tour de France et toutes les manifestations estivales.
"Nous avons vraiment tout fait pour, mais il y a des risques que nous n'arrivons pas à réduire. C'est une décision douloureuse", a expliqué vendredi Martine Aubry. En raison des "camionnettes qui entrent en permanence sur les lieux", du "fort volume de marchandises" et de la "présence massive d'un certains nombre de personnes dans un périmètre restreint", l'annulation "était la seule décision raisonnable".
Pour Alain Bauer, "on peut imaginer que les forces de l'ordre sont épuisées, ou n'ont pas assez de moyens disponibles. Donc tout le monde a pensé ça en termes de: 's'il arrive quelque chose, quelle va être ma responsabilité ?' Donc on préfère éviter le risque, ce qui est très raisonnable."