Corbeaux, corneilles et pies ne sont pas des oiseaux de malheur : une start-up les dresse pour ramasser nos déchets

Et si des oiseaux étaient capables de ramasser les déchets que nous jetons dans les rues comme les mégots de cigarettes ? Deux jeunes entrepreneurs ont fabriqué à Lille une machine capable de dresser corbeaux ou pies pourtant considérés comme nuisibles. Nom de code : "Birds for change".

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"Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute". Qui ne connait pas la célèbre fable de Jean de La Fontaine, Le corbeau et le renard, et sa morale ? Maître corbeau semble bien peu malin.

Cette image lui colle à la peau, pire, le corbeau a dans nos cultures occidentales une très mauvaise réputation. C’est lui, l’oiseau des sorcières, le familier du diable, que l’on crucifiait jadis aux portes des maisons.

Une superstition qui lui vaudra d'être abattu et persécuté par les hommes pendant des siècles. Aujourd'hui encore il est chassé et piégé, car considéré comme "nuisible" et "susceptible d’occasionner des dégâts". Avec les corneilles et les pies, il appartient à la grande famille des corvidés.

"Au lieu de tuer ces oiseaux, collaborons avec eux!"

Face à ce qu'il considère comme un massacre, un jeune ingénieur tout juste diplômé de l'ICAM de Lille décide de réagir. Tout commence en 2015. Jules Mollaret est assis sur un banc public avec son père. "J’observais des pigeons sur une place lorsque j’ai vu deux hommes jeter leurs mégots par terre. J’ai dit à mon père 'si seulement les pigeons pouvaient ramasser les déchets', ça serait pratique et une bonne leçon pour ce genre de personnes".

De retour chez lui, notre futur entrepreneur se lance dans une recherche effrénée pour savoir si son idée est réalisable ou si elle doit rester une douce utopie. Et le résultat des heures passées sur internet comble ses espoirs les plus fous ! Oui il est possible d'éduquer des oiseaux à ramasser des déchets.

Des corbeaux et des hommes

Plusieurs études ont été réalisées, des expériences menées pour démontrer cette hypothèse. Jules Mollaret va mesurer combien les corvidés sont même célèbres pour leur intelligence. Ils manipulent des objets de manière étonnante et savent résoudre des problèmes astucieusement pour trouver leur nourriture. C'est dû à leurs cerveaux relativement gros, mais aussi à la longue période qu'ils passent auprès de leurs parents, pour se consacrer à l'apprentissage.

Plus étonnant, les corbeaux ont aussi une mémoire des visages impressionnante. Des chercheurs de l’Université de Washington, à Seattle, ont testé cette capacité en revêtant un masque pour capturer puis relâcher des corneilles d’Amérique. Les oiseaux sauvages poussaient alors des cris agressifs à chaque fois qu’ils voyaient le masque !

Avec son ami Thibault Cour, lui aussi ingénieur arts et métiers de l'Université catholique de Lille, ils découvrent que Christophe Gaborit, responsable de l'élevage à la fauconnerie du Puy du Fou, a réussi à dresser des corbeaux pour ramasser les mégots de cigarettes qui jonchent le parking du parc d’attraction.

Leur objectif désormais : trouver le moyen d'apprendre aux corbeaux, corneilles et autres pies des villes à ramasser les milliers de déchets abandonnés en pleine rue par des citoyens peu scrupuleux de leur propre environnement.

La "birds box", une boite à dresser

Printemps 2020. 5 ans après l'idée originelle, Jules et Thibault vont mettre à profit le premier confinement pour solliciter plusieurs experts, construire une collaboration avec des scientifiques comme l'éthologue Valérie Dufour chargée de recherches au CNRS de Strasbourg ou Frédéric Jiguet, professeur-chercheur au muséum d'histoire naturelle de Paris.

Ils n'ont pas plus de 25 ans et créent alors leur start-up à Marseille : "Birds for change". Mais c'est à Lille, dans le "Fab Lab" de l'ICAM que les deux amis vont créer le premier prototype d'une "poubelle" capable de distribuer de la nouriture aux corvidés en échange des déchets ramenés par les volatiles. Dans ce lieu de rendez-vous où passionnés, étudiants, startuppers, entrepreneurs, collaborateurs innovent et bénéficient de nombreuses machines numériques mises à disposition, Jules et Thibault concrétisent leur rêve.

Notre machine est dotée d'un système autonome de récompense : un oiseau conditionné reçoit une ration de nourriture chaque fois qu'il y place un déchet qu'il a récolté : mégot, canette ou papier gras.

Jules Mollaret, créateur de Birds for change avec Thibault Cour


 

Cette poubelle intelligente détecte à l'aide d'une caméra les détritus qui passent dans un entonnoir et arrivent dans une boîte où ils sont analysés. Les déchets tombent ensuite dans un réservoir et l’oiseau reçoit en contrepartie de la nourriture, via des machines dédiées et autonomes.

En phase d'études et d'expérimentation

Le projet est désormais en phase de test grandeur nature. Une première "Birds box" est installée dans une volière, au CNRS de Strasbourg, où le comportement des oiseaux est étudié. Une autre a trouvé sa place dans le jardin des plantes, cœur du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. C'est là que se mesure les impacts possible du dispositif sur la santé des oiseaux.

"Il n’y a pas de risque que les animaux mangent les détritus. Leur intelligence fait qu’ils savent très bien qu’ils sont face à des déchets qui ne se mangent pas, précise Jules Mollaret, ces oiseaux-là savent très bien ce que sont les plastiques et les mégots. Après, comme ils manipulent les déchets avec leur bec, la toxicité pourrait venir de là.

Nos startuppers se veulent rassurants. Les premiers résulats sur les corneilles baguées et suivies à Paris ne mettent en évidence aucune conséquence toxique. La question se pose encore notamment sur le ramassage des masques anti Covid-19 par les oiseaux. La phase d'études se terminera fin 2021.

"Créer l'électrochoc chez les gens"

Seulement voilà, les agriculteurs reprochent toujours aux corvidés d'occasionner d'importants dégats dans les cultures et les habitants des villes, des nuisances sonores et l’abondance de fientes.

Les créateurs de "Birds for change" espèrent donc convaincre et mobiliser de nombreux acteurs publics et privés autour de leur démarche. Le but est que les volatiles ramassent les déchets qui passent au travers des mailles des moyens de collecte actuels. Il s'agit essentiellement de micro-déchets comme des petits plastiques ou des mégots. 

Et le modèle pourrait se développer très vite. Il suffit de compter sur le caractère social de ces oiseaux : en regardant leur congénère, d'autres vont à leur tour expérimenter l'objet et rapidement, plusieurs dizaines d'entre-eux pourraient jouer les éboueurs dans nos rues, sur les plages ou les pistes de ski.

Si les oiseaux en sont capables, pourquoi pas nous ?

Jules Mollaret et Thibault Cour, créateurs de Birds for change

137 000 mégots sont jetés chaque seconde dans le monde, 1 français sur 3 jette ses déchets par la fenêtre de sa voiture.

Alors si nous commencions par changer de regard sur ces oiseaux "de malheur" ? Peut-être que demain, aux côtés des corbeaux et corneilles, celle qui sautille sur le sol, en ligne droite et la queue en l’air, puis fait deux petits pas de côté ; celle qui est devenue familière de nos parcs et jardins où elle a trouvé refuge, la pie bavarde, ne sera plus si voleuse que cela. Elle ne sera plus uniquement celle qui vole les bijoux de la Castafiore dans Tintin. 

 

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