Quand on pousse la porte, on sait où on entre : un univers dédié aux femmes. Frappée par la représentation des femmes trop souvent dépendantes des hommes, au théâtre comme dans les livres, Soazic Courbet a choisi de se spécialiser dans les féminismes. Seules les autrices ont un droit d'expression dans sa librairie. (Article publié une première fois le 12 février 2023.)
Sur la vitrine, Soazic Courbet annonce la couleur "qui sème l'impunité récolte la colère". L'Affranchie est une librairie féministe dans laquelle on ne trouve que des livres écrits par des femmes. Et si le décor de la boutique s'affiche tout en douceur, les revendications sont bien là. "C'est important d'être dans des lieux où on se sent accueilli, assure Soazic Courbet, où on peut venir prendre le temps de découvrir les livres sur les sujets dont on traite. Ils ne sont pas faciles. Ils font parfois remonter des souvenirs, où on essaye de comprendre qui on est face à cette société malmenante".
"C'est pour ça que je suis en colère"
En 2016, Soazic quitte le Vieux-Lille pour le quartier Solferino où elle ouvre l'Affranchie, juste en face du théâtre Sébastopol. Anciennement spécialisée dans le théâtre, elle donne au fil du temps de plus en plus de place au féminisme jusqu'à en faire son thème de prédilection. À l'origine de ce retournement, une bande dessinée : Les sentiments du prince Charles de Liv Strömquist (éd. Rackham). Une révélation pour la jeune trentenaire. Ce livre est un plaidoyer pour l'autodétermination et la libération des corps et des consciences. Les premières images relatent l'interview qui annonce les fiançailles du prince Charles avec la princesse Lady Di. Quand le journaliste lui demande s'il est amoureux, il répond oui, on est amoureux quel que soit le sens du mot amour.
"Tout le travail de Liv est de mettre en avant le fait qu'entre homme et femme, on ne se parle pas de la même manière d'amour et on ne montre pas de la même façon l'amour qu'on a les uns pour les autres. Ce qui fait qu'à un moment donné, on est dans des systèmes de domination. L'homme nous domine en tant que femme. On est, nous, piégées dans un espace domestique, dans des attentes de maternité par exemple, dans des problèmes de salaire. En fait, nos vies sont complètement construites dans une vision très patriarcale et quand j'ai lu ça, tout s'est aligné. Je me suis dit : 'c'est pour ça que je suis en colère depuis si longtemps. C'est pour ça que ça ne va pas. C'est pour ça que je n'arrive pas à trouver ma place'".
En fait, nos vies sont complètement construites dans une vision très patriarcale et quand j'ai lu ça, tout s'est aligné. Je me suis dit : c'est pour ça que je suis en colère depuis si longtemps.
Soazic Courbet
Le festival d'Amour, un festival de rencontres
Sept ans après, non seulement Soazic a trouvé sa place, mais elle donne la parole à toutes les femmes qui ont quelque chose à dire. Parmi ses coups de cœur, Les échos de la forêt de Mathilde Souchaud, une pièce de théâtre construite sur le temps d'une soirée. "Le huis-clos, c'est vraiment une écriture particulière. C'est l'histoire d'une famille qui se retrouve dans une maison de campagne et les animaux commencent à mourir de manière assez violente autour d'eux, mais il y a un déjeuner. Donc, on boit du vin, on mange, on discute et il y a un secret de famille qui petit à petit va être la cause de beaucoup de soucis. C'est une critique de la société, des humains, qui ne font pas attention à ce qui est en train de brûler autour. Notre planète tout simplement".
Sur les rayonnages, il n'y a que l'embarras du choix. Pièces de théâtre, bandes dessinées, essais ou livres pour la jeunesse. Mais Soazic ne se contente pas de prodiguer des conseils de lecture, elle crée l'évènement en lançant le festival d'Amour.
La deuxième édition du festival d'Amour a démarré. Le thème cette année, la rupture. Au programme, six rencontres avec des autrices et auteurs de réparation, d'espoir et de douceur, annonce-t-elle sur sa page Facebook.
"Le festival d’amour est né d’une envie de faire différent. On sortait de la pandémie, et on sentait que les gens étaient en manque de liens sociaux. On a été séparé les uns des autres très brutalement et je me disais on a envie de parler d’amour, de nous raconter des histoires d’amour".
Pour cette deuxième édition, Soazic lance une réflexion sur la façon d'aimer : "Le patriarcat et le capitalisme ne nous aident pas à nous aimer très sincèrement, de manière bienveillante et ce n’est pas un gros mot bienveillant. S’aimer bien, c’est être heureux, c’est la joie. Et la bataille de l’Affranchie, c’est vraiment ça. C’est dire, on mérite tous et toutes d’être dans des vies heureuses, joyeuses, saines et d’être aimées. Et là, j’ai 'Eloge des fins heureuses' de Coline Pierré, c’est un livre fondamental pour nous à ce sujet. C’est une autrice qui vient d’être éditée aux éditions Daronnes et qui nous dit, mais pourquoi c’est si bankable d’être triste ? Pourquoi tous les films sont tristes ? Pourquoi les femmes meurent tout le temps, se suicident ou sont trompées ? Pourquoi on nous raconte ça comme histoire ? On peut imaginer des futurs heureux, des histoires d’amour, des fins de films heureuses, des fins de livres heureuses et c’est comme ça qu’on pourra imaginer que nos vies soient meilleures".
Après ce festival d'autres rendez-vous, au fil des saisons, suivent.
Des livres pour tous les âges
À l'Affranchie, le féminisme n'est pas l'apanage des militantes. Il n'est pas non plus réservé à un public averti. Au contraire, Soazic réserve au fond de sa boutique un large choix d'ouvrages pour les enfants. Son favori du moment, Le garçon en fleurs, de Jarvis (éd. Kaléidoscope). L'histoire est celle d'un petit garçon qui a des fleurs en guise des cheveux. Lorsqu'elles fanent, c'est le drame. Heureusement, son meilleur ami lui vient en aide. Un livre poétique qui appelle à la tolérance et à la diversité. "Il appelle aussi à la sensibilité puisque les petits garçons, on a l'impression qu'il faut les blinder. Ils peuvent être casse-cous, ne pas ressentir des émotions. Il ne faut surtout pas pleurer, avoir des cheveux longs. On les laisse tranquilles les petits garçons. Ils ont le droit d'être en amitié, d'être tristes, d'être joyeux, d'aimer le rose, les paillettes, les licornes. Nous, ici, on adore tout ce qui fait joie".
Vous l'aurez compris, en franchissant les portes de l'Affranchie, le temps ne compte plus. Et comme Soazic aime aussi recevoir, une à deux fois par semaine, des autrices viennent à la rencontre des lecteurs. Pour ne rien oublier de ces échanges, elle propose de les réécouter en podcast, disponible sur toutes les plateformes en streaming. Récemment, elle a aussi mis en place un espace de jeux avec une version féministe du jeu Qui est-ce ?
"Il permet de découvrir des femmes qui ont marqué l'Histoire. Ça va être des scientifiques, des aventurières, des sportives. En fait, il y a énormément de choses qui ont été faites par les femmes et dont on ne parle pas dans les manuels scolaires. Ce sont des inventions qui ont été récupérées par les hommes la plupart du temps. Tout le travail est de montrer, notamment aux petites filles, qu'elles peuvent faire ce qu'elles veulent. Il y a déjà eu des générations de femmes incroyables. C'est juste qu'on nous les a cachées."
En fait, il y a énormément de choses qui ont été faites par les femmes et dont on ne parle pas dans les manuels scolaires. Ce sont des inventions qui ont été récupérées par les hommes la plupart du temps.
Soazic Courbet
Présente sur les réseaux sociaux, la petite librairie indépendante de Soazic évolue avec son temps. En plus d'afficher plus de 6000 références en stock, elle fait de l'Affranchie, un lieu unique qui n'existe que trop peu et où on ne trouve que des femmes. Retrouvez-la sur la plateforme de france.tv dans l'émission Hauts Féminin.
