En décembre 2023, Jean-Claude Casadesus aura 88 ans. Se sentant en pleine forme, il revient sur sa vie de chef d'orchestre qu'il continue d'ailleurs d'exercer, sur les émotions fortes qu'elle lui a procurées, sur sa vie "pleine de nourritures" et qui passe "si vite". Pendant 40 ans, l'homme a été à la tête de l'ONL, Orchestre National de Lille qu'il a fondé. Mardi 17 octobre 2023, il a reçu le titre de grand officier de la Légion d'Honneur.

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Volubile, vif, l'homme se trouve dans l'appartement où sa mère est née et où son grand-père Henri Casadesus lui avait mis un violon dans les mains quand il avait à 4 ans et demi. Il est dans son élément. Celui de l'atmosphère de la maison familiale parisienne à deux pas du Sacré-cœur. C'est là qu'il a eu "la révélation de la volupté du son", entendant son grand-père jouer la suite en ré de Jean-Sébastien Bach. Au soir de sa vie et à l'occasion de son élévation à la dignité de grand officier de la Légion d'Honneur, nous lui avons posé plusieurs questions sur sa vocation, l’ONL, ses souvenirs forts.

1. Le commencement

1940, à 4 ans et demi, premier violon

Mon grand-père avait probablement le meilleur orchestre baroque à partir de 1911... J'ai été bercé par cette planète magique qui est la musique. Mon grand-père et son meilleur ami Pierre Monteux, m'ont mis un violon dans les mains, ce qui m'a procuré une espèce de révélation. Ensuite, j'ai été rebuté par l'enseignement quelque peu caporaliste du solfège et, à 12 ans, j’ai dit à ma grand-mère que je voulais être chef d'orchestre en voyant le grand orchestre symphonique Colonne et son chef qui déchaînait des tonnerres, qui calmait des tempêtes.

1948, à 12 ans, la vocation

J'ai été soulevé de ma chaise et je me suis dit, je veux faire ça. Pour ne rien vous cacher ce sont souvent des vœux pieux d'enfance mais ça m'avait totalement hypnotisé.

À 12 ans, j’ai dit à ma grand-mère que je voulais être chef d'orchestre en voyant le grand orchestre symphonique Colonne et son chef qui déchaînait des tonnerres, qui calmait des tempêtes.

Jean-Claude Casadesus se découvre une vocation

Mes parents me vouaient plutôt à des études supérieures et ne souhaitaient pas que je fasse de musique, par peur des aléas du métier. Donc, ça a d'autant plus développé mon désir de le faire. Mon cousin, Robert Casadesus, qui était un immense pianiste, m'a dit : "puisque tu as le sens du rythme, tu devrais étudier la percussion, c'est un poste d'observation magnifique". Mes parents m'avaient dit « rien avant le bac ». J'ai entretemps pensé à être journaliste reporter mais la musique m'a rappelé.

1966, 30 ans, timbalier solo, début de la direction d'orchestre

Donc je suis rentré au conservatoire, j'ai eu mon prix puis, j'ai pu, tout en étant timbalier solo, commencer, à 30 ans, à étudier la direction d'orchestre. 

Engagé au Théâtre du Chatelet, je ne dirai jamais assez : "la comédie musicale ou l'opérette c'est une école absolument formidable" parce qu'il y a plusieurs styles (variété, classique) vous devez rattraper des comédiens sur scène qui ne sont pas forcément chanteurs, vous devez éduquer votre bras, contrôler votre rigueur pour ne pas tomber dans la routine quand vous dirigez pendant 8 mois la même opérette, ce qui m’est arrivé.

2. Le métier de chef d'orchestre

Autrefois, il n'y avait pas de chef d'orchestre à la tête des orchestres qui étaient extrêmement réduits. Le chef d'orchestre dirigeait clavecins ou violons. Il faut toujours quelqu'un pour donner un départ ou donner le tempo, les dynamiques, ou les nuances. Les nuances elles sont écrites mais il faut penser le son et le chef d'orchestre, c'est un interprète. Son instrument c'est l'orchestre, et quand vous avez des dizaines de musiciens, il faut bien quelqu'un qui insuffle une pensée et une pulsation. On peut jouer sans chef si on répète énormément, si chaque musicien, a la confiance d'un leader mais, pour donner le signal d'une dynamique, d'un piano, d'un crescendo, il faut une espèce d'ingénieur du son ou de cuisinier qui mélange, qui donne du piment, de la vie. La musique c'est la traduction la plus poétique de la vie. Il faut quand vous avez 125 musiciens, une personne, en somme, qui doit coordonner la vision musicale, la pensée du son qu'il veut transmettre. Il y a une transmission qui vient de quelqu’un qui est au service du texte, du chef d'œuvre. Et chaque geste, chaque clin d'œil, mimique, compte. Et ça représente des dizaines, des centaines d'heure de travail avant le concert. 

3. L'Orchestre National de Lille

1976, la création de l'ONL

Mon ambition c'était porter la musique partout où elle peut être reçue. C'était un projet ambitieux, mais j'ai rencontré tellement de gens au cours de mon existence qui me disait : "Oh, la grande musique, c'est pas pour nous", que je me suis juré de faire tout pour que cela le devienne. Je me suis efforcé de le faire dans le Nord Pas-de-Calais et lorsque nous avons été portés sur les fonts baptismaux le 3 janvier 1976, j'ai eu une énorme émotion car, quelques jours auparavant j'avais rencontré Rostropovitch qui devait faire un récital dans le Nord. Je lui raconte que je suis sur le point de recevoir l'onction de la Région pour l'ONL. Il me dit, je ne vais pas faire de récital, je vais jouer avec toi ! Un cadeau inouï ! Qui a été un formidable tremplin.

1981, sur sa lancée

Nous avons ensuite énormément travaillé, au bout de trois ans on a enregistré la première symphonie de Dutilleux, on a eu un grand prix du disque. En 1981, j'ai eu mon premier Grand Echiquier avec Jacques Chancel et j'ai été engagé au festival d'Aix-en-Provence.

J'avais rencontré Rostropovitch qui devait faire un récital dans le Nord. Je lui raconte que je suis sur le point de recevoir l'onction de la Région pour l'ONL. Il me dit, "Je ne vais pas faire de récital, je vais jouer avec toi !" Un cadeau inouï ! Qui a été un formidable tremplin.

Jean-Claude Casadesus

"Après on s'est accrochés à l'idée de départ et à notre survie pour finalement visiter 33 pays avec l'orchestre, 250 villes ou villages dans le Nord et le Pas-de-Calais et cela a abouti à la qualité de cet orchestre que vous connaissez.

2013, nouvelle acoustique au Nouveau siècle

"Le regret que j'avais, c'était de ne pas avoir une vraie et belle salle de concert. Et finalement, après un combat de plus de 15 ans, toute ma reconnaissance va à la Région qui a accepté de refaire l'acoustique du Nouveau siècle".

"Je me suis attaché à porter cette bonne parole musicale auprès des gens qui n'en avaient pas eu l'occasion et surtout auprès de beaucoup d'enfants, avec l'espoir qu'ils emmènent aussi leurs parents aux concerts, ce qui s'est produit. J'en veux pour preuve les récompenses affectives existantes comme les 7 salles à mon nom dans la région, de mon vivant" (rires).

2016, passage de témoin à l'ONL

4. L'avenir, les jeunes et la musique

"La pédagogie est fortement liée à la transmission. Il y a beaucoup d'enfants qui ont un horizon différent après avoir rencontré l'orchestre et ses émotions... Il y a deux ans ou trois, j'étais à la préfecture du Nord et je vois s'avancer un jeune homme barbu, grand, 25 ans qui me dit : "vous ne me reconnaissez sûrement, j'étais à l'école Michelet à Roubaix avec laquelle l'ONL était jumelé".

« Je suis Mohamed, mon frère Areski a fait Sup de Co moi j'ai fait Sciences Po, Ena et je suis bras droit du préfet et c'est à vous qu'on le doit ». Vous avez les larmes aux yeux quand vous entendez ça.

Jean-Claude Casadesus, à propos du pouvoir de la musique

"Cette école devait fermer pour cause de délinquance et lorsque nous étions venus deux frères faisaient des bêtises, Mohamed et Areski, jusqu’à ce que je les place à côté de l'orchestre... Et ce jeune homme me dit : « Je suis Mohamed, mon frère Areski a fait Sup de Co moi j'ai fait Sciences Po, Ena et je suis bras droit du préfet et c'est à vous qu'on le doit ». Vous avez les larmes aux yeux quand vous entendez ça. C’est un des exemples de la formidable capacité pédagogique et thérapeutique de la beauté de la musique."

"Il n'y a aucune délinquance dans les écoles de musique. Car dès qu'une passion est éveillée chez un enfant, dès qu'on lui donne les moyens de la réaliser, c'est-à-dire le travail et la rigueur, qui débouchent sur la liberté et la rigueur devient volupté par accomplissement du désir."

5. Les souvenirs

2019, Jean-Claude Casadesus dirige l'orchestre philharmonique du Maroc devant le pape et le Roi Mohamed VI

"À l’instant, je pense au Festival de Beiteddine au Liban où on avait joué le requiem de Verdi un souvenir merveilleux ou encore la neuvième symphonie de Beethoven à Notre-Dame-de-Lorette au milieu de cette nécropole où des dizaines de milliers de soldats reposent. Ou encore Salsbourg où on a eu un gros succès, que dire... J'ai visité 33 pays avec l'orchestre et moi-même 45 pays. La philharmonie de Saint-Petersbourg est également incroyable. J'ai eu des joies extraordinaires dans les villages du Nord et des émotions fantastiques à Vienne ou à Rabat, quand le pape est venu en 2019

6. Son actualité

2023, élevé au rang de grand officer de la Légion d'Honneur

"Je reviens du Japon, où j'ai eu l'occasion de diriger mon petit-fils Thomas Enhco qui est un magnifique pianiste de jazz mais qui devient aussi un formidable pianiste classique. C'est vrai que mon désir de transmission que j'ai développé dans le Nord là, ça a été un choc. J'ai eu la même émotion lorsque j'ai dirigé ma fille Caroline, sa maman, lorsqu'elle a chanté la première fois avec l'orchestre. Ce sont des chocs émotionnels qui, hormis ceux avec l'ONL, rejoignent ceux que j'ai éprouvés avec l'orchestre philharmonique de Saint-Petersbourg et celui de Philadelphie que j'ai également dirigés. Je pars dans moins de huit jours pour Bucarest diriger le requiem de Fauré et la Symphonie de Saint-Saëns, demain (mardi 17 octobre 2023), le président de la République me remet une énorme décoration, celle de grand officier de la légion d'honneur donc, je suis évidemment très ému et très honoré. Riga ensuite en tant que chef d’orchestre, Lille début janvier...

7. Le départ d'Alexandre Bloch

Alexandre est un musicien de très grande qualité. Il a fait un temps tout à fait estimable car il est resté plus de six ans à la tête de l'ONL. Si vous voulez l'originalité de ma longévité à la tête de l'ONL, c'est que l'orchestre devait disparaître et que je me suis engagé totalement et battu pour sa survie et pour qu'il devienne ce qu'il est. C'est normal d'ailleurs de bouger dans notre métier. Il se trouve que j'ai été piégé affectivement par cette région, par la confiance qui m'a été accordée, et surtout tout ce qu'on avait à bâtir à partir de rien. À l’époque des politiques disaient, il faut donner l'argent de l'orchestre au football".

2024, arrivée de Joshua Weilerstein

"Cela a été des combats homériques pour convaincre de la nécessité du beau, de la nécessité de cette magie de l'émotion musicale qui a aujourd'hui un public extrêmement vaste... Le nouveau chef d'orchestre, Joshua Weilerstein, dont j'apprécie le talent et que j'ai rencontré, je pense qu'il va faire un très très bon travail à la tête de nos musiciens.

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