Depuis plusieurs années, les livreurs donnent de la voix sur des conditions de travail pénibles et surtout précaires. Alors que Deliveroo, attaqué au pénal, connaîtra son sort ce 19 avril, la CGT s'organise à Lille pour fédérer la profession.
Deliveroo, Uber Eats, Frichti... Pour les livreurs des plateformes numériques, ce 19 avril est une journée symbolique. Le tribunal correctionnel de Paris doit en effet rendre sa décision dans un procès qui oppose Deliveroo à une dizaine de livreurs. Ceux-ci accusent la plateforme de maintenir ses livreurs sous le régime bien moins sécurisant des indépendants, alors que le travail exigé correspondrait en fait à un emploi salarié.
Des employeurs qui ne disent pas leur nom
"Cette procédure au pénal porte sur une période déterminée, pendant laquelle les livreurs ont été victimes de travail dissimulé, mais ça ne requalifiera pas les contrats de travail. En revanche, ça pèse dans le rapport de force politique. Ce n'est pas négligeable car c'est la première fois qu'une plateforme est attaquée au pénal", estime Ludovic Rioux. Membre de la fédération CGT Transports, il est lui-même désormais salarié de la plateforme Just Eat.
Au cours de ce procès, Deliveroo s'est présentée comme une plateforme de mise en relation entre restaurants et livreurs, mais l'accusation a détaillé un système de règles et conditions qu'elle estime attribuable au salariat : exclusivité, délais et processus de livraison imposés, formations détaillées.
Les livreurs des plateformes numériques avaient commencé dès 2019 à donner de la voix sur la précarité et la pénibilité de leur profession. Le volume horaire, la faible rémunération à la course, la compétitivité et la pression, l'absence de protection notamment en cas d'accidents et la régularisation des livreurs sans-papiers font partie des motifs régulièrement cités.
A Lille, la CGT exhorte les livreurs à s'organiser
Les grandes organisations syndicales s'intéressent de plus en plus à cette profession aux statuts encore hybrides. La CGT, partie civile au procès Deliveroo, a pris l'initiative d'une rencontre avec les livreurs ce 18 avril, sur la place Richebé de Lille, pour les aider à "s'organiser".
"On ira à leur contact, c'est la première fois à Lille que la CGT met en place cette initiative. On avait déjà été en contact avec des livreurs, mais il n'y avait pas eu de tentative de se réunir. On va nouer des contacts, discuter de nos expériences, tout simplement" résumé Ludovic Rioux.
Pour l'organisation syndicale, c'est aussi un bon endroit pour recruter des adhérents : du 9 au 16 mai 2022, les livreurs vont participer à leurs premières élections professionnelles, afin de désigner les défenseurs de leurs droits.
C'est un marché extrêmement concurrentiel, au détriment des travailleurs. On retrouve une précarité importante. Il y a un vrai enjeu, pour les travailleurs de la livraison, à s'organiser."
Ludovic Rioux, CGT Transports-Lille et livreur salarié
Le rapport de force aura rarement été plus favorable aux livreurs. Les plateformes numériques de livraison sont en effet fragilisées par un rapport présenté le 9 décembre 2021 par la Commission européenne, qui vise à réguler le statut de leurs travailleurs. A l'avenir, peu importe le type de contrat signé, la plateforme qui demanderait à ses livreurs de se plier à certaines obligations sera présumée employeur, et devra fournir les garanties associées au régime du salariat. Cette "présomption de salariat", si elle venait à faire autorité, remettrait complètement en cause le modèle d'uberisation du travail importé par les plateformes de livraison.