À travers ses vidéos sur TikTok, Laurenne Massy-Legrand, professeure d'histoire-géographie à Lille, revient sur des événements méconnus et se bat contre l'invisibilisation des femmes dans l'Histoire. Elle se nourrit beaucoup de ses échanges avec ses élèves pour créer son contenu.
Laurenne Massy-Legrand n'est pas une professeure d'histoire-géographie comme les autres. Elle est aussi créatrice de contenus, connue sur TikTok sous le pseudonyme @laurenne.raconte par plus de 130 000 abonnés.
Grâce à ses vidéos, celle qui se qualifie de "lilloise & féministe" raconte des faits historiques et revient sur des figures - notamment féminines et invisibilisées, mais pas que - qui ont marqué l'histoire.
"Je reste moi-même dans mes vidéos", comme "dans ma salle de classe". La professeure et créatrice de contenu a l'habitude de dire "que vous me voyez sur TikTok ou dans une salle de classe avec moi, je suis la même". Elle prend même ses élèves pour témoins !
Un amour avec l'Histoire qui a débuté dès l'enfance
Son amour pour l'Histoire est né dès l'enfance. "J'ai des parents qui sont professeurs, qui m'ont toujours emmenée dans les châteaux de France, dans tous les lieux de France, mais aussi d'Europe". Vers l'âge de 8-9 ans, sa mère, qui est professeure de littérature, l'emmène en voyage de classe avec ses élèves au Château de Chambord. "J'ai répondu à toutes les questions du guide, je suis un peu devenue la mascotte", se rappelle-t-elle, fièrement.
Le lendemain, elle découvre Versailles et son château. "Et là, c'est mon coup de foudre". Elle sent, à cet instant précis, "comme un éblouissement. Ça m'a fait cet effet et j'ai entretenu ça tout au long de mon adolescence, et après ça ne s'est jamais fini."
La capacité de Laurenne Massy-Legrand à raconter des histoires et à captiver son audience, aussi petite soit-elle, fait partie d'elle depuis toujours. Mais le chemin vers la profession d'enseignante d'histoire-géographie n'a pas tout de suite était une évidence. "Mon père est universitaire et au départ, j'ai fait une classe prépa, un master de recherche. Je voulais être dans le monde de la recherche universitaire", avoue-t-elle.
Puis "un jour", elle a "l'occasion d’arriver dans une salle de classe, un peu du jour au lendemain", et là, le rapport de proximité et d'échange avec les élèves est immédiat. "Je me suis dit que c’est ce que je dois faire, ça a été la révélation."
Une arrivée "un peu par hasard" sur les réseaux sociaux
Elle s'est lancée "un peu par hasard" sur les réseaux sociaux, d'abord grâce à un atelier théâtre dans le lycée où elle enseigne. À un moment de répétitions, ses "petits théatreux" comme elle les appelle lui montrent TikTok. La professeure se dit d'abord "que c'est sympa" mais ses élèves, déjà conquis par sa pédagogie et sa manière de faire cours, la poussent à s'inscrire. C'est ce qu'elle fait, sans rien poster.
Durant l'été qui suit, lors d'un moment en famille, elle raconte une histoire. "Je ne me rappelais plus de laquelle c'était et ils me disent : c'est trop intéressant, tu devrais en parler". Ses réticences de l'époque à rejoindre les réseaux sociaux pour raconter des faits historiques s'inscrivent dans une réalité visible : "il y a déjà tellement de monde sur Instagram". Elle décide finalement de se lancer sur TikTok, même si elle possède aujourd'hui aussi un compte Instagram du même nom.
Dès ses premières vidéos, elle rencontre un public important. Elle doit d'ailleurs, en grande partie, le contenu de ses vidéos à ses élèves, qui nourrissent beaucoup des thématiques qu'elle aborde en ligne. "C’est surtout un jeu maintenant entre nous, explique-t-elle sur le plateau de Hauts Féminin. Certaines questions, c’est eux. On se nourrit beaucoup de ces échanges".
Au final, deux choses l'ont motivées à ouvrir son compte Tiktok. La première, c'est "d'aller contre les idées reçues, quelles qu'elles soient". La deuxième consiste à "parler à un plus grand nombre". Car même si elle parle à ses élèves dans le cadre de sa salle de classe, elle estime que certaines questions posées, certaines petites histoires mériteraient d'être connues "à une plus grande échelle".
Professeure d'histoire et féministe
Dans une de ses vidéos, @laurenne.raconte revient sur l'histoire d'un poème érotique qu'aurait écrit George Sand. "George Sand, c'est dans notre programme de première", souligne-t-elle avant de préciser le contexte qui l'a mené à la tourner et la mettre en ligne : "on aborde George Sand la républicaine, la femme de lettre, mais aussi la grande amoureuse de la vie dans tous les sens du terme". Viennent alors "les petites anecdotes croustillantes avec Musset et on en arrive à parler de ce poème qui, en fait, est posthume après la mort de George Sand".
Les élèves viennent avec ce poème et disent : en fait, c’était chaud avec Musset !
Laurenne Massy-Lagrand, professeure d'histoire et créatrice de contenus
Deux heures après leur avoir fait cours, elle met en ligne une vidéo pour montrer que ce poème n'a jamais été écrit "ni par l'un, ni par l'autre. C'est en fait une fake news, le truc", raconte-t-elle dans le TikTok ci-dessous. "Ça a été attribué à tort à George Sand, à sa mort en 1876 pour en quelque sorte faire vendre".
Laurenne Messy-Legrand estime même que son "engagement féministe s’est accentué" ou du moins "a été de plus en plus important" au cours de ces dernières années. Elle cite l'anecdote d'une de ses élèves qui arrive un matin et qui lui dit, à la suite d'un dîner familial : "les femmes n'ont rien fait dans l'histoire".
Ce type de réflexions, "c'est le genre de truc qui me rend ouf, et j'ai fait une vidéo pour démonter avec quelques exemples" que les femmes ont créé beaucoup de choses dans l'histoire. "On ne peut pas parler de tout le monde, et puis sur TikTok, au départ, on avait trois minutes, donc c'était restreint", ce qui montre aussi la limite argumentaire dans ce qui peut être dit. Aujourd'hui, la plateforme a étendu ses options de longueurs et de publication.
Un apport dans les deux sens
Cette professeure d'histoire passionnée adore son métier et ses élèves. Mais elle préfère garder son honnêteté naturelle : "Je leur ai dit que le jour où je me lève et que je n'ai plus envie de vous voir, je change de métier". Pour l'instant, cela ne semble pas être près d'arriver, car elle voit dans le métier de professeur un apport à double sens.
Certes, elle leur apprend des choses, mais "je me nourris vraiment de ce rapport avec eux, de tous ces moments avec eux" qui ne sont pas toujours tout rose. "Ces questions posées, parfois sorties de nulle part, entretiennent vachement le groupe".
Pour son anniversaire, ses élèves ont contacté plusieurs créateurs de contenus, dont le professeur d'histoire Yann Bouvier, connu sous le pseudonyme Yann Tout Court par ses 750 000 abonnés TikTok. Invité durant la même émission d'Hauts Féminin à la demande de Laurenne Massy-Legrand, il se dit inspiré par "sa manière très franche, très naturelle de s’adresser à son public."
Il reconnaît, de son côté, être "moins naturel" dans ses vidéos car "c’est très travaillé, très écrit, parce que je tiens à ce que la rigueur et la nuance l’emportent sur le reste, et ça peut se faire au détriment de la forme", détaille-t-il. Comme Laurenne, il s'est "beaucoup cherché sur les réseaux sociaux". Depuis quelques années, il fait aussi "beaucoup de contenus destinés à lutter contre les idées reçues" et les propos "pseudos historiques" qui peuvent être "entretenus par des vidéastes parfois malgré eux", mais aussi "par des personnalités politiques ou non".
Yann ne parle de son projet en ligne qu'avec les collègues dont il est le plus proche, "qui sont aussi des amis, qui me chambrent un petit peu. Je n’en parle pas dans mon établissement, ni à mes élèves, ni à mes collègues, donc ça se passe très bien", constate-t-il.
Beaucoup de projets en cours
Aujourd'hui, Laurenne Massy-Legrand veut continuer son activité de créatrice de contenu, mais elle voit aussi plus loin. "On a beaucoup d'invitations, de certains lieux qui cherchent un peu la lumière grâce aux réseaux sociaux".
Elle reconnaît qu'il y a "certains lieux où certains faits historiques qu'on connaît moins bien" et qui mériteraient plus de reconnaissance. Par exemple, "j'ai parlé de la rafle de Lille Fives : le sauvetage, le 11 septembre 1942, d'énormément d'enfants juifs. C'est un événement qu'on connaissait peu dans la région".
Elle reçoit aussi des invitations de "certains autres châteaux" et veut continuer à "donner la lumière aussi bien à des femmes méconnues, mais pas que", conclut-elle.
Retrouvez l'intégralité de l'émission Hauts féminin avec Laurenne Massy-Legrand, ci-dessus et sur france.tv