Ils s’appellent Sofiane, Mickaël, David, Grégory ou Didier… Le plus jeune avait 23 ans, le plus âgé 77. Ils font partie des 24 personnes sans domicile décédées dans la Métropole lilloise, en 2023. Alain lui, avait 55 ans, il était lillois et avait passé presque toute sa vie à la rue.
Sa vie s’est achevée brutalement le 8 janvier. Rattrapé par ses démons. Alain est le premier sans-abri décédé de l’année 2024 dans la Métropole lilloise. Il avait 55 ans, il était né à Lille. Et, les bonnes fées ont oublié de se pencher sur son berceau.
La rue, il l’a connue à 18 ans. Enfant maltraité, placé en famille d’accueil, il évoquait fréquemment ses traumatismes de l’enfance, les violences familiales et un sentiment d’abandon qui ne le lâchera jamais.
Avec la vie dehors, l’alcool a rapidement été un compagnon de route. Il luttera souvent pour l’éloigner. "Du mousseux à 2 euros la bouteille" se souvient Vanessa Couvreur, chef de service du pôle hébergement de l’Abej-Solidarité de Lille. Avant de se souvenir de son gros ventre, son teint rougeaud mais surtout d’«un monsieur très jovial, il rigolait tout le temps, il faisait des blagues. Alain était très gentil, il avait aussi une excellente mémoire".
Vincent Morival, directeur du pôle accueil de l’Abej-Solidarité, précise "Comme tous les SDF, dès qu’on lui tendait une main, chaque geste pour l’aider, ça le marquait. Il a tellement été abandonné…"
Il avait ses habitudes
Longtemps, il a trouvé un abri rue Jean Sans-Peur, au pied de la salle de Sport Noël d'Hérain, tout près de la Préfecture de Lille. Il dormait là, protégé de la pluie.
Sans famille, il n’a jamais travaillé. Jeune, il a bien tenté quelques petits boulots sans jamais tenir. Il aidait parfois les automobilistes à se garer, place de la Nouvelle aventure à Wazemmes. Un moyen de gagner quelques sous. Il faisait la manche aussi, dans le centre de Lille. "Les Sdf ont un périmètre restreint, ils ne sont pas mobiles, ils restent dans les secteurs qu’ils connaissent. Être à la rue, c'est une vraie réduction des possibles..." explique Vincent Morival.
S’en sortir
Il y a 4 ans, après plusieurs cures, il avait réussi à se sevrer de l’alcool. Vincent Morival raconte : "C’était impressionnant de le voir sans l’alcool, il était fier d’avoir arrêté et de nous montrer qu’il avait été capable de le faire". Alain vit alors dans une pension de famille, à Nieppe. Un premier logement. Vanessa Couvreur se souvient avec émotion : "Il était heureux vraiment, ça se voyait. Et, il participait beaucoup aux activités…".
L’alcool, encore
Mais au bout de 2 ans, il a recommencé à boire. "On ne sait pas ce qu’il s’est passé, il avait honte d’être retombé, de ne pas avoir tenu". La rue aussi l'a repris. Il exprime alors clairement le souhait de continuer à boire, "pour oublier ses souffrances", expliquait-il.
Il est toujours suivi par les équipes de l'Abej-Solidarité, qui lui retrouvent une place en CHRS, centre d'hébergement et de réinsertion sociale. Là, il a sa chambre et il commence à affronter ses soucis de santé.
Une santé fragile
"Quand on dort dehors, avec le froid et les galères, on ne s'occupe pas de sa santé. Ce n'est pas une priorité" explique Vanessa Couvreur. "Les sans-abris gagnent dix ans d'espérance de vie quand ils retrouvent un logement" ajoute Vincent Morival et "tous les ans, à Lille, 10 à 15 sans-domicile que l'on connaît meurent". Alain était malade depuis longtemps, il ne se soignait pas, incapable d'honorer un rendez-vous. Il était sous curatelle et vivait avec une soixantaine d'euros par semaine. Et puis, un jour, il a fait un malaise.
"Le décès d'Alain a provoqué une grande tristesse, il avait marqué toutes les équipes depuis 20 ans. Notre maigre victoire, c'est qu'il n'est pas mort seul, on a essayé de l'aider. On était attaché à lui"
Vincent Morival, directeur du pôle accueil de l'Abej-solidarité, Lille
L'espérance de vie des sans-abris en France est estimée entre 45 et 50 ans. Alain a été incinéré, à sa demande. Ses cendres ont été dispersées dans le jardin du Souvenir d'Herlies.
Des chiffres pour ne pas oublier
Depuis 20 ans, le "Collectif Les morts à la rue" comptabilise les hommes, femmes et enfants décédés sans logement en France.
En 2023, 656 personnes sont mortes à la rue dont 561 hommes, 68 femmes, 10 personnes de plus de 80 ans et 10 enfants de moins de 4 ans. L'objectif est de redonner un visage à ces hommes et femmes sans domicile.