Le Nord, premier touché par les placements d'enfants, signe un contrat avec l'Etat pour une meilleure prise en charge

Adrien Taquet, secrétaire d'Etat chargé de la protection de l'enfance était en visite dans les locaux de l'association SPReNE à Marcq-en-Baroeul ce lundi 14 octobre. Un contrat a été signé entre le département du Nord et l'Etat mais les mesures annoncées ne font pas l'unanimité. 

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Le secrétaire d'Etat chargé de la protection de l'enfance, Adrien Taquet s'est rendu à Marcq-en-Baroeul ce lundi 14 octobre pour présenter sa "stratégie" pour la protection de l'enfance, très attendue par les associations et les professionnels de ce secteur en crise, souvent oublié. 

Il y a "urgence à agir et le plus précocement possible" a expliqué le secrétaire d'Etat, estimant que ce plan doit "apporter de la sécurité à des enfants trop ballottés et mieux prendre en compte leur parole". 
 


Il insiste sur l'importance d'impliquer d'autres ministères : " 25% des enfants de l'aide sociale à l'enfance sont en situation de handicap. Les places actuelles dans le Nord ou ailleurs ne sont pas outillées pour bien les prendre en charge. Ces enfants ont des besoins médico-sociaux. En France, [...] quand vous êtes au croisement de deux politiques, souvent vous n'êtes nulle part et vous tombez dans le trou. Il faut que nous inventions une nouvelle façon de prendre en charge cette population là". 

 

6 800 enfants placés dans le Nord


Les mesures de protection touchent la vie de 340 000 enfants en France, dont plus de la moitié sont placés en institution ou en familles d'accueil, ainsi que celle des milliers d'éducateurs et travailleurs sociaux. 

Au mois de janvier, un documentaire accablant diffusé sur France 3 dans l'émission "Pièces à conviction" avait mis en lumière des violences insoutenables dans certains foyers d'accueil et le manque de formation de certains éducateurs.
 
 
La nomination d'un secrétaire d'Etat était alors intervenue dans ce contexte "d'urgence".

Olivier Treneul, porte-parole syndicat SUD Nord ne cache pas sa colère, au moment de la visite d'Adrien Taquet : " Monsieur Lecerf [Jean-René Lecerf, président du conseil départemental du Nord] a supprimé 700 places dans les foyers en trois ans. La conséquence directe de ça, c’est qu’on a des gamins qui sont pendant des mois à attendre qu’on leur trouve un toit et un lieu de placement adapté à leur cursus, à leur histoire, à leurs traumatismes et qui sont actuellement sans rien".

 


Il y a un an, un éducateur du Nord déplorait déjà sur France 3 des conditions d'hébergement déplorables à Lille. "Sur cet établissement qui est censé en accueillir 17 [enfants] en urgence, ce jour-là, ils étaient 45". 

Un ras-le-bol qui s'est fait remarquer en décembre 2018 car, pour la première fois, au moins 1 500 travailleurs sociaux manifestaient leur colère dans les rues de Lille. Ils étaient à nouveau mobilisés ce 14 octobre à l'occasion de la visite du secrétaire d'Etat.  Après les annonces du secrétaire d'Etat à la protection de l'enfance, chez les professionnels du secteur, la colère ne retombe pas : "les quelques mesurettes qui nous avaient été annoncées ne sont, pour l'instant, pas mises en oeuvre et ne suffisent pas", selon Mina, éducatrice spécialisée à Roubaix. 

Face aux critiques, Jean-René Lecerf se défend en listant ce qui a changé depuis le mouvement des travailleurs sociaux en décembre dernier : "L'embauche de 140 collaborateurs dans les seules unités territoriales de protection et d'action sociale, l'embauche de 122 assistants familiaux pour les enfants de l'ASE, la mise en place avec le gouvernement du dossier de lutte contre la pauvreté qui a donné des moyens supplémentaires importants : 25 millions d'euros sur trois ans pour l'enfance, les maraudes, la création de postes de travailleurs sociaux spécialisés en matière de prévention dans les collèges".

 
 

Création de 600 nouvelles places, élaboration d'un "référentiel national" de contrôle des structures


Le gouvernement "s'engage" notamment à améliorer la qualité de vie dans les lieux d'accueil, en prévoyant la création de 600 nouvelles places d'ici 2022 - notamment pour l'accueil de fratries -, l'élaboration d'un "référentiel national" de contrôle des structures, aujourd'hui souvent enclenchés après un signalement, et une réflexion sur des normes d'encadrement (nombre de professionnels, compétences) définies au niveau national. 

Pour les assistants familiaux (familles d'accueil), de moins en moins nombreux, l'exécutif veut ouvrir une négociation collective pour rendre leur statut "plus attractif".  Pas du luxe, selon cette assistante familiale qui exerce à Douai, même si elle se dit plutôt pessimiste : "Cette négociation ne changera rien, je veux juste qu'on ne soit pas considéré comme la cinquième roue de la charrette."

Avec trois enfants placés à charge (une de 7 ans, deux de 8 et 9 ans), elle est surtout inquiète pour leur futur et celui des autres enfants qu'elle a gardés : "Il faut les écouter ces enfants, ne pas leur dire qu'à 18 ans, ils n'ont plus leur place parce qu'à cet âge on n'est pas encore autonome, on a encore besoin de soutien", déplore-t-elle face à une aide sociale à l'enfance qui arrête, le plus souvent, de les prendre en charge une fois leur majorité atteinte. 

Pour les anciens enfants placés, dont beaucoup se retrouvent à la rue après leur majorité (sujet qui a fait l'objet ces derniers mois de toutes les attentions politiques), la stratégie met en avant une série de mesures pour "préparer l'autonomie en amont" comme "éviter la déscolarisation, instituer des commissions avant les 17 ans pour anticiper l'avenir, ou faire des publics de l'ASE, l'aide sociale à l'enfance, des publics prioritaires au logement étudiant ou social". 

Alexandra Wierez, directrice de l'association SPReNe qui met en oeuvre les décisions prises par les juges des enfants et les départements dans le Nord et le Pas-de-Calais, considère que le message a été entendu. "Il faut reconnaître qu'il y a une mobilisation de l'Etat avec des avancées concrètes comme proposer aux jeunes majeurs un accès prioritaire aux bourses et aux aides au logement ou encore travailler sur l'intégration sociale et professionnelle des anciens mineurs non accompagnés". 

Pour elle, l'engagement contractuel entre le département et l'Etat devrait permettre un meilleur suivi : "Contrairement aux précédentes lois prises en 2007 et en 2016 où les départements pouvaient appliquer la loi de manière très différente, cette fois-ci avec le contrat, l'Etat s'engage à suivre la mise en oeuvre des dispositions par les départements. C'est une nouveauté dans la méthode, on espère que le suivi sera fait". 
 

Des mesures "extrêmement faibles"


Des mesures pourtant jugées "extrêmement faibles"par Lyes Louffok, ancien enfant placé et membre du Conseil national de la protection de l'enfance, qui demande depuis des années, une obligation de suivi pour tous les sortants de l'ASE. Dans un tweet, il évoque une "déception maximale". "Adrien Taquet a été nommé au moment où la protection de l'enfance traversait, et traverse toujours, une grave crise. Ça fait des mois qu'on bosse pour lui faire des propositions concrètes et il n'y a rien dans cette stratégie de nature à répondre à l'urgence" déplore-t-il.  
 

Une prévention dès le plus jeune âge mais difficile à mettre en oeuvre dans les faits


Concernant la prévention, le gouvernement prévoit notamment un bilan de santé complet pour tout nouvel entrant à l'aide sociale à l'enfance (ASE), une vigilance supplémentaire pour les enfants en situation de handicap (environ 25% des enfants protégés), et un "accès à la scolarité" garanti pour tous. Actuellement, un quart des enfants placés n'ont aucun diplôme, un peu plus que la moyenne nationale. 

Pour anticiper les situations à risque, l'entretien prénatal précoce sera rendu obligatoire et vingt relais parentaux, structures pouvant accueillir les enfants dont les familles sont en difficulté, devront voir le jour d'ici 2022. Actuellement, il en existe dix sur le territoire. 

Pour Gisèle Delcambre, juge pour enfants à Lille et secrétaire générale de l'Association française des magistrats de la jeunesse, l'incompréhension règne : "Il y a quelque chose qui ne colle pas, on nage dans l'effet d'annonce et dans l'incohérence, ce qui est très questionnant". 

Elle s'appuie notamment sur la fermeture récente des PMI, services de protection maternelle et infantile dans les maternités publiques de Lille, Roubaix, Armentières et Valenciennes : "On va articuler la prévention autour des 0-6 ans, notamment grâce aux PMI mais dans le secteur de Lille, on les ferme une à une", dénonce la magistrate.   
 

80 millions d'euros qui font débat


La majorité des mesures annoncées est soumise à une contractualisation entre l'Etat et les départements, qui ont la compétence de la protection de l'enfance. 

"L'idée n'est pas de contractualiser avec tout le monde, c'est d'abord d'investir massivement dans les départements qui en ont le plus besoin, puis avec d'autres en 2021 et en 2022" a précisé le secrétaire d'Etat, qui disposera en 2020 de 80 millions d'euros pour cette politique. 
 

Pour Jean-René Lecerf, la somme négociée avec le département va permettre de "mettre en place beaucoup plus rapidement la politique d'action précoce à l'égard des tout jeunes enfants. C'est à la fois l'entourage de la jeune future maman, puis de la maman après l'accouchement, la présence systématiquement recherchée du père, des bilans sur 100% des enfants concernés et la mise de l'Etat devant ses responsabilités". 

Une somme à mettre en regard avec les 8 milliards d'euros investis chaque année pour la protection de l'enfance. 

Pourtant, le montant annoncé ne fait pas l'unanimité, notamment chez le syndicat SNUASFP FSU, syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique : "A peine 1% du budget global consacré à la protection de l'enfance.. quand dans le même temps, 30 millions sont retirés du budget fonds sociaux de l'éducation nationale [...] difficile d'y voir une avancée forte". 
  La déception est de mise aussi pour l'association Unicef qui critique un plan d'action qui "manque d'envergure et des moyens nécessaires pour répondre aux nombreuses difficultés rencontrées par la protection de l'enfance." Gisèle Delcambre, juge pour enfants, est du même avis. "Pour en avoir échangé avec d'autres collègues, on est réservés pour ne pas dire qu'on est déçus."

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On attendait un engagement réel de l'Etat, un engagement qui ait du sens, mais on nous promet une enveloppe budgétaire de 80 millions d'euros répartis entre les différents départements. Pour rappel, le budget 2018 du Nord est de 446,9 millions d'euros. Donc rapporté à ce qui est proposé par l'Etat au niveau national, on est déçus". 
 
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