PORTRAIT. Dimitri Poffé, l’Amérique Latine à vélo pour sensibiliser sur la maladie de Huntington

Depuis qu'il se sait porteur du gène de Huntington, Dimitri Poffé, âgé de 33 ans, refuse d'attendre les bras croisés les premiers symptômes de la maladie. Avec son projet "Explore for Huntington", il souhaite au contraire donner de la visibilité à cette pathologie dégénérative et incurable en parcourant à vélo des milliers de kilomètres à travers l'Amérique Latine, particulièrement touchée.

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"C’est une maladie rare, mais elle n’a pas de frontières", défend Dimitri Poffé, porteur de la maladie de Huntington : "Sur la route, je suis tout seul en vélo, mais nous sommes ensemble avec les malades. Nous vivons des choses communes donc c’est une forme de thérapie", décrit-il. Depuis novembre 2021, ce Dunkerquois de 33 ans sillonnent les routes d'Amérique Latine dans le cadre de son projet "Explore For Huntington", du nom de cette maladie neurodégénérative qui touche environ 8 000 personnes en France, auxquelles s’ajoutent 15 000 autres à risque. 

La volonté de Dimitri Poffé ? "Que la maladie soit célèbre", selon ses mots. C’est pourquoi il parcourt 50 à 150 kilomètres à vélo chaque jour pour aller à la rencontre de familles, neurologues, généticiens, associations et laboratoires de recherche en lien avec la maladie. "La plupart des personnes atteintes se sentent isolées, donc l'idée c'est de connecter les gens entre eux et de créer un réseau en apportant mes contacts et mes connaissances", explique-t-il. Il est également soutenu par diverses associations et via un crowdfunding créé pour l’occasion, il a récolté 9 000 euros, utilisés pour le voyage et pour des dons sur place.

Avec cette aventure, qui devrait durer au moins jusqu'au printemps 2023, Dimitri a fait de son histoire personnelle une aventure collective et humanitaire : il y a plus de vingt ans, son père est décédé de cette maladie héréditaire, et sa sœur, âgée de 41 ans, en est atteinte. Ses premiers symptômes sont apparus à 28 ans, alors que la moyenne se situe plutôt entre 30 et 50 ans.  "Elle s’est repliée sur elle-même. Elle a coupé les ponts avec notre famille, ses amies, les professionnels de santé. Elle a perdu espoir car elle se dit 'à quoi ça sert que je me batte ?'. Mais ça aggrave encore plus les symptômes", déplore son frère. 

15 à 20 ans d'espérance de vie

Et la liste desdits symptômes est longue : perte d'équilibre, mouvements incontrôlés, problème de déglutition, puis, au fil des mois, dépression, problèmes cognitifs, tocs, agressivité, voire hallucinations... "Ils perdent absolument tout, conclut Dimitri. Il y a de la discrimination parce qu'on les prend souvent pour des gens qui ont bu ou qui sont drogués, d'où l'importance de donner de la visibilité", analyse-t-il, conscient du futur combat qui l'attend, étant donné que l’espérance de vie varie entre 15 à 20 ans en moyenne après l'apparition des premiers symptômes. 

Aujourd’hui, quatre ans après avoir appris être porteur du gène, rien ne s'est déclaré chez Dimitri. Mais c'est une vie en sursis qu'il a entamé puisqu'il devrait développer la maladie entre ses 35 et 40 ans. "Quand j’ai eu la nouvelle, j’ai quitté mon travail à BNP Paribas et mon appartement à Paris, j’ai vendu ma voiture et je suis parti réaliser un rêve", se souvient-il. Alors qu’il s’apprêtait à reprendre des études en master, il a choisi, à la place, de faire un tour du monde en un an et demi. "Je me disais que je n’irai peut-être pas au bout et que si j’y arrivais, j’aurais eu la chance de vivre jusque là. Je suis encore là donc je vis au jour le jour, je me projette sur six mois à un an seulement", explique-t-il de manière très concrète. 

Ma vie ne sera peut-être pas longue et routinière, mais au moins elle sera courte et riche.

Dimitri Poffé

Lui estime avoir pu "lire dans une boule de cristal" : "J’ai fait le test de diagnostic pour me projeter. Aujourd’hui, je m'interdis de construire une vie de famille parce que j’ai peur de transmettre ce gène", confie-t-il, anxieux à l’idée de "détruire la vie de quelqu’un" avec cette maladie "très dure à vivre pour les aidants." Hors de question, toutefois, de vivre dans la peur : "Ma vie ne sera peut-être pas longue et routinière, mais au moins elle sera courte et riche", assène-t-il.

15 000 kilomètres en vélo

Et quoi de mieux, pour ce passionné de voyage, que "l'aventure au service de la maladie de Huntington" ? Un motto visible sur le site Explore for Huntington et qui fait écho aux 15 000 kilomètres qu'il a à parcourir du Mexique jusqu'en Argentine, à travers la Cordillère des Andes. "Je me suis dit que j’allais essayer de vivre de mes passions pour le voyage, les rencontres, les langues, les cultures et le sport en combinant le tout pour cette cause, parce que c’est celle de ma famille et la mienne", indique-t-il depuis le Pérou, où il est arrivé il y a une semaine et demi avec 7 500 kilomètres affichés au compteur. Et puisque son itinéraire a été pensé autour de la maladie, il y rencontrera bientôt une petite fille de 8 ans ayant des symptômes depuis plusieurs années. 

Car Dimitri Poffé, qui parle espagnol et anglais, souhaite par-dessus tout prendre le temps d'échanger avec tous ceux qu'il croise en Amérique Latine, par exemple pour présenter les recherches en cours ou les associations qui existent. Le choix de la destination s'est fait naturellement, mais pas par hasard, énonce-t-il : "Les habitants de ces pays vivent la maladie comme mon père l'a vécue, c'est-à-dire sans aucune information. Pourtant, au Vénézuela ou en Colombie par exemple, il y a des malades dans chaque maison, chaque famille. C'est un fléau", regrette-t-il. 

Le poids de l'hérédité

Un enfant dont l'un des parents est atteint par la maladie a en effet 50% de chance d'être porteur du gène. "Quand on a l'information, on peut prévoir un peu notre futur et prendre notre responsabilité", avance Dimitri Poffé : "Mais en Amérique Latine, je vois des gens, souvent des familles nombreuses, vivre dans une pauvreté extrême. Donc dépenser 100 à 150 dollars dans un test de diagnostic, quand il y a cinq enfants, ce n’est pas leur priorité." En France, il existe également la possibilité de réaliser un test prénatal et d’avorter dans le cas où l'embryon serait porteur du gène, là où l’avortement tombe sous le joug de la loi dans de nombreux pays d’Amérique Latine. 

Dépenser 100 à 150 dollars dans un test de diagnostic, quand il y a cinq enfants, ce n’est pas la priorité.

Dimitri Poffé

Dans ces conditions, stopper la chaîne de transmission devient donc difficile. Pour Dimitri Poffé, il s’agit pourtant des seuls outils à disposition pour ce faire, puisqu’il n’existe à ce jour aucun traitement. “Les familles se sentent démunies parce que même quand on trouve des experts il n’y a rien à faire”, déplore-t-il.

D’où l’importance de la sensibilisation et du soutien moral pour les malades, y-compris pour Dimitri Poffé, qui se nourrit lui-même des rencontres et des moments d’introspection sur la route. “En voyageant, j’ai l’impression de vivre plusieurs vies en une seule vie”, dit-il, ému. Le carburant de cet homme de 33 ans ? Toujours mener un projet qui lui tient à cœur, à tel point qu’il envisage déjà de reproduire l’aventure d’Explore For Huntington en France ou en Europe. 

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