PORTRAIT. Les rêves de Cléo Ginterdaele, collégienne amputée d'une jambe et joueuse de tennis fauteuil qui aspire aux Jeux paralympiques

Cléo a 12 ans. Elle a perdu sa jambe gauche dans un accident de voiture il y a presque dix ans. Toujours aux prises avec sa prothèse encombrante, la collégienne originaire de Croix (Nord) apprend à vivre avec ce corps à travers le tennis fauteuil. Un handisport qui l'a aidée dans des périodes de déprime et qui pourrait la tirer jusqu'aux Jeux de 2028, grand rêve de cette adolescente.

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Cléo prend quelques cuillerées de glace à la pistache, mais déjà son esprit se trouve sur le court de tennis bleu, juste derrière elle. Comme tous les mercredis après-midi, pendant deux heures, la fillette n'est plus collégienne. Plus de classe de 5e, de collège Jeanne d'Arc ou de souvenir des rues de Roubaix. Pendant deux heures, dans son fauteuil roulant, elle s'accorde le droit de ne plus penser qu'au tennis et d'oublier sa prothèse, qu'elle laisse au vestiaire.

Assise sur un fauteuil dans ce gymnase, personne ne pourrait se douter que sa jambe gauche est mécanisée. Elle avait 3 ans le 24 janvier 2015, lorsqu'une voiture l'a percutée avec sa mère Delphine, en plein jour de marché dans la ville de Croix (Nord). Une personne âgée avait alors confondu la pédale de frein avec celle de l'accélérateur. La mère et la fille y ont toutes deux perdu une jambe.

"Je fais toujours attention au regard des autres"

Avec le temps, Cléo s'est habituée à cette prothèse. La fillette n'a aucun souvenir de l'accident, ni de la sensation d'avoir ses deux jambes. Elle explique pudiquement derrière ses cheveux blonds que malgré tout, neuf ans plus tard, elle perçoit encore souvent sa différence. "Même si je n'ai plus mal, ça me touche encore, mais mentalement. Des fois, je suis très triste. Des fois, ça me stresse au collège... Je fais toujours attention au regard des autres."

Le passage du CM2 à la 6e a été une grande source d'angoisse pour Cléo. Arriver dans un nouvel environnement, sans connaître personne, a réveillé des craintes concernant son handicap. "Je me sens toujours observée, surtout l'été quand je mets des jupes ou des vêtements courts." Chaque rire et regard en coin l'inquiètent, mais heureusement elle affirme n'avoir jamais été victime de harcèlement ou d'intimidation.

Je me sens toujours observée, surtout l'été quand je mets des jupes ou des vêtements courts.

Cléo Ginterdaele, collégienne et handisportive

Avec le temps, Cléo parvient à s'approprier un peu plus cette jambe en acier : les séances de kiné lui ont permis de réapprendre à marcher, même si elle rencontre encore des difficultés pour courir. En deux ans, l'image qu'elle perçoit de sa blessure a beaucoup changé... Et le tennis fauteuil y est pour beaucoup.

Un sport arrivé au bon moment

Il y a encore quelques années, Cléo n'avait jamais entendu le terme "handisport". "Je croyais que ce n'était pas possible de faire du sport quand on était handicapé. J’étais étonnée de voir que ça existait, même si maintenant c'est évident." Elle s'était déjà essayée à l'équitation sans trop accrocher, et à la gymnastique. Mais l'idée de devoir enlever sa prothèse devant les autres pour réaliser certains mouvements la brusquait. La pratique d'un sport ne faisait donc pas partie de ses projets.

Je croyais que ce n'était pas possible de faire du sport quand on était handicapé. J’étais étonnée de voir que ça existait.

Cléo

C'est au cours d'un séjour à Grenoble, où la famille Ginterdaele se rend plusieurs fois par an pour revoir les prothèses de Delphine et de sa fille, que Cléo a fait la rencontre dont elle avait besoin, sans encore le savoir. "À ce moment-là, Cléo avait 9 ans et elle était vraiment en train de plonger", se souvient Samuel Ginterdaele, papa de la fillette, encore marqué par la détresse de son enfant. "Avant de partir elle disait « j'en ai marre », « je veux plus aller à Grenoble », avec beaucoup de sanglots. Elle se disait « pourquoi moi ? »."

En Isère, au bout de deux jours, Samuel et Delphine font la rencontre de Pauline Déroulède, championne de tennis fauteuil qui a également perdu sa jambe dans une histoire tristement similaire à celle de Cléo. "On la connaissait, on suivait de près ses prises de parole. On s'est toujours dit qu'on devait la rencontrer." La découverte de Pauline a fait office de déclic chez Cléo, en particulier cette question que lui a posé la sportive : "Est-ce que tu fais du sport ?".

À ce moment-là, Cléo avait 9 ans et elle était vraiment en train de plonger. (...) Elle se disait « pourquoi moi ? ».

Samuel Ginterdaele, père de Cléo

Oublier son quotidien

Prise d'admiration pour la joueuse charismatique, Cléo a souhaité essayer la discipline que pratique cette grande sœur d'adoption. "Tout l'été elle n'a fait que parler des cours qu'elle suivrait à la rentrée", plaisante son père. En septembre, au premier essai c'est le coup de foudre. Cléo adopte définitivement ce sport et se transforme.

Quand on lui demande pourquoi elle aime ce sport, au-delà de se rapprocher un peu plus de Pauline Déroulède, la collégienne habituellement prudente dans ses réponses répond d'emblée : "la vitesse et la puissance." Ici, Cléo ne parle évidemment pas que de la force de ses tirs, mais également de la puissance qu'elle ressent sur son fauteuil. "Je me défoule et souvent j'oublie ce qu’il se passe autour. J’oublie un peu mon quotidien."

Le rêve des Jeux paralympiques de 2028

Il est 14 heures. La glace à la pistache a fondu et Cléo s'est changée. Après quelques étirements avec des élastiques pour préparer ses bras, son coach Frédéric Foulon, équipé de rollers, continue l'échauffement. Cléo puise l'énergie dans ses bras et fonce, tourne, roule après les balles jaunes sous le regard de son ancienne entraîneuse, Florence Dessirier, désormais en retraite sportive.

"Il y a deux ans et demi, la Fédération m'a appelée en me disant qu’une petite fille qui habitait à Lille s'intéressait au tennis fauteuil", se remémore-t-elle. "Je l’ai rencontrée et je me suis dit qu’on allait faire un peu de chemin ensemble." Sans jamais avoir touché à un fauteuil roulant ou à une raquette auparavant, Cléo a découvert un sport "fait pour elle", qui lui a permis de faire de nouvelles rencontres : "J’ai vu qu'il y avait des personnes comme moi… Enfin, je le savais. Mais j’ai pu les rencontrer et ça change tout."

J’ai vu qu'il y avait des personnes comme moi… Enfin, je le savais. Mais j’ai pu les rencontrer et ça change tout.

Cléo

Dès que la jeune joueuse pose ses roues sur le court de tennis, elle irradie. Du début à la fin de l'entraînement, elle arbore un sourire franc, qu'elle tend d'ordinaire à retenir. Bien installée dans son fauteuil à 6 500 euros, Cléo est dans son élément. "Ce sport lui a monté que même s’il lui manque une jambe, elle peut continuer à faire de belles choses. Elle se fixe de nouveaux objectifs", développe Florence, en mentionnant les rêves paralympiques de sa protégée. "Elle vise les JO 2028, et de jour en jour elle se rend compte que ce n'est pas impossible."

Un affrontement à travers leurs assurances

Installés dans les gradins, Samuel et Delphine Ginterdaele observent leur fille attentivement et avec fierté, comme à chaque entraînement, trois fois par semaine. Depuis l'accident, tous deux ont réduit leur activité professionnelle pour leur propre santé, et pour pouvoir s'occuper de Cléo et ses deux grands frères. Delphine a repris le travail un an après l'accident en passant à 50 %. Samuel a tenté de garder le rythme de son activité de médecin libéral, mais sa patientèle s'est réduite d'elle-même. "Je n'étais pas disponible psychologiquement pour mes patients. Ils ont aussi leurs soucis c'est normal qu'ils soient partis."

Presque dix ans après le drame, les Ginterdaele pansent toujours les plaies de cette journée au marché. Toujours en procédure judiciaire, Cléo et Delphine devraient être auditionnées courant 2024, après plusieurs années d'expertises judiciaires et médicales. "On ne s’est jamais attaqués à la conductrice et on ne l'a jamais rencontrée. Elle est décédée 4 ou 5 ans après l'accident. On affronte l'assurance", évoque Delphine, le regard dans le vague. "On parle de procédures amiables mais ici, les assurances ne sont pas des amies."

On parle de procédures amiables mais ici, les assurances ne sont pas des amies.

Delphine Ginterdaele, mère de Cléo

La visite médicale au permis de conduire

Mais la plus grande bataille de Cléo et de sa famille se joue hors du tribunal. Avec Pauline Déroulède, les Ginterdaele font partie du groupe de la députée européenne Karima Delli, qui milite pour instaurer une visite médicale obligatoire pour les détenteurs du permis de conduire.

► À lire aussi : Permis de conduire : visite médicale obligatoire tous les 15 ans, la directive rejetée par le Parlement européen

"On est à fond", se ravive Delphine. "Le Parlement européen a rejeté la directive mais n'a pas mis son veto. Donc, il faut que la France s'y mette." Samuel Ginterdaele devrait même faire partie de l'équipe qui élaborera la proposition de loi. Un combat qui touche aussi Cléo, qui préfère tout de même ne pas encore trop y penser. Il lui reste une heure d'entraînement, soixante minutes pour foncer et ne penser à rien, sauf à ses espoirs olympiques et à sa plénitude.

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