Heïdi Soupault et Kenzo Benhamida ne se connaissent pas, et pourtant : ils ont tous les deux 19 ans, viennent du département du Nord, et ils dénonçent, à coup de lettre et de pétition, la souffrance des étudiants. Une lettre a reçu une réponse d'Emmanuel Macron.
Écrire pour dénoncer la précarité des étudiants et interpeller les pouvoirs publics sur leur vie suspendue. A coup de lettre et de pétition, Heïdi Soupault et Kenzo Benhamida ont agi, chacun à leur manière, pour “coucher sur le papier” le ras-le-bol des étudiants. L’une a grandi à Armentières (Nord). Étudiante à Sciences Po Strasbourg, elle manie la plume avec brio. “J’écris comme un réflexe. Pour extérioriser”. Elle a publié une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour raconter ses rêves brisés, et est devenue, depuis quelques jours, le symbole de cette colère étudiante.
L’autre vit à Aniche, étudie l’histoire à l’Université de Lille, et a choisi la pétition et les réseaux sociaux pour interpeller la ministre de l’Enseignement supérieur. Car étudier est devenu, selon lui, “une expérience solitaire : des heures de lecture de PDF sans dialogue et sans vie sociale. Vraiment pas gai”.
De plus en plus de signes du mal-être étudiant
Les signes du mal-être étudiant, depuis ces dix derniers jours, se multiplient : deux tentatives de suicides d’étudiants dans le Rhône, un bâtiment incendié à Nantes dans lequel des partiels devaient se tenir, des syndicats étudiants qui demandent des mesures d’urgence au gouvernement. En cause, la crise sanitaire et ses nombreuses conséquences pour les moins de 25 ans : perte des petits boulots, fin des activités sportives ou culturelles, fermeture des bars, absence de vie sociale, mais aussi, pour la plupart, cours à distance.
Car depuis fin octobre, le “distanciel" est devenu la règle dans l’enseignement supérieur. Seules quelques dérogations ont été accordées : une première pour les élèves présentant une grande fragilité, et une seconde pour les premières années qui pourront, en demi-groupe, suivre des cours sur place à compter du 20 janvier.
En m’adressant au Président, c’était symbolique, je ne pensais vraiment pas qu’il me lirait !
“Il faudrait faire bien plus”, dénonce la jeune Armentiéroise, qui raconte comment tout a commencé. En discutant avec ses amis de promotion qui suivent tous des cours à distance depuis la Toussaint, elle a l’idée d’écrire une lettre à Emmanuel Macron. “J’écris beaucoup pour moi, pour me sentir mieux. Et nous avions beaucoup de choses à dire. Alors j’ai écrit en m’adressant au Président, c’était symbolique, je ne pensais vraiment pas qu’il me lirait”, explique-t-elle avec le sourire. Elle demande, a minima, que les étudiants puissent retourner en travaux dirigés, en petit groupe.
A la place des likes qu’elle attendait sur sa publication, elle reçoit un coup de fil de son directeur d’école. L’Elysée souhaiterait son adresse email. Extrêmement surprise, elle finit par recevoir une réponse quelques jours plus tard, dans ses courriels : “Il faut tenir”, lui dit Emmanuel Macron. Elle comprend qu'elle ne pourra pas retourner sur les bancs de Sciences Po.
la réponse d’emmanuel macron à la lettre ouverte d’heïdi soupault : je sais pas si ça me met un peu de baume au coeur d’être enfin considérés ou si je suis encore plus déprimée face au contenu de ce communiqué pic.twitter.com/inTgj33wzB
— sciences po hate account (@thornswatch) January 15, 2021
“J’ai été très déçue, mais je me suis dit qu’au moins, nous avions été entendu”, souffle-t-elle. Et quand elle apprend qu'une nouvelle exception au principe du tout distanciel va être mise en place, la jeune femme se réjouit. “Les premières années vont pouvoir revenir en demi-groupes pour les travaux dirigés à compter du 25 janvier, je suis vraiment contente pour eux”, sourit la jeune fille dont l’initiative a été fortement relayée par les médias.
? "Je n'ai plus de rêves, tous mes projets s'écroulent les uns après les autres au même rythme que mon moral décline"
— BFMTV (@BFMTV) January 12, 2021
Dans une lettre, cette étudiante interpelle Emmanuel Macron sur le sort des jeunes pendant la pandémie de Covid-19 ⤵ pic.twitter.com/8tFBvo5PkA
Kenzo Benhamida : une lettre discutée sur un groupe WhatsApp
Pour Kenzo Benhamida, inscrit en deuxième année à la faculté d’histoire à Lille, “tout est parti d’un groupe WhatsApp” sur lequel échange une partie de sa promotion. Le jeune homme aime écrire, est engagé politiquement, et propose d’écrire une première version d’une lettre “totalement apolitique” qui résume leurs demandes. Elle est revue par les autres étudiants, puis il publie en décembre cette dernière sous la forme d’une pétition, adressée non pas à l’Elysée, mais au ministère de l’Enseignement supérieur, et signée par une cinquantaine de personnes. Que réclament-ils ?
“Des ajustements sur la formation, et une indulgence dans la notation pour tous les sujets qui n’auraient pas été abordés en présentiel, c’est ce que nous demandions avant la tenue des partiels de janvier”, résume le jeune homme.
Pour les autres matières, les cours consistaient en des PDF à ouvrir et à lire.
Car le passage en tout à distance n’a pas, expose-t-il, été évident. “Au premier semestre, nous avons eu deux matières avec de vrais cours à distance, des professeurs très présents et accessibles. Mais pour les autres matières, les cours consistaient en des PDF à ouvrir et à lire : découvrir une matière, seul face à votre écran, est vraiment difficile”, précise-t-il, même s’il tient à ne pas rejeter la faute sur ses enseignants, “qui ont fait ce qu’ils ont pu”.
Contrairement à Heïdi Soupault, le jeune homme n'a reçu, du moins pour le moment, aucune réponse de Frédérique Vidal.
15 jours de petit boulot le remettent sur pied
Ont-ils tous les deux subi des passages difficiles depuis cette nouvelle version déchantée et lugubre de la vie étudiante ? “Oui”, répondent-ils unanimement, même s’ils estiment avoir été chanceux. “J’ai décroché pendant quinze jours, j'ai fait une petite déprime, et je suis allé voir un médecin, raconte le jeune homme. Heureusement, je suis très entouré par ma famille, reconnait-il, et j’ai eu la chance de trouver un job pendant quinze jours. D’être actif 7h par jour m'a aidé : ça m'a fait penser à autre chose, ”. La jeune femme a, quant à elle, l’impression d’être, à 19 ans, une “morte-vivante”.
La crainte d'actions plus violentes
“Nous sommes loin d’être des voix isolées", résume l’étudiant en histoire : "aujourd’hui, il y a des lettres, des hashtags comme #etudiantsfantomes et pour l’instant, peu de réponses du gouvernement. Il y a de la lassitude et de la colère, pour le moment pacifiques. Ce que je crains, si on ne nous apporte pas vite des solutions concrètes, confie-t-il, c’est que ça débouche sur des actions plus violentes".
Les établissements d'enseignement supérieur peuvent mettre en place des cours en présentiel pour :
- les étudiants qui suivent certains enseignements pratiques qui ne peuvent s'enseigner à distance, "dans le cas où le caractère pratique de l’enseignement rend impossible de l’effectuer à distance. Cet enseignement présentiel dérogatoire, limitativement défini, est arrêté par le recteur de région académique", comme le précise la circulaire du 30 octobre 2020.
- les élèves les plus fragiles par groupe de 10 maximum, par convovation, définis comme “ceux nouvellement arrivés dans l’enseignement supérieur, les étudiants en situation de handicap, de précarité numérique, de décrochage, les étudiants internationaux, ainsi que tous ceux et celles qui appellent votre attention du fait de l’urgence ou de circonstances individuelles particulières” (décret du 19 décembre 2020).
- les étudiants de première année post-baccalauréat uniquement pour des travaux dirigés, "dans la limite de 50% de la capacité d’accueil des salles d’enseignement, au plus tôt au cours de la semaine du 20 janvier, en fonction de l’évolution de la situation" (décret du 19 décembre 2020).