Communément appelé le 3ème tour, les élus de la métropole vont élire leur président pour les 6 prochaines années le 9 juillet. Ils sont deux à s'être déclarés candidats : Damien Castelain, président sortant, et Rudy Elegeest, maire de Mons. On vous explique le duel et les enjeux.
Après des élections municipales inédites marquées par la crise du Covid-19, la métropole lilloise s’apprête à vivre un 3ème tour, pour élire le président de la MEL, la Métropole Européenne de Lille. Avec ses 1,2 millions d’habitants, c’est la quatrième plus grande agglomération de France, derrière Paris, Lyon et Marseille. L’élection, prévue le 9 juillet prochain, n’a pas pour habitude de passionner les habitants des 95 communes de la métropole. Trop éloigné ? Mode de scrutin obscur ? Manque de connaissance sur les prérogatives de la MEL ? Pourtant, les enjeux sont colossaux, certains politologues qualifiant même cette élection de bien plus importante que les municipales. Logement, transports, infrastructures, économie, déchets… toutes les décisions qui concernent ces domaines -pour n’en citer que quelques uns- sont prises à l’échelle de la MEL et impactent directement la vie quotidienne des habitants.
Au-delà de la gestion des grands dossiers à l’échelle métropolitaine, la MEL est aussi le théâtre d’événements politiques qui auraient toute leur place dans la série House of Cards. Et le duel qui se dessine entre Damien Castelain (centre droit), président sortant candidat à sa réélection et Rudy Elegeest (centre gauche) ne devrait pas déroger à la règle. À une semaine de l’élection, rien n’est joué.
Vers un duel Castelain / Elegeest ?
Sont officiellement candidats à la présidence de la MEL Damien Castelain et Rudy Elegeest. Il n’existe cependant pas de date officielle de dépôt de candidature, chacun pouvant se porter candidat jusqu’au jour du vote le 9 juillet. Même si une troisième candidature dans les prochains jours semble inimaginable au vue du scrutin prévu dans 7 jours, impossible de l’assurer cependant.D’un côté, l’un propose un programme ultra-détaillé réparti en 8 axes, dans la continuité du travail effectué ces 6 dernières années. Damien Castelain, 52 ans et maire de Péronne-en-Mélantois depuis 21 ans, veut rempiler à la présidence de la MEL. En 2014, le coup de Trafalgar de Martine Aubry qui ne se représente pas permet à l’élu de l’emporter. Fort du report des voix de gauche, il est alors élu avec 108 voix contre 62 pour Bernard Gérard, maire Les Républicains de Marcq-en-Baroeul. Nous avons voulu le joindre mais Damien Castelain n’a pas souhaité nous répondre. Il semblerait que le candidat en a fait sa stratégie : invité par son challenger à un débat, il n’a jamais donné suite à la proposition. Sollicité par France 3 au soir du second tour des élections municipales, Castelain a également décliné l’invitation.
Dany Wattebled, sénateur du Nord, est un fervent défenseur du président sortant. Il s'occupe d'ailleurs de contacter les élus pour les convaincre de voter pour Damien Castelain. Contacté, il se dit surpris de la candidature de Rudy Elegeest à la tête de la Métropole. Selon lui, le challenger avance masqué. "Je ne vois pas en quoi aujourd’hui, avec 5 personnes dans un groupe (le groupe APM de Rudy Elegeest de 2014 à 2020 à la MEL réunissait 5 élus, ndlr), il peut prétendre à ça, hormis en ayant tissé des accords avec des garanties en sous-marin", se demande Dany Wattebled, qui fustige le projet du challenger. "C’est un candidat qui veut être président mais qui n’a pas de programme. Il prétend vouloir y aller mais avec quoi ? La gestion d’une métropole se base sur une vision, un programme."
Le second candidat officiel propose une feuille de route à co-construire au lendemain de son élection. Rudy Elegeest, est maire de Mons-en-Baroeul depuis 2001. Jamais encarté dans un parti, il est considéré de sensibilité centre-gauche et ne présente pas un programme mais plutôt des axes de travail pour les six années à venir. "Il y a des lignes de démarcation entre Damien Castelain et moi : je n'arrive pas avec un projet détaillé mais avec une logique de recherche de consensus. Je ne veux pas une métropole qui fonctionne avec une majorité et une opposition."J’adresse toutes mes félicitations aux Maires et conseils municipaux installés dans 78 communes de la @MEL_Lille, dont 54 adhèrent au groupe MPC. Après le second tour et la désignation des 17 autres villes , je convoquerai le Conseil métropolitain le jeudi 9 juillet prochain. pic.twitter.com/59Zd6jp2vK
— Damien Castelain (@DamienCastelain) May 30, 2020
Président du groupe APM (Actions et projets pour la métropole) réunissant 5 élus pendant la dernière mandature, ce "socio-démocrate assumé" a été très critique envers le mandat qui vient de s’écouler, dénonçantun retour en arrière. "De mon point de vue, la MEL a besoin d’un nouvel élan. Je ressors du mandat qui s’est écoulé avec un sentiment très mitigé, explique-t-il. Je considère qu’il y a des grandes stratégies à l’arrêt. Cette métropole a été capable de construire les deux lignes de métro automatiques les plus longues du monde il y a 30 ans. Depuis 25 ans, plus rien n’est fait pour les transports." Ainsi, il veut proposer un nouveau mode de gouvernance et axer son programme sur la transition environnementale qu’il considère comme l’enjeu majeur de notre époque. "80% des questions qui se posent concernant la transition environnementale sont des compétences de la MEL."
Au-delà des divergences affichées ces derniers mois, les deux élus s’étaient déjà affrontés lors du vote de la nouvelle délégation de services publics aux transports. L’exécutif avait fait voter une baisse de 10% des subventions de la MEL dans le nouveau schéma des transports en commun. Rudy Elegeest, alors président de la commission mobilité, s’était abstenu et avait critiqué l’attitude de certains de ses collègues. Il n’avait pas voté non plus pour le déménagement de la MEL dans un nouveau bâtiment, la Biotope, "une location qui représente un surcoût de 41,7 millions d’euros sur 36 ans" d’après la Cour des Comptes."Est ce qu’on a envie, en terme de gouvernance et en terme de fond, de refaire un mandat comme celui qui vient de s’écouler ou est ce qu’on a envie de tenter autre chose ?"
Alliances improbables
Damien Castelain, président du groupe MPC (Métropoles passion commune), revendique déjà le vote d’une soixantaine d’élus communautaires le 9 juillet prochain. La plupart sont maires de petites communes et ont été réélus dès le premier tour. Tandis que le président sortant peut compter sur le soutien sans faille des élus de son groupe, Rudy Elegeest l'indépendant marche sur des oeufs et tente de ratisser large, de Gérald Darmanin à Martine Aubry en passant par les écolos. La maire de Lille ? "Une amie", rétorque-t-il. Il a d’ailleurs été son premier vice-président de 2008 à 2014 à la communauté urbaine. Les deux élus se connaissent bien et un soutien de Martine Aubry au candidat de centre-gauche pourrait donc sembler logique. Néanmoins, Elegeest drague aussi les élus marcheurs et de droite. Officiellement soutenu par Guillaume Delbar, maire divers droite de Roubaix et officieusement par le maire de Tourcoing Gérald Darmanin, ministre de la macronie et ancien lieutenant de Nicolas Sarkozy, difficile donc d’imaginer une coalition rassemblant Aubry et Darmanin derrière Elegeest."Je pense que ces deux là ne se sont pas encore prononcé, j’espère qu’ils le feront. Martine Aubry, ça fait 20 ans que je travaille à côté d’elle. J’ai toujours été fidèle à Aubry… soupire Elegeest. Sa position sera essentielle." Dans le camp adverse, ces suppositions d'alliance agacent. "On fait croire que tout le monde est avec Elegeest, tant mieux pour lui, s'énerve Dany Wattebled, fervent soutien du candidat Castelain. Aubry et Darmanin, ajoutez-y Spillebout et les Verts et faites le calcul, difficile d'y croire."
Guillaume Delbar, maire divers droite de Roubaix, a quant à lui annoncé publiquement son soutien au maire de Mons-en-Baroeul. "Je vais me positionner en ayant comme objectif un changement de la métropole, pour qu’elle change de siècle et de division" a-t-il déclaré sur le plateau de France 3 Nord Pas-de-Calais, admettant avoir commencé à discuter avec Rudy Elegeest, avec qui il "partage un certain nombre d’ambitions et de valeurs."
Enfin, certains élus nous confient s’interroger sur la probité de Damien Castelain suite aux révélations du journal d’investigation Médiacités en 2019 sur les affaires judiciaires entourant l’actuel président de la MEL. Le parquet de Lille a requis son renvoi devant le tribunal correctionnel pour recel d’abus de confiance dans l’affaire du Grand Stade. Il est également inquiété dans une affaire de notes de frais litigieuses.
Tractations en coulisses
Chacun des 188 élus communautaires va donc voter le 9 juillet pour élire le président de la MEL. Alors en coulisses, les tractations vont bon train. La drague des élus est en marche, certains affirmant que les promesses de portefeuille à tel ou tel poste se multiplient à l’approche de l'élection. Dans l’ombre, le ministre Gérald Darmanin s’active et réseaute : il rencontre les élus et multiplie les appels téléphoniques pour peser pendant cette prochaine mandature, à défaut d’avoir pu se présenter comme il l’espérait. Le maire de Tourcoing a d’ailleurs réuni une quarantaine de conseillers communautaires en début de semaine pour acter la création d’un nouveau groupe politique au sein de la MEL, baptisé "Métropole avenir". Ce nouveau groupe devrait logiquement être la 2ème force politique de la métropole en nombre d’élus, devant le PS.Dans la Voix du Nord, l’actuel ministre du budget explique vouloir "peser sur l’élection du président et de l’exécutif de la MEL" sans pour autant viser une place dans l’exécutif. "Métropole avenir" va proposer aux deux candidats déclarés de venir présenter leur projet. Parmi les 40 élus ayant rejoint le groupe, le maire de Roubaix Guillaume Delbar, qui ne cache qu’à moitié son soutien au candidat Elegeest. "J’ai fait partie d’un exécutif métropolitain qui n’a jamais été réuni par le président. Demain il me dit « je ne vais plus faire pareil », je lui demanderai pourquoi il n’a pas pris cette décision avant." D’après nos informations, ce nouveau groupe ne devrait pas présenter de candidat à la présidence.
Dans le camp Castelain, les soutiens historiques du maire de Péronne-en-Mélantois s’activent également en coulisses, des réunions classiques jusqu’aux barbecues improvisés pour tenter de récolter le maximum de soutiens. Dany Wattebled, sénateur du Nord, est dans les starting-blocks et use de sa longue liste de connaissances pour faire pencher la balance en sa faveur. L’une des inconnue de ces tractations réside dans le choix de Gérard Caudron, maire de Villeneuve d’Ascq. Soutien de Damien Castelain en 2014, l’élu accompagné de ses 6 conseillés communautaires est convoité par les deux camps et, d’après nos informations, le soutien au président sortant n’est pas du tout acquis. De con côté, Rudy Elegeest lui tend la main. "J’espère qu’il fera le bon choix pour la MEL. C’est un homme de gauche, je suis un social-démocrate, je pense qu’il y a une forme de proximité." Même si le candidat concède que "l’alchimie métropolitaine un peu curieuse parfois peut conduire à des décisions différentes.""Ça me semble difficile de changer de méthode sans changer de présidence."
Jean-René Lecerf, président du département du Nord, s’est clairement prononcé contre la réélection de Damien Castelain, considérant qu’un maire d’une si petite commune ne peut présider la métropole. Il n’a cependant pas soutenu le challenger Rudy Elegeest, portant son dévolu sur le maire d’Hem, Francis Vercamer. Officiellement pas candidat, l’ancien député multiplie les visites amicales dans les communes de la métropole ces derniers temps, laissant certains rêver d’une candidature surprise qui pourrait rabattre totalement les cartes du duel en place. Nous avons tenté de le joindre, en vain."Je connais bien les mécanismes de cette élection. Néanmoins, je n'ai pas passé ma vie depuis quelques mois à faire des promesses diverses et variées aux uns et aux autres en échange d'une voix."
Et les écolos dans tout ça ?
Un événement aurait pu rebattre totalement les cartes du duel entre Castelain et Elegeest. Stéphane Baly, candidat EELV arrivé 227 voix derrière Martine Aubry au soir du second tour des municipales, avait imaginé un temps pouvoir présenter un candidat écologiste à la présidence de la MEL. "Je prévoyais le scénario d’une trentaine d’élus en gagnant Lille, ça n’a pas été le cas. Nous ne sommes donc pas en mesure de présenter une candidature, alors que j’avais tendance à dire l’inverse la semaine dernière" admet le désormais chef de l’opposition à la mairie de Lille.Les écolos lillois enverront 6 conseillers communautaires à la MEL et devraient former un groupe écologiste d’une dizaine d’élus. Cependant, aucune décision n’est encore prise sur le candidat qu’ils soutiendront. "J’ai eu des échanges avec les deux groupes déclarés comme étant candidats. J’ai lu pour l’un le programme et pour l’autre la feuille de route, affirme Stéphane Baly. Nous étions dans la majorité avec Damien Castelain pendant le mandat précédent et nous avons bien travaillé avec Rudy Elegeest sur la question des transports."
Un point de crispation commun aux projets des deux candidats : la question de l’attractivité de la métropole. "Une métropole attractive, c’est un cadre de vie. C’est pas d’aller payer des expositions à Dubaï ou d’accueillir la coupe Davis. C’est prendre soin de la population actuelle, avec les questions environnementales, sanitaires, d’hébergement etc. Attirer les cadres et chasser les classes populaires, c’est pas la vision qu’on a de l’attractivité."
Sous-représentés dans la métropole lilloise par rapport à la vague verte qui a déferlée sur la France au soir du second tour des municipales, les écologistes dénoncent enfin le mode de gouvernance de la MEL, un véritable "trou noir démocratique" d’après Stéphane Baly, qui prend pour contre-exemple la métropole de Lyon où les conseillers métropolitains sont élus au suffrage universel direct en même temps que les maires. Des positions qui pourraient inciter les élus écolos à se tourner vers Rudy Elegeest et son projet de changement de gouvernance, même si rien n’est encore acquis.
Comment fonctionne la MEL ?
La MEL est composée de 188 élus originaires des 95 communes de la métropole qui forment le conseil communautaire. La plus peuplée, Lille, envoie 33 élus sur les 188 siéger à la MEL tandis que Warneton et ses 239 habitants n’envoient qu’un conseiller communautaire. À l’échelle de chaque commune, les sièges sont dispatchés entre la liste majoritaire et les listes d’opposition. Pour exemple, Villeneuve d’Ascq envoie 9 conseillers communautaires. Cette année, Gérard Caudron arrivé en tête du second tour des municipales avec 51,09% des voix envoie ainsi 7 conseillers sur les 9 attribués à la ville. Les deux autres sont divisés entre la liste écolo citoyenne arrivée en 2ème position et la liste LREM 3ème. Vous suivez ?Sur les 95 communes formant la MEL, 74 d’entre elles -considérées comme des petites communes- n’envoient qu’un conseiller communautaire, mais représentent 40% des élus lorsqu’elles sont réunies. En face, Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-d’Ascq -les 4 plus grandes villes de la MEL concentrant la moitié des habitants de la métropole- n’envoient que 69 élus. Au-delà des clivages politiques, c’est cet affrontement entre petites communes et grandes villes qui anime la majorité des débats et des alliances, au-delà des couleurs politiques. En 2014 par exemple, Damien Castelain est élu à la tête de la Métropole grâce à la mobilisation des petites communes. Un match entre métropole des villes et des champs.
Une fois installés, les 188 élus votent pour élire le président de la MEL au suffrage indirect. Une partie des élus communautaires critiquent justement ce mode de scrutin qui, selon eux, est un trou noir démocratique. Pour la première fois à Lyon à l’occasion des municipales, les habitants se sont déplacés pour élire leur maire mais également leurs conseilleurs municipaux au scrutin universel direct.