Procès des deux ex-salariées People & Baby : trois questions à Victor Castanet, auteur du livre "Les Ogres"

En marge de l'ouverture du procès des deux anciennes salariées de la crèche People & Baby de Villeneuve d'Ascq au tribunal correctionnel de Lille, nous avons interrogé Victor Castanet, auteur de l'ouvrage "Les Ogres", sur la maltraitance dans les crèches publiques.

Ce lundi 23 septembre 2024, dans la salle D du tribunal correctionnel de Lille s'est ouvert le procès des deux anciennes salariées de la crèche People & Baby de Villeneuve d'Ascq. L'ex-infirmière et l'ex-directrice, sont jugées pour des faits de violences commis sur neuf enfants. 

Si les faits se sont produits en 2021, l'affaire avait déjà été renvoyée deux fois devant la justice. Le 23 septembre, les avocats de la défense ont demandé un renvoi supplémentaire au motif que leurs clientes sont anxieuses du fait de la surmédiatisation de l'affaire. Et pour cause, sur le bureau des avocats de la défense, trône "Les Ogres", le nouvel ouvrage de Victor Castanet, une enquête dédiée aux maltraitances survenues dans les crèches privées du groupe People & Baby, dont celle de Villeneuve d'Ascq. 

"Ce sont deux femmes fantomatiques, sous traitement, elles ont perdu le sommeil et l'appétit. Il faut extraire ce procès de la promotion d'un livre" s'est exprimée Me Blandine Lejeune, avocate de l'ex-directrice à la barre, accusant Victor Castanet de présenter leurs clientes comme déjà coupables. Sa collègue, Me Fatima En-Nih partage ce constat et compare la situation de sa cliente à une scène de "lapidation" tout droit sortie des Hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra.

Le débat est porté sur la place publique et permettra je l'espère de s'interroger sur les problèmes structurels.

Me Alexandre Schmitzberger

Avocat d'une des familles victimes

Me Schmitzberger, qui représente la famille d'un petit garçon notamment victime de "griffures", a au contraire rappelé l'importance de l'ouvrage de Victor Castanet.  Si "ce n'est pas le procès de People & Baby, mais de deux personnes physiques au sujet desquelles il y a des soupçons. Le débat est porté sur la place publique et permettra, je l'espère, de s'interroger sur les problèmes structurels (...) qui peuvent parfois expliquer sans doute des comportements."

Si ce troisième renvoi n'a pas été accepté par la cour, un huis clos a été décidé, coupant définitivement ce jugement, du moins ce qu'il se passe au tribunal, de l'exposition médiatique. Devant la salle D, nous nous sommes entretenus avec Victor Castanet au sujet de ces maltraitances en crèche privée.

Qu'attendiez-vous de ce procès ?

Victor Castanet : "C'est plutôt, qu'est-ce qu'attendaient ces familles ? J'ai pu les rencontrer et suivre leur évolution. Ce qu'elles attendent, c'est de pouvoir tourner la page.

C'est très difficile quand vous êtes parents de savoir que votre enfant a pu être victime d'un certain nombre de dysfonctionnements, voire de faits de maltraitance, et de ne pas savoir vraiment ce qu'il s'est passé. C'est très dur, vous ne connaissez pas la vérité, donc vous ne pouvez pas tourner la page.

Vous ne connaissez pas la vérité, donc vous ne pouvez pas tourner la page.

Victor Castanet

Auteur de "Les Ogres"

Il y a quelque chose qui ne se boucle pas. Elles attendent que justice passe, et qu'on reconnaisse ou pas le statut de victime de leur enfant. C'est très important pour se reconstruire."

Le gouvernement fait-il assez en matière de politique de l'enfance ?

Victor Castanet : "Ce qui est sûr, c'est que, là, c'est le procès de deux femmes. Ce que j'ai essayé de montrer dans mon enquête, c'est qu'il y a un problème sur le système qui permet, ou maximise, la survenue d'incidents de ce type parce qu'il n'y a pas assez de remontées d'information, de systèmes d'alerte, il y a des problèmes de recrutement dans certains groupes... Il y a une gestion en mode dégradée qui fait qu'il y a une pression importante sur les équipes et un problème de recrutement.

Le sujet, il est vraiment au niveau du fonctionnement d'un certain nombre de ces groupes et en particulier du fonctionnement de People & Baby. Oui, évidemment, il faut que les politiques se saisissent de cette question, qui est une question majeure parce qu'elle concerne nos enfants. Je pense qu'aujourd'hui, les professionnels de ce secteur et les familles, attendent que le gouvernement et la nouvelle ministre en charge de cette question prennent ce sujet à bras-le-corps. Et qu'au niveau de la réglementation, des contrôles, des modes de financement, il y a une action qui soit forte."

Quels conseils donnez-vous aux parents inquiets à l'idée de déposer leurs enfants à la crèche ?

Victor Castanet : "Le point de vigilance principale se situe au niveau du personnel. Quand vous voyez une équipe qui est stable avec une directrice qui est là depuis cinq ou dix ans, ça se sent très vite, un personnel où il y a une cohérence d'équipe. Vous sentez l'humeur de la crèche quand vous arrivez. Quand il n'y a pas d'instabilité, que vous voyez les mêmes personnels tous les jours, vous pouvez être en partie rassurés.

Le souci, c'est quand vous commencez à avoir du turn-over.

Victor Castanet

Auteur de "Les Ogres"

Le souci, c'est quand vous commencez à avoir du turn-over. Quand il y a une directrice qui vient d'arriver depuis six mois et que la précédente avait démissionné. Quand vous avez des "volantes" qui viennent remplacer les absences, et vous voyez des visages en permanence changer.

Le point de vigilance est vraiment au niveau des équipes. Donc il faut prendre l'habitude quand on est parent, pas d'avoir peur en permanence parce que dans la plupart des crèches françaises ça se passe bien, mais de discuter avec les équipes en place, de prendre du temps et le matin et le soir, pour avoir un petit mot pour chacun et chacune. Quand on a une équipe qui va bien, en général les enfants vont bien."

Six et 12 mois de prison avec sursis ont été requis lundi 23 septembre contre deux ex-salariées d'une crèche People&Baby à Lille. La décision est mise en délibéré au 7 octobre.