"Vous êtes en CDI, CDD, intérimaire ? On finira tous à la retraite !", hèle Benoît, agent SNCF gréviste, en tendant ses tracts devant la gare Lille-Flandres. Avec une soixantaine d'autres cheminots, il tente mardi, dans l'air glacial, de "fédérer les travailleurs, du public comme du privé !"
L'horloge indique à peine 7h et les voyageurs se font rares, mais dans la nuit, la lueur vacillante d'un fumigène éclaire plusieurs cheminots à genoux, penchés sur de longues banderoles. "Cheminots en grève. Public-privé, même combat !", affichent-ils partout. Deux tables dressées près d'eux forment leur "piquet de grève" : des piles de tracts, des gilets orange et du café "pour tenir longtemps", sourit un cheminot en gilet rouge frappé du sigle CGT.
Des drapeaux ou badges FO, Unsa ferroviaires et Sud Rail s'égrènent ici ou là. "Mais nous sommes surtout membres du comité de grève, qui met les étiquettes de côté pour accueillir tout le monde, syndiqué ou non !", souligne Lorraine Leclercq, contrôleuse et gréviste. "L'idée, c'est de montrer qu'on est mobilisés contre la réforme et expliquer pourquoi aux usagers et collègues qui hésitent encore à rejoindre le mouvement", explique Ali, bombes de peinture en main. Car, "contrairement à ce qui se dit (...) cette réforme n'est pas qu'une attaque contre les cheminots ou les régimes spéciaux ! Elle concerne tous les salariés du public et du privé", qui vont, à terme, "voir baisser leurs pensions" et "travailler plus longtemps".
"Le gouvernement essaye de décrédibiliser le mouvement, brandir le chemin de fer ou l'éducation en disant "regardez, ils manifestent pour leurs privilèges de nantis" mais c'est faux !", renchérit Benoît, 36 ans, technicien en télécommunications à la SNCF. Pour lui, "quand on calcule la retraite sur toute une vie au lieu des 25 meilleures années, quand on indexe sur l'inflation, qu'on propose un âge pivot de départ" à 64 ans, "ça veut dire que tout le monde y perd !"
"Bras de fer"
Parmi les voyageurs pressés et Lillois curieux, quelques uns s'arrêtent, posent des questions ou lancent un "bon courage". Mais la plupart attrapent le tract rapidement, sans commentaire. Certains sont agacés, comme Marilyne Wallois, 39 ans, employée à la Sécurité sociale. Sans trains, "c'est la galère et encore la galère ! Je dois prendre ma voiture et faire des dépenses, en plus de mon abonnement mensuel", regrette-t-elle.
"Devoir partir une heure plus tôt, ça pique un peu (...) Les grévistes, on les comprend mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps !", juge aussi Maxime Truffaut, 42 ans, salarié "dans la communication". Si elle se dit "embêtée", Catherine Barkovic "soutient" les grévistes: "un système universel, c'est intéressant, mais là on dirait qu'on veut retirer à tous, pour faire des économies", dit-t-elle.
Sauria Redjimi, conseillère municipale d'opposition à Roubaix, est elle "tout à fait pour la grève" : "La politique doit être concertée mais, en ce moment, on subit", déplore-t-elle. "Les syndicats ont fait un énorme travail dans le passé pour que le système soit équitable, solidaire et on ne peut pas rayer tout ça de la carte du jour au lendemain", juge-t-elle encore.
"Promis, je ne vais pas en cours cet après-midi, je vous rejoins en manif !", s'enthousiasme une lycéenne, arrachant presque un tract des mains d'Ali. La convergence ? Damien Scali, membre du collectif des grévistes, y croit. "La mobilisation prend, elle va s'amplifier. Le 4 décembre déjà, des tas de salariés du privé étaient en grève", assure-t-il, persuadé que "le bras de fer avec Macron ne fait que commencer".