Entretien. "Roubaix et Détroit sont des viviers culturels où la diversité engendre une richesse artistique et humaine inégalée"

Nous avons interrogé la réalisatrice de documentaires Clara Yvard sur les motifs de sa web-série "From Roubaix to Détroit", qui nous emmène à la rencontre d'artistes activistes à Roubaix et à Détroit aux États-Unis. Transmission, humanisme, entraide, engagement social et DYI (Do it yourself) y sont les moteurs des nouvelles dynamiques, dans tous les champs des arts urbains, la mode, la musique, la danse et le street art.

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Qu'est-ce qui vous a donné envie de réaliser cette série documentaire, quelle est l'origine du projet ?

À vingt ans, je pars étudier le cinéma au Canada, dans la ville de Windsor, face à Détroit.
Déjà fascinée par cette ville, les mises en garde et le traitement médiatique ne suffisent pas à me décourager. Plus j’y passe de temps, plus je réalise que le fait d’avoir toujours vécu dans de grandes villes où l’offre culturelle est institutionnalisée et abondante me donne la sensation d’évoluer dans un système trop ordonné, presque étouffant. Au lieu de créer, je me cachais. À Détroit, les habitants n’attendent ni validation ni financement pour créer de grandes choses. Là-bas, je respire, car chaque lutte, chaque projet trouve sa place pour exister. À mon retour en France, je fais rapidement le lien entre l’histoire de Détroit et celle de Roubaix. En passant du temps dans ces villes, je découvre une culture qui valorise le sens et l’esprit de communauté plutôt que l’esthétique, une authenticité que je n’avais pas trouvé lorsque je vivais Paris, ou à Marseille.

Un jour, une artiste rencontrée à Détroit me dit : "Tu sais beaucoup d’étrangers viennent à Détroit en pensant sauver la ville, alors qu’en réalité, ce sont eux qui ont besoin d’être sauvés". C’était donc ça. J’avais besoin d’être sauvée. Remettre du sens dans ma pratique artistique c’était sortir des sentiers battus.Ces villes, avec leurs aspérités et leur authenticité, m’ont appris à accepter mes propres imperfections, me libérant des contraintes artistiques imposées par les grandes villes. Elles m’ont réellement sauvée de la désillusion et de l’écrasante pression des normes sociales. Dans leurs cicatrices et leurs rêves, j’ai trouvé la force de me réinventer, de créer sans entraves, et d’embrasser l’imperfection comme une source infinie de beauté et de résilience.

Les artistes, à mes yeux, possèdent des pouvoirs extraordinaires. Ils incarnent souvent l'idée que chaque individu a la capacité de transformer le monde.


WEB-SÉRIE. "From Roubaix to Détroit", derrière les murs, l’art fait vivre !

Vous avez décidé de raconter les villes de Roubaix et Détroit à travers des portraits d'artistes. Pourquoi ?

Les artistes, à mes yeux, possèdent des pouvoirs extraordinaires. Ils incarnent souvent l'idée que chaque individu a la capacité de transformer le monde. Par cela, je veux dire leur rôle essentiel dans la revitalisation urbaine, la préservation du patrimoine culturel, et la création de témoignages symboliques de leur époque. Derrière chaque oeuvre d'art, je perçois des perspectives uniques et souvent provocantes. Ma génération aspire à cela, à être libérée des cadres imposés, tout comme les villes post-industrielles, qui ont un potentiel vibrant, inclusif et résilient. Il est facile de les stigmatiser car il est difficile de les connaître vraiment.

Pour ma série, j'ai souhaité explorer deux aspects emblématiques des villes de Roubaix et de Détroit : la communauté et l'engagement social. Le discours récurrent dans ces villes est : "Nous avons dû créer nos propres outils", ce qui rend la pratique artistique intrinsèquement engagée. Les artistes utilisent leur art comme un moyen de sensibilisation aux problèmes sociaux, d'apporter de l'espoir et de renforcer le tissu social. Ils organisent des ateliers, des événements et des initiatives collaboratives pour impliquer les habitants et promouvoir un changement positif. Tout cela a nourri ma volonté de les mettre en lumière.

Au-delà des portraits d'artistes, je vois des luttes partagées, des inspirations mutuelles, des nourritures réciproques, toutes connectées à une échelle internationale. Je veux montrer que ces liens de réciprocité peuvent transcender les frontières, qu'ils peuvent être universels. On en a, plus que jamais, besoin.

Il s’agit pour moi de reconnaître ce passé, de comprendre que les investisseurs ne sont pas les véritables créateurs de richesse dans ces cités, mais bien les résidents, les gardiens de leur histoire et de leur avenir.

LIRE AUSSI : Point de vue. De Roubaix à Détroit, "l'artivisme" des artistes locaux donne une nouvelle dynamique culturelle dans des villes éreintées par la crise économique

Qu'est-ce qui rapproche ces deux villes, dans leur histoire et dans leur présent ? Quels sont les liens principaux entre Roubaix et Détroit ?

Les villes de Roubaix et Détroit ont été des pionniers industriels majeurs au cours du XIXe et du début du XXe siècle, tissant la trame de la révolution textile et automobile. Mais la désindustrialisation et la perte d'emplois manufacturiers ont laissé des stigmates profonds, marquant ces cités d'un même traumatisme. Pourtant, à travers ma série, j’ai choisi de dévoiler un récit différent, embrassant leur capacité à se réinventer, porteur d'un message d'espoir. Roubaix et Détroit regorgent de récits souvent passés sous silence, des facettes volontairement occultées qui méritent d’être révélées. Elles sont des viviers culturels, où la diversité engendre une richesse artistique et humaine inégalée. La mémoire collective y tisse un sentiment d'appartenance, dont les habitants sont les héritiers.

Ces villes ont su transformer leurs épreuves en opportunités, illustrant ainsi la puissance de la culture comme moteur de résilience et de transformation. Elles tissent des liens profonds entre leurs communautés, forgent un avenir plus inclusif et dynamique, où chaque voix trouve écho.

Pourtant, il est crucial de souligner que je n'ai jamais envisagé de parler de "renouveau". Ces villes n'ont pas attendu le réveil des institutions ou des politiques pour évoluer. C’est une lutte qui se mène depuis des décennies, portée par les habitants eux-mêmes. Il s’agit pour moi de reconnaître ce passé, de comprendre que les investisseurs ne sont pas les véritables créateurs de richesse dans ces cités, mais bien les résidents, les gardiens de leur histoire et de leur avenir.

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Avez-vous une anecdote de tournage à nous raconter ?

Le tournage de l’épisode dédié au street art a été une expérience profondément émouvante. La thématique, centrée sur le devoir de mémoire, m'a poussée à inviter les artistes Papysse et Sydney James à converser avec leurs mères sur l’engagement derrière leurs pratiques artistiques. Pendant le tournage, leurs mères ont été submergées par l'émotion. Il était délicat de s'aventurer ainsi dans l'intimité de leurs vies, mais nous avons laissé la caméra capturer ces moments authentiques. J'ai été profondément touchée de voir que cette expérience leur a permis de surmonter leur pudeur et d'exprimer avec fierté tout l'amour qu'elles portent à leurs enfants.

Propos recueillis par Stéphane Mazzorato

durée de la vidéo : 00h03mn57s
Entretien avec la réalisatrice de la série documentaire "From Roubaix to Détroit", Clara Yvard ©France Télévisions

"From Roubaix to Détroit", une web-série en 4 épisodes et un "fil" sur Instagram 

"From Roubaix to Détroit" nous emmène à la rencontre d'artistes activistes entre Roubaix et Détroit aux États-Unis, là où l’art est une arme de construction massive !
Une coproduction Les Docs du Nord / Black Pepper Studio / France Télévisions   - Productrice : Marie Dumoulin

  • Une web-série sur l'engagement artistique pour se réapproprier l’espace urbain et lutter contre les préjugés, les inégalités et la gentrification. 4 épisodes de 13 minutes, à découvrir en ligne sur le site de France 3 Hauts-de-France, france.tv et Youtube.

  • Un fil Instagram durant tout le mois de juin, pour présenter l'art comme à la fois un langage universel et un moyen de réflexion et de critique sociale, politique et culturelle, au-delà des frontières.

#FromRoubaixToDetroit #FRTD #Roubaix #Détroit #RoubaixDetroitconnection

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