L’ancien journaliste de Fox News, devenu égérie des réseaux de l’extrême-droite nationaliste américaine, a sans le savoir donné une coloration française, et même roubaisienne, à l'une de ses vidéos.
Alors que la guerre menée par la Russie en Ukraine va entrer dans sa troisième année, la dimension informationnelle de la guerre, qui consiste à renforcer l’image du régime de Poutine tout en fragilisant le soutien à l’Ukraine, bat son plein.
Le 8 février, Tucker Carlson, ancien journaliste star de Fox News, s’est rendu à Moscou pour interviewer Vladimir Poutine, une première depuis le début de la guerre. Dans les semaines qui suivent, le polémiste, tenant de théories du complot et soutien de la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021 au Capitol, publie une nouvelle série de vidéos. Dans "The Russia Trip", il prétend présenter la vie "réelle" des Russes, entre le faste du métro moscovite ou "la version russe de McDonald's".
Voyage en absurdie
"Vous mettez 10 roubles ici, et vous les récupérez en déposant votre chariot. Ce qui reste gratuit, mais vous incite à le rendre et à ne pas simplement le ramener à votre campement de sans abri !" Voici les mots par lesquels commence la séquence principale d'une courte vidéo titrée "La supérette de Moscou", à l’entrée d’un supermarché Auchan ("Ашан" en cyrillique). Le but avoué : prouver que l'économie russe va bien, et qu'elle se porte même sans doute mieux que ses rivales occidentales.
Après avoir découvert le concept de caddie de supermarché (qui, précisons-le, est largement pratiqué aux États-Unis tout comme en Europe), et frôlé l’extase sur un escalator, Tucker Carson fait l’éloge du savoir-faire et de l’économie russe. Sans savoir qu’il vient d’entrer sur les terres d’un fleuron de la grande distribution française.
Côté américain, la séquence et ses nombreux moments de grâce ont été tournés en ridicule sur les réseaux sociaux et par l'animateur de MSNBC Jon Stewart, qui a qualifié le voyage de Carlson en Russie de "masterclass de journalisme".
Auchan toujours présent en Russie
Or, si le polémiste s'était renseigné, il saurait que la Russie est le pays étranger comptant le plus de succursales de l’enseigne. Le groupe de la famille Mulliez a en effet refusé de fermer la centaine d'hypermarchés et les 136 supermarchés qu’il possède sur le territoire russe lors du déclenchement de la guerre en 2022.
Le maintien de cette présence malgré le soutien français à l’Ukraine contraste avec le départ de nombreuses enseignes occidentales, qui ont pour leur part décidé de quitter temporairement ou définitivement le marché russe.
Qui plus est, Auchan a été épinglé en 2023 par plusieurs médias d’investigation, qui ont révélé l’existence d’une collecte "d’aide humanitaire", d’une valeur d’au moins 25 000 euros et composée essentiellement de vivres, d’outils et d’équipement militaire comme des gilets pare-balles et des filets de camouflage.
Dans la foulée, Auchan avait fermement démenti avoir participé "de façon volontaire" à toute "collecte destinée aux forces russes". Dans un second article, The Insider avait pour sa part maintenu ses informations, en expliquant comment l'enseigne aurait dissimulé la destination de cette collecte, mails internes à l'appui.
"Radicalisé" par Auchan
Après avoir respiré à pleins poumons une miche de pain sous plastique, Tucker Carson conclut sa vidéo en blâmant l’inflation galopante aux États-Unis, comparée au coût de la vie en Russie. Selon lui, "une semaine de courses", l’équivalent de 400 dollars lui est revenu à seulement 104 dollars à Moscou.
"Venir dans une épicerie russe, dans le cœur du mal, et voir combien les choses coûtent et comment les gens vivent, cela va vous radicaliser contre nos dirigeants", affirme le polémiste d’extrême-droite. "Voilà comment je me sens : radicalisé."
Il oublie cependant une donnée essentielle : avant même le début de la guerre en Ukraine, le salaire moyen était de 746 euros par mois en Russie, et le salaire minimum est équivalent à 170 euros par mois. En outre, malgré les effets limités de sanctions économiques internationales, l’économie russe a pâti du coût matériel et humain de l’invasion de l’Ukraine.