Infirmière libérale depuis 30 ans, Isabelle C. exerce à Lille. Elle visite une trentaine de patients par jour. Entre les angoisses qu'il faut apaiser, le manque de matériel et la vigilance de tous les instants, son quotidien a été bouleversé par l'épidémie.
Isabelle C. nous fait partager ce quotiden bouleversé par le coronavirus Covid-19 en quelques photos.
Ne pas être vecteur de contamination
"J'ai complètement revu ma tenue de travail. Des vêtements de coton qui se lavent à 60°, un manteau adapté, des chaussures qui se nettoient facilement, plus de bijoux". Dans son entrée, elle a aménagé un sas pour que ses habits ne rentrent pas dans sa sphère privée.
Plus aucun geste n'est anodin
"Sortir de la voiture, prendre la mallette, aller sonner chez les gens, répondre à un appel téléphonique... il faut constamment penser à tout ce qu'on fait, comment on le fait, à tout ce qu'on touche...c'est épuisant. Je me lave les mains 100 fois par jour. Je demande aussi à mes patients de le faire plus souvent. Le soir je suis rincée".
Des patients angoissés
Savon, gel hydroalcoolique et distance de sécurité quand c'est possible. Isabelle passe beaucoup de temps à rassurer ses patients. "Ils sont très angoissés, en boucle sur les chaînes d'info et forcément ils ne retiennent que le négatif. J'essaie d'expliquer que c'est une maladie dont on guérit aussi, mais ils ne veulent pas entendre. Aucun ne tousse ni n'a de la fièvre, mais ils sont persuadés qu'ils sont malades. Ils passent leur temps à s'asperger de gel n'importe comment".
On ne touche (presque) plus
Le manque de contacts physiques est compliqué à gérer. "Ce contact qui fait qu'en touchant les gens, en leur prenant les mains, on peut leur apporter du réconfort, c'est terminé. J'ai une patiente qui vient de perdre sa sœur à l'hôpital, et elle ne peut pas aller la voir. Elle pleure toute la journée. Je ne peux rien faire".
Des masques au compte-goutte
Les masques chirurgicaux sont rationnés. 18 par semaine, qu'elle va chercher à la pharmacie. "Hier, la pharmacienne m'a dit qu'elle n'avait rien pour moi, que le stock avait été distribué. Mais à qui ? J'ai dû insister. C'est complètement fou cette pénurie, on a l'impression que la guerre elle est aussi sur ce terrain-là". Les masques, une denrée rare, "plus précieux que de l'or en ce moment".
Planquer les caducées
"On planque nos caducées dans la boîte à gants. Beaucoup de collègues se sont fait braquer les voitures. On vole les masques ou le gel hydro-alcoolique".
La voiture, sa deuxième maison
"Comment je fais pour la désinfecter après chaque visite à domicile ? Je n'ai pas de réponse, personne n'a de protocole. Alors c'est le système D. Et j'espère aussi qu'elle va tenir le coup, on n'a pas de garage attitré pour les infirmiers" .
Les administrations au ralenti
Les courriers administratifs doivent être transmis à la CPAM, mais la boîte aux lettres est fermée. Les régularisations se feront à la fin du confinement.
Drôle d'ambiance dans les rues vides
Au petit matin avant les joggeurs et en fin de journée après les sorties courses, Isabelle se retrouve dans des rues quasiment vides. "L'avantage c'est que je peux me garer à peu près où je veux. En revanche, je croise des gens en détresse psychologique qui ne savent pas trop où ils sont, ou des dealers qui continuent de sortir dans certains quartiers, et là je me sens un peu seule au monde. Même si je sais que tout le monde est confiné chez soi, je me demande si quelqu'un viendrait m'aider s'il devait m'arriver quelque chose. C'est assez angoissant".
La solidarité, quand même
Parfois, elle croise quelques scènes étonnantes de solidarité de quartier. "Des petits moments d'échange qui font du bien".
Comme ses 8000 collègues de la région, Isabelle fait son métier pour soigner. Et garder les malades le plus possible chez eux pour soulager l'hôpital. "On fait réellement tout ce qu'on peut. Mais on n'est pas non plus des super héros. On a besoin de nos instances, on a besoin que l'Etat nous garantisse la fourniture de masques. Maintenant. Et pas dans 15 jours, parce que le pic épidémique arrive. Pour le moment, on applaudit les soignants tous les soirs aux fenêtres. Ca fait du bien. Mais je n'aimerais pas que nous devenions des pestiférés, comme ce que l'on commence à voir un peu partout en France".