Trois reporters du quotidien ont été convoqués en audition libre par la police judiciaire de Lille dans le cadre d'une série d'articles sur la mort d'Amine Leknoun, un Roubaisien tué par un tir d'un agent de la Bac. Fabien Leboucq, l'un d'eux, revient sur cette procédure qu'il juge "extrêmement grave".
Une vingtaine de minutes chacun. L'audition libre des trois reporters de Libération dans les bureaux de la police judiciaire de Lille aura été relativement brève. Elle fait suite à une convocation après une série d’articles sur la mort d'Amine Leknoun, un jeune Roubaisien tué par un policier de la Bac, à Tourcoing, fin août 2022.
Fabien Leboucq, comme ses collègues du journal - Ismaël Halissat et Antoine Schirer - s'est présenté devant les inspecteurs de la brigade criminelle, jeudi 21 septembre, à 14h30. Comme eux, accompagné de l'avocat du journal, il a gardé le silence tout le long de l'interrogatoire.
Des questions sur les sources de l'enquête
Ce rendez-vous, dont ils se seraient tous bien passés, s'inscrit dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte par le Parquet de Lille pour "violation du secret de l’instruction", "recel de violation du secret de l’instruction" et "diffamation publique à raison de la fonction ou de la qualité de dépositaire de l’autorité publique". Des motifs relatifs à leur enquête en trois volets.
Ils devaient bien se douter qu’on n'allait pas répondre. Le secret des sources, c'est la valeur cardinale de notre métier.
Fabien Leboucq, reporter au service société de Libération
"Est-ce que les articles ont déplu au point que les magistrats ont voulu se saisir du dossier ?", interroge le reporter du service société à Libé. Dans l'un de leur papier, les journalistes évoquaient "la frêle enquête judiciaire [qui] semble avoir été délaissée par l’IGPN et la juge d’instruction."
Quelle qu'en soit la motivation première, cette audition visait à identifier les sources - interlocuteurs ou documents - utilisées par les journalistes au cours de leur investigation. "Ils devaient bien se douter qu’on n'allait pas répondre, avance Fabien Leboucq. Le secret des sources, c'est la valeur cardinale de notre métier."
"Une procédure indigne"
"Si ce n'est pas une tentative d'intimidation, je ne vois pas ce que ça peut-être d'autres", explique-t-il. Dans un communiqué publié jeudi, la Société des journalistes et du personnel de Libération et la direction de la rédaction de Libération, dénoncent "une procédure inadmissible et indigne d’un pays démocratique où la liberté de presse ne doit en aucun cas être entravée."
D'autant que celle-ci survient quelques jours après la perquisition et la garde à vue de trente-neuf heures de la journaliste d'investigation de Disclose, Ariane Lavrilleux. "Même si notre convocation est sans commune mesure avec ce qui lui est arrivé, on considère que c'est extrêmement grave", indique Fabien Lebucq.
En réaction à ces deux actualités récentes, Reporters sans frontières, sur le réseau social X (anciennement Twitter), s'est indigné de la situation et "réclame une révision sans plus tarder de la loi sur la protection du secret des sources".
Contactée, la police judiciaire de Lille ne souhaite pas s'exprimer sur cette affaire.