Le 12 décembre 1978, le groupe Usinor annonçait un plan de licenciement massif : 5550 suppressions d'emplois dans le Valenciennois, avant fermeture définitive. Un épisode traumatisant pour la ville de Denain. 45 ans après de nouvelles entreprises commencent seulement à s'implanter là où se trouvait l'ancien site industriel.
C'était il y a 45 ans jour pour jour. Le 12 décembre 1978, 5550 personnes perdaient leur emploi dans le Valenciennois, à Denain, sur le site Usinor. En tout, 12 000 emplois sont, ce jour-là, supprimés, dont la moitié en Lorraine. C'est le plus gros plan de licenciement jamais effectué en France. Le groupe industriel fait alors face à une dette abyssale.
Une dizaine d'années plus tôt, au moment de son apogée, l'aciérie de Denain produisait jusqu'à 2 millions de tonnes d'acier en une année, un record, elle est alors considérée comme "l'usine mère" d'Usinor. L'activité sidérurgique occupait une place très importante dans le département. Le site fermera définitivement ses portes en 1983. Un souvenir cuisant et encore "traumatisant" pour tous les habitants de la ville de Denain et pour les anciens salariés.
"On vivait Usinor "
Anne-Lise Dufour-Tonini, Maire (PS) de Denain, alors âgée de 8 ans à cette période a gardé de nombreux souvenirs du site industriel. Son père y travaillait. "C'était un métier dur, se souvient-elle. Quand on allait le chercher à la porte, ils étaient des centaines à sortir, et leurs uniformes bleus étaient noirs de suie. Je ne reconnaissais pas mon père".
Pour autant, "on y vivait bien" déclare la maire, "on vivait Usinor". À l’époque, tout était pris en charge et organisé par l'entreprise, une ville dans une ville. " Il y avait un système de santé, une salle des fêtes Usinor dans laquelle on pouvait nous remettre des cadeaux et un théâtre aussi dans lequel j'ai pu voir Annie Cordy et Michel Delpech."
Mais le 12 décembre 1978 tout s'arrête. "On se doutait que ça allait arriver, mais personne ne voulait y croire", raconte Bernard Ethuin ancien salarié et délégué CGT. Ce jour-là, il était au siège d'Usinor à Paris où se tenait un comité central d'entreprise.
J'ai vu des collègues qui y travaillaient depuis des décennies s'asseoir par terre et s'effondrer
Bernard EthuinAncien salarié d'Usinor
La "guerre civile" contre la suppression des emplois
Comme d'autres, le père d'Anne-Lise Dufour-Tonini, fait face à cette annonce brutale et perd son emploi après 10 années passées sur le site. Une "guerre civile" de plusieurs mois s'ensuit, selon les mots de la maire de Denain. Les salariés entrent en fait en guerre contre la fermeture d'Usinor. Ils passent de l'effarement à la colère : marches et luttes s'organisent à Denain, Valenciennes et Paris. Des manifestations dégénèrent et des cadres sont pris à partie.
Selon des archives de l'INA : "l'atmosphère devenait irrespirable, le climat particulièrement tendu, dès lors, on ne voyait plus très bien quelle issue pouvait être trouvée".
Anne-Lise Dufour-Tonini se souvient du ciel rougeoyant, des coups de feu, d'une "espèce de barricade" mais aussi "des copains de mon père qui ont été blessés". Elle ajoute : " j'avais peur à ce moment-là que mon père décède".
Malgré les nombreuses protestations, rien n'y fait et les salariés se retrouvent au chômage. La famille de l'édile connaît des moments difficiles. Dans le foyer, l'eau et l'électricité sont coupées faute de pouvoir payer les factures.
Cette année là, avec nos difficultés financières et le licenciement de mon père avant Noël, j'ai officiellement appris que le père Noël n'existait pas.
Anne-Lise Dufour-ToniniMaire (PS) de Denain
Le renouveau sur les friches Usinor-Denain
Après la fermeture d'Usinor, de nombreuses personnes sont parties, "j'ai vu la ville et les gens s'enfoncer dans la misère, des maisons tomber en ruine et des commerces fermer", témoigne la maire de Denain. L'usine a laissé place à des friches et bâtiments désaffectés. Des plaies et traces du passé dans le paysage.
Il y a encore cinq ans, le site n'avait pas connu beaucoup d'évolution et d'aménagement dans la zone des Pierres blanches. Depuis, les choses ont changé. Une somme colossale de 10 millions d'euros a été nécessaire pour dépolluer le site. Une desserte autoroutière a été mise en place à proximité.
Désormais, ces terrains vagues séduisent. À proximité d'un ancien bâtiment encore occupé, un immense centre logistique vient de sortir de terre. Usinor devenue Arcelor Mittal a gardé sur place quelques bâtiments dédiés au commerce des métaux.
Les entreprises s'implantent au fur et à mesure, comme l'entreprise Lesaffre, spécialisée dans les levures, actuellement en plein chantier de construction. "La ville est en plein essor industriel après la catastrophe Usinor. La page se tourne et on continue à écrire l'histoire de la ville", atteste l'édile. Une centaine d'emplois devrait voir le jour.
Un ancien hangar de réparation de péniches d'Usinor qui est aujourd'hui à l'abandon pourrait être remis en service.
Un appel à manifestation d'intérêt a été lancé pour remettre le hangar en activité.
Avec Bertrand Thery, Laurie Colinet et Jean-Louis Manand