Bruno Vouters et Christian Habart ont publié l'ouvrage "Je marche sur le chemin de Vincent Van Gogh" en septembre dernier, qui retrace le voyage du maître de l'expressionnisme dans la Vallée de la Scarpe et jusqu'à Courrières en 1880. Une expédition méconnue, qui a vu naître chez Van Gogh la vocation et l'artiste connu aujourd'hui à travers le monde.
Valenciennes, début mars 1880. Un homme de 27 ans, cheveux roux mal peignés, à l'allure négligée, apparaît dans l'embrasure du hall de gare. Sur le parvis, les passants remarquent moins son air préoccupé que sa valise mal fagotée de laquelle dépassent quelques esquisses. Débarqué des environs de Mons, en Belgique, le jeune néerlandais n'a que dix francs en poche et une folle soif d'aventure.
Van Gogh n'est alors que Vincent, un jeune homme perdu, sans but, qui cherche simplement à tourner le dos à la vie menée jusqu'à présent. Enfin, il n'est pas réellement démuni, dans sa tête un objectif à court terme est tout tracé : rejoindre Courrières, demeure de l'éminent peintre Jules Breton, dont Vincent admire désespérément les toiles aux sujets champêtres et populaires. "À ce moment-là, Vincent est un homme harassé, mais plein d’espoir de retrouver la campagne et Jules Breton. Il rêve d’y aller, de rencontrer Breton et d’apprendre la peinture avec lui", narre Christian Habart, qui a participé à l'écriture de l'ouvrage Je marche sur le chemin de Vincent Van Gogh, aux côtés de l'ancien journaliste Bruno Vouters.
À ce moment-là, Vincent est un homme harassé, mais plein d’espoir de retrouver la campagne et Jules Breton.
Christian Habart, co-auteur du livre "Je marche sur le chemin de Vincent Van Gogh"
Près de 50 km à vol d'oiseau séparent les deux destinations et, au vu de ses économies, le jeune homme opte pour un long voyage à pied, qui lui fera traverser un territoire du Nord en pleine révolution industrielle.
D'évangéliste à baroudeur
Cette quête personnelle, entamée avec beaucoup d'entrain et de détermination, a pourtant débuté par une fuite.
À 27 ans, Vincent Van Gogh a déjà vécu plusieurs vies. Sur les traces de son père, pasteur, le jeune homme s'est tantôt vu percepteur en Angleterre, tantôt apprenti dans une galerie à Paris, puis étudiant en théologie à Bruxelles. Un cadre trop abstrait pour lui, qui rêve de concret, de rencontres et d'expériences. Vincent est alors envoyé en mission dans le Borinage, pays minier de Belgique, en tant qu'apprenti évangéliste.
Sur place, il déboule parmi les mineurs et découvre le protestantisme. Mais l'évangéliste à l'allure de vagabond est loin de vouloir prêcher la bonne parole à des gens qui vivent dans la misère. Curieux, il se rapproche d’eux et se fond dans la masse. Christian Habart explique les états d'âme du futur peintre : "À l’époque il est sans avenir et réalise que le monde d’où il vient est artificiel, trop académique, il ne lui convient pas. Il veut trouver une nouvelle voie."
À l’époque il est sans avenir et réalise que le monde d’où il vient est artificiel, trop académique, il ne lui convient pas. Il veut trouver une nouvelle voie.
Christian Habart
Finalement renvoyé de sa mission, Vincent Van Gogh prend la route direction Courrières et rattrape son destin.
Bientôt un itinéraire Van Gogh ?
En consultant les archives municipales des communes du Douaisis, les courriers échangés entre Vincent et son frère Théo, ainsi que les documents répertoriés dans des écoles de journalisme, Bruno Vouters et Christian Habart sont parvenus à retracer le chemin emprunté par le peintre avec une grande exactitude. Leur ouvrage invite les adorateurs de ce génie expressionniste à glisser leurs pas dans ceux du vagabond d’alors. La "mission Bassin minier", qui a soutenu leurs recherches, va d'ailleurs créer un parcours Van Gogh dans les années à venir pour arpenter le Nord et le Pas-de-Calais à travers les yeux du peintre.
Les deux amis ont parcouru ces sentiers des dizaines de fois. Chaque promenade est pour eux l'occasion de poser un nouveau regard, historique, environnemental ou encore patrimonial, sur leur route. Depuis la gare de Valenciennes, Bruno et Christian savent que Vincent Van Gogh a filé vers l'ouest et la forêt de Saint-Amand, pour rejoindre le chemin de halage qui longe la Scarpe.
Vincent se retrouve dans le monde que Zola décrira une poignée d’années plus tard dans Germinal.
Bruno Vouters, co-auteur du livre "Je marche sur le chemin de Vincent Van Gogh"
En sortant de la ville, l'aventurier va rencontrer le milieu économique et industriel du Nord, en pleine effervescence en cette fin de 19e siècle. "La mine est en train de bouleverser tout le milieu agricole et tisserand de la région", relate Bruno Vouters. "Tout le monde devient mineur et le territoire devient la terre de terrils que l'on connaît... Vincent se retrouve dans le monde que Zola décrira une poignée d’années plus tard dans Germinal."
Le motif des tisserands
Après avoir traversé la forêt de Raismes, Vincent Van Gogh rencontre des tisserands. C'est le coup de foudre. Pour Bruno, cette admiration naît de son amour pour la mine : "Il est émerveillé par leur travail et curieusement il rapproche les tisserands des mineurs. Il dit que les deux métiers travaillent dans l’obscurité."
Cet émerveillement pour les tisserands indépendants, une vingtaine seulement à exercer la profession en cette période de grands changements économiques, sera retrouvé bien plus tard dans les premières toiles majeures du maître.
Pourtant, en 1880, le jeune Van Gogh ne croque pas les quelques tisserands qu'il rencontre dans la Vallée de la Scarpe. Pressé, plein d'ambitions, le vagabond fonce vers Courrières, en passant par Wallers, Hasnon ou encore Marchiennes. Trois jours de marche pour Vincent, qui s'abrite dans un fossé ou sous une carriole pour passer la nuit. Il n'a plus que deux ou trois francs en poche. À peine de quoi acheter un morceau de pain.
La naissance de l'artiste peintre
Et puis enfin, au bout de ce long périple : Courrières, la cité du vénéré Jules Breton. Mais face à l’austère maison bourgeoise du peintre, aujourd’hui disparue… Il renonce.
"Il faut s'imaginer une très grande bâtisse bourgeoise, un peu austère, en briques du Nord. Vincent la trouvait rébarbative, lui rappelant la maison d’un oncle qu’il n’aime pas beaucoup", justifie Bruno. "Il n’a pas osé, ou plutôt pas voulu entrer." Étonnant lorsque l’on sait qu’il a parcouru 200 km pour arriver jusque-là.
Il faut s'imaginer une très grande bâtisse bourgeoise, un peu austère, en briques du Nord. Vincent la trouvait rébarbative, lui rappelant la maison d’un oncle qu’il n’aime pas beaucoup.
Bruno Vouters
"C’est terrible de penser qu’il peut ouvrir la porte et parler à Jules Breton, mais qu’il ne le fait pas", sourit l'ancien journaliste.
Persuadé d’avoir trouvé son chemin dans la vie après avoir parcouru notre territoire, Vincent entreprend donc le trajet retour. Mais sur le sentier qu'il venait pourtant de parcourir, c'est un autre homme qui prend la route, chaque pas le rapprochant un peu plus du Van Gogh à l'oreille coupée et aux 2000 chefs-d’œuvre qu'on lui connaît aujourd'hui.