C'est un morceau de patrimoine dont peu de gens connaissent l'existence. Sur le domaine de Chaalis, la chapelle gothique Sainte-Marie abrite des fresques Renaissance remarquablement conservées. Inspirées par la Chapelle Sixtine de Michel-Ange à Rome, elles sont l'œuvre du Primatrice, l'un des plus grands artistes italiens de l'époque. C'est l'histoire du dimanche.
Au cœur de la vaste forêt d'Ermenonville, il est un trésor aussi précieux que l'écrin qui le protège. Un écrin de pierre taillée, sculptée, ciselée. Abritée par les ruines de l'église abbatiale du domaine de Chaalis, la chapelle Saint-Marie se dresse vers le ciel dans toute sa splendeur gothique. Ses immenses baies aux vitraux à motifs géométriques plongent le lieu dans une lumière délicatement colorée. Sa rosace rappelle celles des plus belles cathédrales. Sa croisée d'ogives vous fait lever les yeux jusqu'à plus de neuf mètres du sol.
Sa construction est postérieure à celle de l'abbaye de Chaalis, fondée en 1136 par le roi Louis VI le Gros en hommage à son cousin le comte de Flandre, tué à Bruges par ses sujets insurgés en 1127.
"Chaalis, c’est une abbaye royale confiée par le roi à des moines cisterciens, explique Alexis de Kermel, l'administrateur du domaine. Ces moines ont édifié une église, très importante pour l’époque puisqu’elle est plus grande que la cathédrale de Senlis, un cloître, des bâtiments agricoles. L’église abbatiale est consacrée en 1219."
Celui qui va tout changer
Dans les années 1245-1255, une chapelle attenante à cette abbaye royale est construite pour l’abbé et pour le roi. "Lorsque le roi rend visite à Chaalis, il peut se recueillir dans sa chapelle. C’est donc la chapelle privée du roi et celle de l’abbé, raconte Alexis de Kermel. Elle date du règne de Saint Louis comme d'autres saintes chapelles dont elle partage la forme : la sainte chapelle de Paris, de Saint-Germain-en-Laye. Sous le règne de Saint Louis, tout le royaume se parsème comme ça de chapelles à une nef qui sont toutes sur le même modèle."
Hippolyte d'Este a cumulé beaucoup de bénéfices ecclésiastiques. Et comme à chaque bénéfice ecclésiastique, correspond une rente, c'est un homme immensément riche.
Alexis de Kermel, administrateur du domaine de Chaalis
La chapelle Sainte Marie aurait pu seulement rester une perle de l'architecture gothique comme finalement beaucoup d'autres en France, si au XVIe siècle, un abbé italien n'avait pas été nommé à la tête du domaine par François Ier. Car à partir de 1541, "ce bijou de l'art gothique va devenir aussi un joyau de la Renaissance".
C'est à cette date qu'Hippolyte d'Este devient l'abbé de Châalis. Il est le conseiller et l'ami de François Ier. C'est également le cardinal de Ferrare, "autant dire un prince de l'Église", précise Alexis de Kermel. Archevêque entre autres d'Auch, de Lyon, de Milan, il est également à la tête de nombreuses abbayes dont Saint-Médar de Soissons et Jumièges. "Il a cumulé beaucoup de bénéfices ecclésiastiques. Et comme à chaque bénéfice ecclésiastique, correspond une rente, Hippolyte d'Este est un homme immensément riche. Il appartient à la famille de Ferrare qui est une immense famille princière italienne. C’est sans nul doute l’un des plus grands prélats et l’un des plus grands mécènes de la Renaissance. Et il va favoriser l’émergence des arts et des lettres autour de lui, conformément à l’esprit de la Renaissance."
Hippolyte d'Este veut redécorer l’abbaye. Pour deux raisons. La première, c'est pour que l’abbaye soit à l’image du grand personnage qu’il est. La seconde, c'est qu'il espère accueillir François Ier à Chaalis. "La visite d’un souverain à cette époque est quelque chose d’extrêmement important politiquement", selon Alexis de Kermel.
L'un des plus grands artistes italiens
Dans ces années, le château de Fontainebleau est en pleine construction. Fontainebleau, c'est LA grande œuvre Renaissance du règne de François Ier. "C'est François Ier qui importe la Renaissance d'Italie, rappelle Alexis de Kermel, avec notamment Leonard de Vinci, qui meurt très rapidement après son avènement. Les plus grands artistes italiens travaillent sur le chantier de Fontainebleau. On oublie souvent qu’après Léonard de Vinci, il y a une multitude d’artistes italiens qui viennent travailler pour François Ier dont ils transforment les palais. Parmi ces artistes, il y a Sebastiano Serlio qui est architecte et Francesco Primaticcio, dit le Primatice, qui est peintre et sculpteur."
Les décors de fresques ont beaucoup disparu parce qu’ils ont passé de mode ou que les enduits sont tombés. À Chaalis, nous conservons sans doute le décor le plus authentique.
Alexis de Kermel, administrateur du domaine de Chaalis
C'est à ses deux compatriotes qu'Hippolyte d’Este va confier la rénovation de Chaalis. Et surtout la chapelle Sainte Marie à Francesco Primaticcio, dit le Primatice. L'abbé veut en effet qu'elle soit décorée selon la technique dite à fresque, en vogue à l'époque, et qui consiste à poser les pigments de couleur sur un enduit de plâtre humide. Lorsque l'enduit sèche, la couleur est absorbée par le plâtre et est ainsi plus résistante que si elle avait été simplement posée sur un à-plat.
"Francesco Pirmaticcio, c'est l'un des plus habiles fresquistes de son temps. Il décore au même moment le château de Fontainebleau de fresques somptueuses. Il va décorer l’ensemble de la chapelle de l’abbé à la manière de la Renaissance. La chapelle de l’abbaye de Chaalis possède aujourd’hui le décor de fresques de la Renaissance le mieux conservé de France. En France, les décors de fresques ont beaucoup disparu parce qu’ils ont passé de mode ou que les enduits sont tombés. À Chaalis, nous conservons sans doute le décor le plus authentique. En effet, il n’a pas été tellement restauré ou lessivé à travers les siècles contrairement à d’autres décors qui ont été pas mal modifiés."
Nouveau testament et maniérisme
C'est aussi un décor qui affiche clairement la volonté de l'auteur et du commanditaire de s’inspirer de ce qu’a fait Michel-Ange dans la chapelle Sixtine à Rome. Le sujet choisi, c'est L'Annonciation à la Vierge Marie par l'ange Gabriel qu'elle va concevoir et porter l'enfant Jésus sous l'action de l'Esprit Saint. Le cœur de cette scène, "un ange Gabriel agenouillé qui s’adresse à Marie qui est agenouillée aussi avec au-dessus une colombe qui représente l’Esprit Saint", est peint sur la partie basse du vaste mur de la rosace qui a été obturée de l'intérieur pour l'occasion.
Juste derrière la rosace, en hauteur, "il y a une nuée dans laquelle trône un Dieu le Père qui n’est pas sans rappeler le Dieu le Père de la chapelle Sixtine qui tend son doigt vers le doigt de l’Homme. Il est entouré d’anges qui sont extrêmement gracieux parce que le courant artistique auquel appartient Francesco Primaticcio, c’est le maniérisme. Le maniérisme, c’est une mise en valeur des corps, des mouvements, une utilisation de couleurs très acides. Donc on a une nuée d’anges qui ressemblent vraiment à des nymphes et à des dieux. Les anges femmes sont excessivement beaux. Les anges hommes ont des pectoraux et des abdominaux dignes de sportifs. On a une ode au corps qui est typique du maniérisme et de la Renaissance."
Mais c'est la voûte, peinte d'un ciel bleu, qui attire tous les regards. Dans chaque voûtain, un personnage : "il y a les pères de l’Église primitive, les apôtres et des évangélistes. Au-dessus du chœur, il y a des angelots qui portent dans leur main les instruments de la Passion : ce sont les objets que l’on retrouve dans le récit de la Passion du Christ, de sa condamnation à sa mort sur la croix. Donc on a des angelots qui portent le marteau, les clous, le fouet, la lance ou encore la croix."
Il faudra trois ans au Primatice et à ses élèves pour finir la fresque de la chapelle Sainte Marie. Et François Ier ne viendra jamais à Châalis. "Visite de François 1er ou pas, on peut imaginer qu’un homme comme Hippolyte d’Este aurait de toute façon engagé de grandes dépenses pour décorer son abbaye, avance Alexis de Kermel. Parce que partout où il est passé, il a laissé d'importants témoignages artistiques."
Révolution française et réhabilitation
Hippolyte d'Este retourne à Rome en 1549 mais restera l'abbé de Chaalis jusqu'à sa mort en 1572. Plusieurs autres abbés se succéderont à la tête mais aucun ne résidera sur place. Le nombre de moines baisse d'année en année. Et les bâtiments se détériorent.
La chapelle a été épargnée parce qu'Étienne Paris estimait qu’elle recelait un trésor artistique majeur.
Alexis de Kermel, administrateur du domaine de Chaalis
Au milieu du XVIIIe siècle, Louis-Bourbon de Condé, abbé depuis 1721, lance une vaste campagne de travaux de réhabilitation et de transformation de l'abbaye. Des travaux qui durent longtemps et ruinent l'abbaye, au point que tous ses biens sont saisis par ses créanciers.
En 1786, Louis XVI ordonne qu'elle soit fermée : le peu qui reste est liquidé et les religieux sont dispersés dans d'autres communautés. "Pendant la Révolution française, beaucoup de bâtiments civils et religieux font l’objet d’opérations foncières. Soit le bâtiment avait une utilité auquel cas il était transformé en usine, en caserne ou en prison. Soit il n'en avait pas et on l’utilisait comme carrière de pierres : on le déconstruisait et on en utilisait les matériaux pour construire autre chose ou on les vendait. Ça a été le cas par exemple du château de Chantilly qui a été démonté et ses matériaux, vendus pièce par pièce."
Étienne Paris achète le domaine de Chaalis en 1793. Il ne conserve que le bâtiment principal dans lequel il va vivre avec sa famille et vend meuble par meuble, pierre par pierre l’église abbatiale et le cloître dont il ne reste aujourd'hui que des ruines. Quant à la chapelle Sainte Marie, il n'y touche pas : "la chapelle a été épargnée parce qu'Étienne Paris, estimait qu’elle recelait un trésor artistique majeur."
En 1850, le domaine est racheté par un ancien député de la monarchie de Juillet. Il souhaite en faire une résidence de chasse. Son épouse, Rose Pamela de Vatry entame de grands travaux de réaménagements de l'abbaye. En 1875, elle fait restaurer la chapelle par Paul Balze, élève d'Ingres. Endommagés par le temps, les décors de la partie basse du mur de la chapelle avaient en effet totalement disparus. Balze réinterprète entièrement l'ensemble y ajoutant les blasons des abbés qui ont dirigé l'abbaye et surtout le drapé qui fait le tour de la chapelle :
Une incongruité stylistique a également été ajoutée par l'architecte Edouard Corroyer : "il a réalisé de fausses gargouilles qui ont des formes amusantes : il y a un escargot, un renard qui jette une pierre, un pélican. Ce qui tranche avec le reste de la chapelle. C’est un bestiaire assez amusant. La raison nous échappe. La seule explication qu’on ait, c’est l’originalité de l’époque", estime Alexis Le Kermel.
Nélie Jacquemart-André, la dernière propriétaire
Après le décès de Mme de Vatry, son neveu hérite de l'abbaye de Chaalis. À la mort de sa veuve, en 1902, la nouvelle propriétaire s'appelle Nélie Jacquemart-André. C'est une artiste peintre que Mme de Vatry avait prise sous son aile. C'est ainsi qu'elle a passé une partie de son enfance à Chaalis.
Nélie Jacquemart-André est la veuve de l'héritier d'une riche famille de banquiers. Et à ce titre, possède une immense collection d'œuvres d'art qu'elle va installer à Chaalis. Chaalis qu'elle va moderniser en y installant l'électricité en transformant le moulin du domaine en centrale électrique, l'eau courante et le téléphone.
Depuis plus de cent ans, la chapelle Sainte Marie est une sorte de sanctuaire.
Alexis de Kermel, administrateur du domaine de Chaalis
Chaalis, c'est son refuge. Son écrin. Son trésor. Au point qu'elle souhaite y être enterrée à sa mort en 1912 : "elle repose dans la chapelle. Nélie Jacquemart-André a légué tous ses biens y compris le domaine de Chaalis et les 6 000 œuvres d'art qu'elle a rassemblées dans la partie château-musée à l’Institut de France, révèle Alexis de Kermel. L’Institut de France, c’est un établissement public qui abrite les cinq académies en France : l’Académie française, l’Académie des beaux-arts, l’Académie des sciences, l’Académie des sciences morales et politiques et l’Académie des inscriptions et belles lettres. Depuis plus de cent ans, l’Institut de France veille sur ce joyau. Et depuis plus de cent ans, la chapelle Sainte Marie est une sorte de sanctuaire."
Aujourd'hui, la chapelle Sainte Marie doit faire face à des défis importants. "Le premier, c'est un défi de conservation lié au climat. C’est la raison pour laquelle il y a eu une restauration en 2006 et que nous avons été obligés de remonter un échafaudage en 2021. En 2021, nous avons constaté de nouvelles altérations sur la fresque, ce qui n’est pas normal seulement quinze ans après une première restauration, avoue Alexis de Kermel. Nous avons donc installé des instruments pour mesurer la circulation de l’air, les particules fines, la température, l’humidité, l’hygrométrie, afin de mieux comprendre les résurgences d’humidité et de mieux accompagner le monument dans le temps. Nous avons réuni un comité scientifique afin de travailler sur ces questions avec des experts."
L'autre défi, c'est la transmission du patrimoine exceptionnel que représente la chapelle de Chaalis. "Le grand public n’imagine pas qu’on peut trouver une merveille pareille à Chaalis. Il nous faut pour cela mieux expliquer la chapelle. Nous travaillons donc sur un projet de son et lumière pour pouvoir parler, plusieurs fois par jour, de la chapelle in situ. La voûte culminant à neuf mètres, il n'est pas évident d’aller expliquer ce que sont ces personnages. Il faut vraiment que le public de la région vienne toucher du doigt ce joyau de la Renaissance."
Un peu comme l'Homme essaye de toucher du doigt Dieu dans la chapelle Sixtine à Rome, ce chef-d’œuvre de Michel-Ange dont au XVIe siècle, s'est inspiré un peintre italien pour orner les murs et la voûte d'une petite chapelle gothique, abritée par les ruines d'une église abbatiale, quelque part au cœur de la vaste forêt d'Ermenonville.